Écho de presse

Le jour où Louise Michel revint de déportation

le 19/08/2022 par Michèle Pedinielli
le 31/08/2020 par Michèle Pedinielli - modifié le 19/08/2022
Lorsque la grande révolutionnaire retrouve Paris après neuf ans de bagne, une incroyable liesse populaire l’attend pour réveiller le souvenir de la Commune.

« Elle arrive ! Elle arrive ! » Une foule compacte se presse sur le quai de la gare Saint-Lazare en ce 9 novembre 1880. Il y a là des Parisiennes et Parisiens anonymes (certains journaux estiment la foule à 20 000 personnes tout autour de la gare) mais aussi des visages connus : Eugène Pottier, Frédéric Cournet, Charles Longuet ou Jules Vallès, tous membres de la Commune.

Selon La Justice du 11 novembre, le « Tout-Paris des grandes journées, des grandes émotions populaires […] le Paris qui, même au milieu des hontes et des apostasies de l’Empire garda, intacte, sa foi à la République, le Paris pour lequel on est fier d’avoir souffert, ce Paris-là était sur pied ». Et n’attendait qu’une femme : Louise Michel.

Grande figure de la Commune, Louise Michel s’était vu refuser lors de son procès de décembre 1871 le peloton d’exécution qu’elle réclamait.

« Il semble que tous ceux en qui vibre encore l’amour de la liberté n’aient plus droit qu’à un peu de plomb dans le cœur, j’en réclame ma part. Tant que je vivrai, retenez bien ceci, je m’élèverai contre vous du haut de ma conscience.

On m’entendra en tous lieux crier : vengeance, vengeance, et exciter nos frères à la haine des assassins de la commission des grâces. »

À la place, le Conseil de guerre la condamne à la déportation. C’est donc après neuf ans passés en Nouvelle-Calédonie que Louise Michel revient en France.

Neuf ans pendant lesquels elle a exigé de n’avoir aucun régime de faveur par rapport aux hommes. Pendant lesquels elle a repris son métier d’institutrice, notamment pour les enfants des Kanaks dont elle soutient la grande révolte de 1878. Neuf ans pendant lesquels elle n’a cessé d’être elle-même : une révolutionnaire indignée devant les oppressions de toutes sortes.

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1871, la Commune

Une collection de journaux réimprimés en intégralité pour revivre la Commune à travers la presse de l'époque : caricatures, textes engagés, témoignages.

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Lorsqu’elle apparaît sur le quai de la gare Saint-Lazare, on l’accueille aux cris de « Vive Louise Michel ! », « Vive la Commune ! ». Les journaux présents scrutent son allure. La Justice en donne une description simple :

« Elle porte un chapeau de feutre orné d'une fleur rouge. Ses cheveux sont flottants sur ses épaules. Sa figure hâlée porte les traces de la traversée et des neuf ans passés à Nouméa ! »

Le Figaro, en revanche, ne peut s’empêcher d’apporter un jugement dépréciatif :

« La figure est quelque peu masculine. Le nez fort a une ligne brisée, d'un caractère énergique. La lèvre supérieure porte un duvet noir assez accusé. Les traits tirés dénotent d'anciennes souffrances et un tant soit peu d'âge. Les cheveux sont encore noirs.

Louise Michel ressemble à son portrait en garde nationale de 1871, un peu plus fort, avec des traits plus accentués. En la voyant, on se dit : elle a bien fait de chercher la supériorité ailleurs que dans les rôles où son sexe la trouve d'ordinaire ! »

Et Louise Michel ? Ses premiers mots sont pour son compagnon de lutte : « Où est Clemenceau ? ». Le député de Montmartre est là bien sûr, pour lui donner une accolade. Il est avec Louis Blanc et Henri Rochefort, journaliste communard et seul homme à s’être évadé du bagne de Nouvelle-Calédonie.

Les amis et camarades retrouvés, il s’agit maintenant de sortir de la gare et c’est chose peu aisée tant la foule se presse.

« Il y a eu une bousculade à la sortie. Un flot de curieux a séparé du groupe de ses amis la citoyenne Louise Michel qui avait pris le bras de la citoyenne Cadol. Des femmes se sont jetées à son cou et l’ont embrassée avec effusion. On a crié : “Vive Louise Michel ! Vive la Commune ! Vive la révolution sociale ! Vive l’humanité !”

On se presse, on s’étouffe, on s’écrase un peu. Cependant les sergents de ville parviennent a faire un passage. Au coin de la rue de Londres, on parvient à hisser Louise Michel dans un fiacre. »

Mais la foule suit la voiture où elle est montée. Les forces de l’ordre ne peuvent résister longtemps à l’enthousiasme populaire.

« La voiture n'était pas dans la rue que la foule l'avait déjà reconnue. En vain les sergents de ville s'efforcent-ils de maintenir leur cordon. Aux cris de : Vive Louise Michel ! Vive la République ! Le peuple, avide de voir et d'acclamer, rompt toutes les barrières. Les agents eux-mêmes sont entraînés dans le torrent. Désorientés, mêlés, confondus, ils prennent le parti de se joindre au cortège. »

Quand le fiacre réussit à s’éloigner en direction de Lagny, où habite la mère de Louise Michel, le journaliste du Figaro et quelques-uns de ses confrères essaient de le suivre. En vain. Les voitures ne peuvent rouler qu’au pas à cause de la foule toujours massée, et le rédacteur dépité regarde retomber la poussière.

« De tout ce bruit que restera-t-il dans quinze jours ?

L'antique présidente d'honneur des réunions publiques, deviendra, pendant quelque temps, présidente effective.

Et puis ?... Le silence. On ne parle déjà plus de ceux dont hier on traînait les voitures. La grosse foule les laissait loin derrière elle ce matin pour courir au nouvel arrivant.

Trinquet fera oublier Louise Michel. »

Saluons la sagacité du journaliste du Figaro... Car jusqu’à sa mort en 1905, Louise Michel va saisir – et construire – toutes les tribunes possibles pour continuer son engagement social et révolutionnaire. L’anarchisme, le féminisme ou la lutte contre la peine de mort. Elle est physiquement et intellectuellement sur tous les fronts.

Le discours qu’elle prononce à l’occasion du 11e anniversaire du déclenchement de la Commune la résume tout entière :

« Honneur donc à ceux qui combattront, par tous les moyens possibles (car tous les moyens sont bons), les exploiteurs et les misérables de la réaction. Cette fois, ce n'est plus la guerre généreuse et loyale que nous leur livrerons, mais une guerre implacable et sans merci.

Lorsque le peuple se lèvera, la lutte ne finira que par la victoire ou la mort. La Commune plantera son drapeau noir sur toutes les infamies, et je serai là pour le soutenir. »

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La Commune de 1871
Jules Guesde
L'Évadé - Roman canaque
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