Écho de presse

Peggy Reed, femme à la tête d'un gang de cambrioleurs, par Mac Orlan

le 09/07/2019 par Michèle Pedinielli
le 21/06/2019 par Michèle Pedinielli - modifié le 09/07/2019
Estampe à l'effigie de l'écrivain et journaliste Pierre Mac Orlan, Jules Pacsin, circa 1925 - source : Gallica-BnF
Estampe à l'effigie de l'écrivain et journaliste Pierre Mac Orlan, Jules Pacsin, circa 1925 - source : Gallica-BnF

En 1921, une jeune fille de la haute société américaine est arrêtée à la suite de plusieurs cambriolages. Signe particulier ? Elle commande une bande de « monte-en-l’air » noirs, suscitant la curiosité du grand reporter Pierre Mac Orlan.

En février 1921, une courte dépêche d’agence de presse est reprise par plusieurs journaux. Si (et c’est là la fonction d’une dépêche) les rédacteurs ne touchent pas une ligne du texte, en revanche chaque quotidien s’ingénie à trouver un titre à même de marquer les esprits.

Ainsi, quand Le Rappel rapporte « Une bande de voleurs nègres avait à sa tête une blanche », Le Courrier de Saône et Loire offre une vision certainement destinée à exciter la curiosité, les fantasmes et les sentiments racistes de ses lecteurs : « La petite reine blanche de l'affreuse bande noire ». Quant à L'Ouest-Éclair, beaucoup plus sobre, il met l’accent sur l’incongruité sociale de l’affaire : « Une fille de milliardaire commandait une bande de voleurs ».

L’histoire est mise à jour après l’arrestation à Chicago d’un cambrioleur noir affirmant appartenir à une bande de « monte-en-l’air » dirigés par une femme – ce qui n’est pas spécialement commun. D’autant plus qu’il s’agirait d’une jeune fille, Peggy Reed, appartenant à la haute société de la ville où sévit alors le célèbre Al Capone. Elle est jeune, riche, et Blanche de surcroît.

Cette nouvelle venue d’Amérique enflamme le rédacteur de l’agence qui rédige la brève : 

« Renseignement pris, cette amazone de la cambriole, qui compte 19 printemps, serait la pupille d'un milliardaire de Detroit. 

Excédée de l'existence trop luxueuse qu'elle menait, Peggy s'affilia à une horde d'apaches de couleur – il est tellement plus aisé pour un nègre de passer inaperçu dans les ténèbres – et devint rapidement leur reine. »

Il termine en précisant que la jeune femme avait installé son quartier général dans un bel hôtel du South Side et qu’elle veillait sur un trésor « de  quelque 100 000 dollars » enfermés dans un coffre-fort.

Deux journaux s’intéressent d’un peu plus près à l’histoire. Dans L’Œuvre, on s’interroge pour savoir qui du cinéma ou de la réalité nourrit l’autre aux États-Unis : « Est-ce encore la faute du cinématographe ou les metteurs en scène d’outre-mer se bornent-ils à présenter l’existence américaine telle qu’elle est ? » Avant d’imaginer la double vie vraisemblablement romanesque de la jeune fille :

« Songez de quelle fièvre brûlait Peggy Reed au milieu d’un bal, entourée de soupirants. Comme elle devait mal entendre leurs fadaises à l’heure même où sa bande réalisait un coup de main dont pouvaient dépendre sa réputation et sa liberté ! 

Cerveau brulé ? C’est bien vite dit ; mais un orgueil secret gonflait son cœur, de se sentir puissante et lointaine, la reine blanche des noirs cambrioleurs. »

Cette histoire devient un sujet pour Pierre Mac Orlan. Le célèbre romancier est à cette époque journaliste : grand reporter depuis la fin de la Première Guerre mondiale, il a notamment couvert la révolution spartakiste en 1919 pour L'Intransigeant

En 1921, il collabore notamment au Petit Journal et y livre sa vision de « Peggy Reed, la reine des nègres cambrioleurs ». Il voit chez la jeune Américaine une concurrente de la célèbre Casque d’Or parisienne.

« Et si cette dangereuse adolescente surpasse notre Casque d'Or, dont les journaux du temps soignèrent la publicité, ce n'est pas que l'excellence des exploits de la “girl” de Chicago puisse faire oublier les dangereux tournois nocturnes que présidait la Reine des fortifs.

Miss Peggy Reed l'emporte sur la reine des petits apaches chantés par Bruant en ce sens que pupille d'un milliardaire, née dans le luxe, à l'abri des besoins les plus compliqués, elle travaille pour l'art, poussée par une réelle vocation dont on ne peut faire l'apologie mais qu'il est difficile de passer sous silence. »

Peggy Reed fascine le futur écrivain de fiction par sa condition et par le fait que la jeune femme a transféré l’autorité que lui conférait sa position sociale (« Née riche, habituée à donner des ordres ») sur une bande de voleurs qu’elle commande, comme jadis elle a dû diriger son personnel de maison.

« Ces hommes de couleur firent de cette immorale et belle enfant de Detroit – c'est le nom de ville natale – une reine respectée par la double influence de son génie et de sa couleur. 

L'image que l'on évoque de cette jeune reine au milieu de son peuple de voyous sombres ne manque pas de pittoresque. »

Mac Orlan s’émerveille ainsi devant la modernité de la jeune femme car « ce n'est pas dans une taverne obscure d'un inquiétant quartier chinois qu'on doit rechercher Peggy ».

« Les méthodes de la pègre moderne demandent d'autres expressions, même dans le pittoresque. C'est dans un palace somptueux, au premier étage d'un gratte-ciel de South Side, dans un bureau troublé par le “tapetap” des machines à écrire qu'il faut évoquer Peggy Reed, la petite reine des “monte-en-l’air de goudron”.

C'est assise à sa table de travail, devant le coffre-fort où l'on trouva plus de 100 000 dollars, le capital de l'affaire, qu'il faut se représenter cette chevalière de fortune mise brutalement en présence de la justice dont l’appareil vieillot ne manquera pas de la faire sourire. »

L’histoire, géniale s’il en est, s’arrête cependant là : les journaux français ne suivent pas l’affaire. Même si Pierre Mac Orlan affirme « la figure légendaire – et quelle légende ! – de l'héroïne tire un profit immédiat pour demeurer dans la mémoire des hommes, toujours enclins à se rappeler les gestes des criminels célèbres », on ne saura pas dans la presse française d’alors à quelle peine ont été condamnées Peggy Reed et sa bande, ni de ce qu’il est advenu ensuite de la jeune fille. 

Et Peggy Reed tombe dans l’oubli, malgré le vœu du romancier.

« La silhouette de celle que les chroniqueurs de l'avenir ranimeront en cherchant dans les bas-fonds d'une époque troublée des figures d'exception romanesques prendra un rang avantageux dans une galerie où les princesses du crime et de la perversité se laissent doucement adopter par l'histoire. »

Aujourd’hui, il est tout aussi impossible de trouver la moindre information sur Peggy Reed et son gang de cambrioleurs, évanouis dans les replis de l’histoire.

Pour en savoir plus :

Bernard Baritaud, Pierre Mac Orlan : Sa vie, son tempsLibrairie Droz, 1992

Pierre Mac Orlan, Le Mystère de la malle n°1 - Recueil de reportages, 10/18, 1984 (réed.)