Écho de presse

1828 : les Mémoires controversées du commissaire Vidocq

le 04/01/2019 par François Cau
le 20/03/2018 par François Cau - modifié le 04/01/2019
Illustration de « Vidocq, empereur des policiers » par Yves Marevéry - source : Gallica-BnF

Tout frais démissionnaire de ses fonctions de chef de la Sûreté parisienne, l'ancien bagnard Eugène-François Vidocq rebondit avec la publication de son autobiographie. Les critiques sont assassines.

Ancien délinquant, grand spécialiste de l’évasion, mouchard pour les forces de l’ordre devenu bras armé de la justice, le chef de la Sûreté Eugène-François Vidocq n’est pas encore, à la fin de la Restauration, le personnage légendaire qu’il s’apprête à devenir.

Il compte alors moult détracteurs, des deux côtés de la loi. La presse ne le tient pas non plus en grande estime, comme peut en témoigner cette première annonce de la publication de ses Mémoires dans le journal littéraire Le Globe, peu friand de ce genre de prose.

« On nous annonce comme devant paraître bientôt les Mémoires de Vidocq, chef de la police de sûreté. Cela promet d’être agréable, et ce sera une vie édifiante. On croit voir des gens allant fouiller dans les égouts de Paris pour y trouver des révélations.

Au reste, Vidocq avait été précédé par son chef, et ne pouvait suivre un meilleur exemple. Nous conseillons aux éditeurs d’accompagner M. Appert dans les bagnes, et là, de se faire dicter les mémoires ; ce sera très moral, et peut-être du meilleur ton. »

Deux ans plus tôt paraissait le très critique ouvrage Biographie des commissaires de police et des officiers de paix de la ville de Paris de Louis Guyon [disponible sur Gallica], qui mentionnait déjà le chef de la Sûreté en ces termes : « L'existence publique du chef de ces individus, le nommé Vidocq, est une monstruosité qui pèse énormément sur la police ».

En janvier 1828, la destitution du préfet Guy Delavau et de son homme de main François Franchet d’Esperey, symboles d’une répression policière brutale typique du règne de Charles X, parachève la volonté de refonte des forces de l’ordre. Au milieu de celle-ci, Vidocq demeure une anomalie archaïque, gênante.

Son texte, dont l’intitulé démontre une ostensible quête de respectabilité (Mémoires de Vidocq, chef de la police de sûreté jusqu’en 1827, aujourd’hui propriétaire et fabricant de papiers à Saint-Mandé), paraît le dernier trimestre de 1828. L’avant-propos, signé de Vidocq lui-même, évoque un processus d’édition tortueux. Le manuscrit aurait été fini dès janvier. Mais, victime d’une grave blessure au bras, l’infortuné auteur a accepté l’aide d’un « teinturier » (terme plus élégant pour « nègre littéraire »), « l’un de ces prétendus hommes de lettres dont l’intrépide jactance cache la nullité » selon les termes de Vidocq.

Le teinturier a en effet réécrit entièrement l’ouvrage, s’est emparé des bonnes feuilles et en a publié plusieurs extraits dans divers journaux londoniens.

Vidocq crie donc à la trahison. Il hâte la publication afin de couper court à la manipulation scélérate. Le manuscrit est bancal mais contient, selon Vidocq, toute la vérité, et rien que la vérité.

La réception de l’ouvrage se montre à la hauteur de l’ambivalence suscitée par le personnage. La Quotidienne ouvre le bal ; pour son critique, ces Mémoires sont le produit de leur époque fascinée par la criminalité.

« Ainsi notre malheureuse littérature a suivi l’entraînement universel !

Nous nous sommes si fort occupés d’échafauds et de bagnes et de tous les détails de la justice criminelle, que toutes ces punitions sont devenues un besoin de notre imagination et de notre pensée ; et si bien que la police correctionnelle et les assises se sont changées en autant de salles de spectacle, qui ont leurs premières loges et leur parterre, qui ont leur Figaro et leur Talma, qui ont surtout leur péripétie et leur dénouement.

Après cela, étonnez-vous des Mémoires de M. Vidocq, étonnez-vous que dans sa retraite, M. Vidocq ait trouvé des gens qui aient été dans son cabinet, et qui avec sa propre plume, sur sa propre table, et attendant les heures où son imagination était libre, se soient mis à écrire sous sa dictée ses étranges révélations ! »

Avec un mélange invraisemblable d’enthousiasme ironique et de réserve pudibonde, La Gazette de France signe deux articles consécutifs paraphrasant largement le contenu des Mémoires.

Le Figaro joue sur la  même corde, celle de la fascination répulsive.

« Il n’y a qu’une voix contre l’impudeur d’un homme qui signe aujourd’hui “Fabricant de papiers”, et qui commence son livre par : “Je vole ; ensuite je suis déserteur ; enfin je deviens mouchard.”

Mais si les moins scrupuleux sont d’accord sur le fameux auteur des Mémoires, ceux qui affectent la pruderie la plus sévère n’ont pas été les derniers à hâter de leurs vœux la publication de cet ouvrage ; c’est qu’en vérité il n’est pas possible de réprimer un mouvement de curiosité devant le tableau même hideux de cette police qui autorisait au moins autant de crimes qu’elle aidait à en punir. »

La presse, au diapason du public, se passionne pour le vécu romancé de Vidocq – disons, pour rester poli, que les événements ont tendance à s’y enchaîner avec une fluidité narrative étonnante.

Une poignée de semaines après ces recensions sortent les Mémoires d’un forçat ou Vidocq dévoilé, entreprise rivale anonyme et attaque en règle des mémoires de l’ancien chef de la Sûreté. Sous la forme d’un pamphlet gouailleur, riche en argot fleuri pour forcer sa crédibilité, le livre entend démonter point par point chacune des affirmations du livre de Vidocq.

Et ce dès son introduction, qui prétend que Vidocq ne s’est pas « cassé le bras » comme il l’écrit en préface, mais qu’il s’est fait tabasser par d’anciens bagnards. Chaque paragraphe amène son éclaircissement, systématiquement négatif, aux péripéties livresques de Vidocq.

« Il n’y a pas moyen de s’y tromper, ce livre respire d’un bout à l’autre le laisser-aller d’une franchise naïve, née entre plusieurs flacons d’un vin généreux.

On y trouve cette éloquence brutale d’un homme qui ne craint pas l’opprobre ; la vérité y brille à chaque page avec toute la laideur de la turpitude. On ne saurait s’avouer infâme avec plus de bonhomie, on ne saurait confesser, avec plus de bonne grâce, tout ce qu’on eut d’immonde et de révoltant au fond de l’âme.

L’anonyme semble vouloir joûter de cynisme avec son rival : on lui croirait l’ambition de réclamer un privilège en sa faveur. »

L’anonyme sera finalement démasqué : derrière ces mémoires, trop habilement rédigés pour être honnêtes, se dissimulent le sulfureux auteur maudit Louis-François Raban et le feuilletoniste Émile Marco de Saint-Hilaire.

L’un des deux fut-il le mystérieux « teinturier » félon de Vidocq ? Se sont-ils, pour l’occasion, associés à un authentique ancien compagnon du chef de la Sûreté ? Peut-être.

Le scandale a-t-il permis d’écouler des volumes à tour de bras ? Sans aucun doute.

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