Écho de presse

1871 : procès d’Élisée Reclus, géographe et communard

le 08/02/2022 par Michèle Pedinielli
le 22/05/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 08/02/2022

Arrêté par les Versaillais, Élisée Reclus passe en conseil de guerre au mois de novembre 1871. Tragédie de l’un des plus grands scientifiques français engagé dans la Commune de Paris.

Le 4 avril 1871, Élisée Reclus est arrêté à Châtillon par les troupes d’Adolphe Thiers. Membre de la Société de géographie, contributeur de la prestigieuse Revue des Deux Mondes, il est aussi militant anarchiste et membre de la garde nationale de la Commune. Appréhendé les armes à la main, il est envoyé en détention en attendant son procès.

Celui-ci a lieu le 15 novembre 1871. C’est en fait un Conseil de guerre et Le Figaro du 18 novembre en rappelle les chefs d’accusation.

« Élisée Reclus était accusé non seulement d’avoir pris part à l'insurrection en sortant deux fois avec son bataillon, mais encore d'avoir publié dans le “Cri du peuple” un article dans lequel il a fait appel à l'entente de tous contre le gouvernement de Versailles. »

Le journal Le Temps rapporte les moments forts du procès de l’« écrivain de science et de talent ». Contre l’accusé, on rapporte qu’il était garde au 119e bataillon de la garde nationale, membre du « mouvement des fédérés qui était, comme chacun sait, un acte d'agression contre la France personnifiée à Versailles par sa représentation nationale et son gouvernement ». Et c’est bien de cela dont est accusé le géographe, qui n’a tiré que quelques cartouches sans jamais blesser personne.

Le président du conseil de guerre l’interroge :

« Vous êtes fils d'un pasteur protestant, votre famille a fait le plus grand bien dans son quartier, et votre conduite a été excellente depuis votre arrestation, où vous donniez des leçons de mathématiques à vos codétenus ; je tenais à apprendre ces faits à MM. les membres du conseil. Vous avez signé une proclamation qui a été insérée dans le “Cri du peuple”. Vous en étiez donc rédacteur ?
R. Non, monsieur le président, mais j'ai su cependant qu'on devait l'y insérer, et j'ai été consentant.
D. Quel était votre but en publiant cet acte
 ?
R. Arrêter l'effusion du sang.
 »

Contributeur au Cri du peuple, le journal de la Commune créé par Jules Vallès, Élisée Reclus est aussi membre depuis trois ans de l’Internationale, mouvement ouvrier révolutionnaire. Il le reconnaît volontiers et ceci ne lui vaut aucune indulgence de la part de ses juges.

Elisée Reclus n’est cependant pas seul. Édouard Charton, député et directeur de la Société de géographie, vient témoigner en sa faveur.

« Je viens vous dire qu'il est un de nos savants les plus remarquables, que nous apprécions et que nous admirons tous.
Je vous prie de vouloir bien vous rappeler que si vous le condamnez, vous briserez une magnifique carrière
 ; et au nom de la science et au nom de la France, nous vous supplions de nous rendre M. Reclus que, nous vous le déclarons, nous ne croyons pas pouvoir remplacer. »

Il est immédiatement suivi par le photographe Nadar, grand ami du géographe, qui avait fondé lors du siège de Paris par les Allemands la Compagnie d’aérostiers pour surveiller l’ennemi et établir des relevés cartographiques.

« J’ai connu M. Reclus pendant le premier siège, alors que je faisais mes observations aérostatiques […]. Il faisait partie de notre compagnie d'aérostiers. Son zèle ne s'est jamais démenti.
Il venait le matin chez moi me demander s'il n'y avait rien à faire, et quand je voulais diminuer son ardeur, il répondait
 : C'est que si nous n'avions rien à faire, j'irais passer le temps aux remparts. »

Malgré ces témoignages, le commissaire du gouvernement demande « une peine  sévère, justement à cause de toutes les qualités de l’accusé qui est d’autant plus responsable de ses actes » et obtient la déportation d’Élisée Reclus en Nouvelle-Calédonie.

L’annonce de la sentence – classique pour les survivants de la Commune – bouleverse le monde des sciences. En décembre, une pétition internationale venue d’Angleterre est adressée à Adolphe Thiers. Elle est signée par une centaine de scientifiques, parmi lesquels Charles Darwin.

« Nous osons penser que la vie d’un homme tel que M. Reclus, dont les services déjà reconnus partout rendus à la littérature et à la science, promettaient pour l’avenir des services plus remarquables encore dans la maturité d’un vigoureux âge viril, que cette vie est un bienfait non seulement pour le pays qui lui a donné naissance, mais pour le monde entier. »

Le 15 février 1872, la peine est commuée en dix ans de bannissement qu’Élisée Reclus passera en Suisse. C’est là qu’il écrira son plus célèbre ouvrage, Nouvelle géographie universelle, en 19 volumes.

En 1879, il bénéficie d’une remise de peine et écrit alors une lettre publique qui montre que rien n’a changé pour l’éternel communard.

« Honoré citoyen,
Le droit de vous écrire et de signer ma lettre de mon nom, sans vous faire condamner à la prison ou du moins à l’amende, vient de m’être rendu.
Je serais un homme vil si ma première parole n’était une parole de solidarité, de respect et d’amour pour mes compagnons d’exil et pour ceux, plus durement frappés que moi, qui peuplent encore les prisons ou le bagne de la Nouvelle-Calédonie.
C’est parmi ces hommes, “couverts d'une éternelle flétrissure”, que sont mes plus nobles amis, ceux que je vénère le plus, ceux dont l’estime est mon bien le plus cher. Leur cause est toujours la mienne, leur honneur est le mien, et toute insulte qui leur est adressée m'atteint au plus profond du cœur.
 »

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