Écho de presse

Le Docteur Paul, l’homme aux 100 000 autopsies

le 09/06/2020 par Michèle Pedinielli
le 08/04/2019 par Michèle Pedinielli - modifié le 09/06/2020
Le médecin légiste Charles Paul, durant le procès du Docteur Petiot, 1946 - source : WikiCommons
Le médecin légiste Charles Paul, durant le procès du Docteur Petiot, 1946 - source : WikiCommons

Expert auprès du tribunal de la Seine, Charles Paul devient le premier médecin légiste médiatique français. Jules Bonnot, Jean Jaurès, Gaston Calmette ainsi que des milliers d’anonymes lui livreront les secrets de leur mort.

Lorsqu’en 1929, le Petit Parisien consacre ses colonnes à un portrait du docteur Charles Paul, c’est d’abord un brillant orateur qu’il dépeint, précis dans ses interventions à la barre du tribunal, quasi omniscient tel un Victor Hugo soulevant le couvercle de Paris pour en découvrir les dessous.

« Victor Hugo, dans Les Misérables, parla de soulever, comme un couvercle, Paris avec toutes ses maisons, pour embrasser d'un coup d'œil le réseau compliqué des égouts ; quelqu'un a désiré aussi, quelque part, soulever le toit des maisons pour assister aux spectacles divers des foyers : le docteur Paul soulève les calottes crâniennes et lit dans les cerveaux.

Sur sa table de pierre, à la Morgue, viennent se dénouer les épilogues des plus fantastiques romans vécus. »

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La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939

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C’est un homme enjoué quand il est hors des prétoires et hors de sa morgue, « l'être le plus gai, le plus affable, le plus vif qu’on puisse imaginer ». Mais lorsqu’il s’approche du corps inerte installé sur sa paillasse, l’homme change.

« Penché sur un corps sans mouvement ni voix, il interroge de son scalpel le muet inerte et lui arrache, non plus mot par mot, mais fibre par fibre, le secret de sa mort.

Les morts accusent. Ils parlent à qui sait les entendre.

Lorsqu'il se présente devant la barre, ce témoin a eu avec la victime assassinée, étendue sur le marbre froid, une entrevue suprême, un entretien tragique. Par le miracle de la science, il vient apporter à la justice, afin de la guider, les confidences qu'il a reçues d’outre-tombe. »

L’une de ses premières affaires médiatiques arrive avec l’assassinat de Jules Bonnot. Charles Paul est chargé d’examiner le corps criblé de balles de l’anarchiste.

« Bonnot a été atteint par six balles : quatre à la tête, la cinquième à la poitrine, la dernière au bras gauche.

Les quatre premiers projectiles ont pénétré par la région temporale droite. Deux d'entre eux ont traversé la tête et n'ont pas été retrouvés – ce sont, semble-t-il, des balles, de browning, grand modèle.

Dans la botte crânienne, le docteur, Paul a découvert une balle de plomb de fort calibre, provenant du revolver de M. Xavier Guichard ; à la pommette gauche, à fleur de peau apparaissait une balle blindée de 6 mm. 35 ; une simple incision permit de l'extraire. Elle avait été tirée par M. Paul Guichard, frère du chef de la Sûreté.

Ces quatre blessures étaient mortelles.

La balle à la poitrine a pénétré un peu au-dessous du sein gauche. C'est un projectile blindé provenant d'un gros browning. La blessure provoquée est mortelle.

Enfin c’est encore une balle blindée qui a pénétré dans le bras gauche du bandit.

Et criblé de la sorte, la tête et la poitrine trouées par des balles placées de telle sorte que tout autre homme fût tombé raide mort, le bandit a survécu près de trois quarts d’heure. »

Lorsque Gaston Calmette, le directeur du Figaro, est assassiné par Henriette Caillaux, c’est aussi lui qui procède à l’autopsie du journaliste.

« Sur la commission rogatoire de M. Boudard, juge d'instruction, les docteurs Paul et Socquet, médecins légistes, se sont rendus ce matin à 10 heures à la maison de santé de Neuilly, afin de procéder à l'autopsie de M. Calmette.

Cette funèbre opération a lieu ordinairement à la morgue. Par un sentiment que tout le monde comprendra, on a épargné cette démarche à la famille du directeur du Figaro.

Il résulte de l'autopsie que M. Calmette est mort des suites d'une hémorragie intestinale. »

Quelques mois plus tard, c’est au tour de Jean Jaurès d’être assassiné par le nationaliste Raoul Villain. Là encore, l’infatigable docteur Paul est chargé d’effectuer toutes les constatations médicales d’usage.

« En présence de M. Drioux, juge d'instruction et de l'amiral Jaurès, frère de la victime, MM. les docteurs Paul et Socquet ont procédé à l'autopsie.

M. Jaurès a reçu une balle derrière la nuque. Le projectile a parcouru un trajet horizontal et s'est arrêté à l'os frontal, après avoir traversé la matière cérébrale. »

Au procès de Raoul Villain, assassin du directeur de L’Humanité,  il précisera que la balle a été tirée à « quatre ou cinq » centimètres du crâne de la victime.

Mais le docteur Paul est aussi le médecin légiste des anonymes. Et il n’a pas son pareil pour démasquer les suicides qui n’en sont pas ou les accidents maquillés en meurtres.

« Voici un corps de femme carbonisé. La jeune fille avait coutume, en été, de s'étendre sur la paille, contre la meule. On lui avait bien recommandé de ne pas fumer.

L'autopsie rapidement pratiquée au village avait conclu à l'accident. Mais, depuis, des rumeurs avaient couru : par cette mort, l'oncle et tuteur allait disposer d'un héritage dont il n'était l'usufruitier que jusqu'à la majorité de sa nièce.

On reprit à la terre le corps qu'on lui avait confié. Le docteur Paul le soumit à la question du scalpel. Il découvrit quantité de lésions caractéristiques qui ne peuvent être produites que par l'asphyxie due à la strangulation. La petite victime, un mois après son inhumation, proclamait qu'elle n'avait pas été tuée par le feu de la meule, mais par une main d’assassin, étranglée ! »

Convoqué en tant qu’expert aux médiatiques procès Landru, Petiot, Nozières ou Berton, cet ami de Georges Simenon a inlassablement questionné les corps qu’on déposait sur la table de sa morgue pour découvrir la vérité. Et lorsque la solution n’apparaissait pas aussi rapidement que souhaité, ses trois assistants dévoués, qu’il appelait « Mon petit », « Mon grand » et « La Belote », s’effaçaient un moment pour laissait le docteur Paul en tête à tête avec le cadavre.

« Lorsque tout est prêt, les instruments, les antiseptiques, les linges. Mon Grand, mon Petit et la Belote s'éloignent discrètement pour laisser le savant seul à seul avec le mystère.

Alors, de la salle voisine, lorsque l'étrange et tragique colloque se prolonge, lorsque l'énigme se refuse trop longtemps à livrer sa clef, on entend une voix bourrue, paternelle, implorant :

– Dis-moi comment ils t'ont attaqué ? Dis-moi comment il t'a fait ça ?

Les trois aides, un peu émus, quoique blasés, s'efforcent de sourire. La Belote hausse les épaules et murmure

– V'là encore le patron qui cause au macchabée. »

Le docteur Paul restera médecin expert auprès des tribunaux de Paris  après-guerre, jusqu’à sa mort en 1960.

Pour en savoir plus :

Frédéric Chauvaud (avec la collaboration de Laurence Dumoulin), Experts et expertise judiciaire : France, XIXe et XXe siècles, PUR, 2003