Écho de presse

1915 : naissance du journal « Le Canard enchaîné »

le 06/04/2020 par Priscille Lamure
le 25/06/2018 par Priscille Lamure - modifié le 06/04/2020
Publicité en faveur du journal satirique Le Canard enchainé dans L'Œuvre, 1916 - source : RetroNews-BnF

En pleine Première Guerre mondiale, tandis que la propagande pro-militaire bat son plein, paraît le premier numéro du futur plus grand journal satirique français, le célèbre Canard enchaîné.

L’histoire du Canard enchaîné commence en septembre 1915, tandis que la France traverse la tourmente de la Première Guerre mondiale.

Ayant à cœur de remonter le moral des Français, et de tourner en dérision les événements tragiques liés à la guerre ressassés dans la presse de l’époque, le journaliste Maurice Maréchal, son épouse Jeanne et le dessinateur Henri-Paul Gassier décident de créer un journal satirique indépendant et totalement autonome afin de contrer la censure et la propagande.

En effet, en ce contexte tendu de la Grande Guerre, les correspondances, la publicité, les productions artistiques ainsi que la presse française sont soumises à la censure du gouvernement.

Pour éviter les remontrances des censeurs, les créateurs du journal se présentent dès le départ comme un journal humoristique dont la particularité est de n’annoncer que des nouvelles fausses. Ils pensent ainsi pouvoir s’exprimer en toute liberté.

Le titre du journal fait allusion au « canard » qui désigne en argot une nouvelle parfois vraie, parfois fausse et bien souvent exagérée ; ici, ledit canard est « enchaîné », en référence à la censure qui surveille et traque la presse d’alors. Le 10 septembre 1915, le premier numéro du Canard enchaîné paraît dans les kiosques de Paris.

Aussitôt, le journal socialiste L’Humanité relaie auprès de ses lecteurs la création de ce nouveau journal satirique en citant un court passage de son article-préambule :

« Le Canard enchaîné prend l’engagement d’honneur de ne céder, en aucun cas, à la déplorable manie du jour : c’est assez dire qu’il s’engage à ne publier, sous aucun prétexte, un article stratégique, diplomatique ou économique, quel qu’il soit.

Son petit format lui interdit, d’ailleurs, formellement, ce genre de plaisanterie. Enfin, le Canard Enchaîné prendra la liberté grande de n’insérer, après minutieuse vérification, que des nouvelles rigoureusement inexactes.

Chacun sait, en effet, que la presse française, sans exception, ne communique à ses lecteurs, depuis le début de la guerre, que des nouvelles implacablement vraies !

Eh bien ! le public en a assez !

Le public veut des nouvelles fausses… pour changer.

Il en aura.

Pour obtenir ce résultat, la direction du Canard enchaîné n’a pas hésité à passer un contrat d’un an avec la très célèbre agence Wolff qui lui transmettra, chaque semaine, de Berlin, par fil spécial barbelé, toutes les fausses nouvelles du monde entier…

Qu’on se le dise ! »

Mais, malgré le soutien de nombreux confrères de la presse parisienne, ce premier lancement est un échec.

En décembre 1915, après la parution des cinq premiers numéros, Le Canard enchaîné cesse brutalement de paraître. Ce n’est que quelques mois plus tard, le 5 juillet 1916, que le journal revient à la vie, avec une équipe plus étoffée et la présence de Victor Snell à la direction de la rédaction.

Dès le lendemain, L’Humanité se réjouit de cette renaissance :

« Le Canard enchaîné a fait, hier, sa réapparition. Notre humoriste confrère a apporté dans ce nouveau premier numéro quelques heureuses modifications.

On y trouve, à côté de spirituelles chroniques et dessins de Victor Snell, H.-P. Gassier, Depaquit, Laforge, des échos d’une amusante rosserie. »

Malgré les précautions des journalistes du Canard, leurs articles sont immédiatement la cible des censeurs, qui tentent de les empêcher de publier  certains de leurs contenus jugés impertinents.

Les dessinateurs du journal ne manquent pas de railler instantanément ces moralistes d’État, à travers la représentation d’une main armée d’une paire de ciseaux, caricature de la censure et de ses coupures.

Ce type d’illustration apparaît aux côtés de la devise du journal « Tu auras mes plumes, mais tu n’auras pas ma peau », que l’on retrouve notamment sur les bandeaux publicitaires partagés dans d’autres journaux, par exemple sur cette page de L’Homme libre :

Le Canard enchaîné refuse de plier face aux nombreuses menaces dont ils font alors l’objet, et commence à se constituer un lectorat assidu. Ses illustrations, drôles et narquoises, sont régulièrement relayées dans les presses parisienne et régionale, comme sur ces pages du Petit Troyen ou du Petit Marseillais :

Contre vents et marées, Le Canard enchaîné saura conserver son indépendance d’esprit, son ton populaire, railleur et restera fidèle à sa vocation de faire rire, même dans les temps les plus tristes. De nombreux collaborateurs, rédacteurs et dessinateurs de talent viendront s’associer aux publications du journal, dont la célébrité n’aura de cesse d’augmenter au fil des ans.

À compter de 1960, tout en gardant son ton humoristique et corrosif, Le Canard enchaîné deviendra un journal d’investigation, à l’affût des derniers  – et cette fois-ci, véritables – scandales politiques et financiers.

De tous les journaux satiriques apparus au tournant du XXe siècle (Le Rire, Le Pêle-mêle, Le Cri de Paris, L’Assiette au beurre, Le Crapouillot, etc.), Le Canard enchaîné est le seul à avoir survécu. Il continue aujourd’hui, plus d’un siècle après sa création, à attirer un large et fidèle lectorat dans la France entière.