Écho de presse

Manon Cormier, avocate et résistante bordelaise

le 29/05/2021 par Michèle Pedinielli
le 25/05/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 29/05/2021
L'avocate devenue résistante Manon Cormier, dans son bureau au ministère, circa 1940 - source : Bordeaux Gazette

Avocate, Manon Cormier a lutté toute sa vie pour l’émancipation des femmes. Résistante, elle sera déportée à Ravensbrück et mourra à la Libération des traitements qu’elle y a subis.

Née le 27 août 1896 dans une famille bourgeoise et républicaine (son père, Jules Cormier, est maire de Bassens), Manon Cormier est la première femme à obtenir, à 20 ans, sa licence de droit à Bordeaux. Elle devient ainsi la première avocate bordelaise en 1921. Cette pionnière sur la région va s’attacher à défendre les plus démunis. Son autre combat, celui qui la portera toute sa vie, c’est son attachement aux droits des femmes.

En 1924, elle devient présidente fondatrice de la section girondine de la Ligue française pour le droit des femmes (LFDF), puis membre du comité central de la Ligue dès 1928, et organise de nombreuses rencontres pour défendre le droit de vote des Françaises.

Ces conférences obtiennent de plus en plus de succès ; les journaux qui en font l’écho se montrent souvent admiratifs devant ses arguments.

« Mademoiselle Manon Cormier, de la Cour d’appel de Bordeaux, intervint à son tour, avec non moins de distinction. Et les arguments des oratrices étaient d’un ordre tellement élevé, qu’ils ne purent qu’obtenir l’approbation d’un public nombreux et attentif.

Au fait, pourquoi refuserait-on plus longtemps le droit de vote à des compagnes dont nous savons reconnaître les hautes qualités de cœur et d’esprit, quand autour de nous la plupart des pays ont réalisé cette réforme. […]

De grâce, donnez à ces femmes admirables qui, dans des circonstances graves ont tant mérité du pays, comme le disait l’autre jour Manon Cormier, donnez-leur l’égalité qu’elles réclament fort justement et il n’apparaît pas que la République ait à craindre quoi que ce soit de cette réforme.

FRANÇAISES ! RÉCLAMEZ VOS DROITS ! Par les souffrances que vous avez éprouvées, vous avez acquis des droits imprescriptibles. »

Et lorsque les journalistes se demandent ouvertement si le vote des femmes n’est pas simplement une « lubie » de Parisiennes radicales pendant que les gentilles provinciales ne s’occuperaient que des affaires de leur foyer, Manon Cormier use d’une plume précise et acérée afin d’interpeller le directeur du Temps.

« C’est absolument faux et j’ai tenu à vous l’écrire, pensant que le témoignage d’une provinciale compléterait la série des réponses que vous avez recueillies. Cette objection est une pure affirmation et, pour la contredire, il me suffira de vous citer des faits.

Lors des dernières élections municipales, il y a quatre ans, nous avons organisé, à Bordeaux, un vote fictif qui, malgré une publicité très imparfaite en raison de la proximité des élections, nous a permis de recueillir plus de 6000 bulletins dans lesquels leurs signataires affirmaient leur désir de voter. […]

Partout, les femmes sont nombreuses qui désirent voter. […] Il faut bien que l’on sache par conséquent que cette prétendue indifférence des Françaises en face de la situation humiliante qui leur est créée du fait qu’elles sont à l’heure actuelle presque les seules entre toutes les femmes des pays civilisés à n’être pas encore les égales politiques des hommes, est une pure légende.

Par toute la France, il est des femmes qui ressentent ce que cette situation a de pénible, d’injuste et qui continueront à lutter avec les Parisiennes pour la faire cesser. »

Mais le droit des femmes ne s’arrête pas à celui du scrutin. Manon Cormier, qui a réussi à devenir avocate, plaide pour que toutes les femmes aient le droit de travailler. La Petite Gironde rend compte de l’une de ses interventions à propos du travail féminin, qui se généralise aux abords des années 1930.

« Mlle Cormier pense avec pertinence que c’est un bien. “Le travail éloigne, a dit Voltaire, trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin.”

D’ailleurs, le travail des femmes est indispensable à la collectivité. Empêcher la femme de travailler ne serait ni juste ni humain. D’abord, parce qu’il y a des femmes très nombreuses qui ont besoin de leur travail pour vivre parce qu’elles sont seules ; ensuite, pour les femmes qui ont une famille, leur salaire constitue un complément indispensable pour alimenter le ménage.

Et, pour terminer, Mlle Cormier dit avec force qu’il est inadmissible que les femmes françaises n’aient pas encore ce droit comme les femmes des autres pays, parce qu’elles aiment et travaillent. »

En 1934, elle écrit Madame Juliette Adam ou l’Aurore de la IIIe République, en hommage à la féministe qui tenait à Paris un salon littéraire d’opposition à Napoléon III. Elle est récompensée par le prix de l'Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux. En 1938, elle fonde elle aussi un club à Bordeaux, le club Soroptimist (signifiant : « Le meilleur pour les femmes »), qui regroupe plusieurs bordelaises ayant un emploi rémunéré.

« [Le club] réalise le rassemblement de toutes les activités féminines agissantes. Sa mission est essentiellement pacificatrice et philanthropique. Le Club Soroptimist patronne d'autre part des œuvres comme “la Maison du bébé” et “la Goutte de lait” et étend dans les domaines les plus divers son influence bienfaisante et moralisatrice. »

En 1940, elle quitte Bordeaux pour Paris, où elle devient sous-directrice au ministère du Ravitaillement. Dans l’ombre, elle entre en Résistance, en relation avec le Front national de la résistance et le réseau FTPF du Sud-Ouest.

Le 30 septembre 1943, elle est arrêtée par la Gestapo dans les locaux du ministère. Emprisonnée et interrogée jusqu’en mars 1944, elle est déportée d’abord au camp de Lauban (en Saxe), puis à Ravensbrück, où les conditions de survie épouvantables auront raison de sa santé. En mars 1945, elle est enfin ramenée en France.

« Rapatriée vivante mais épuisée », fait-elle alors télégraphier. À ce point qu’elle s’éteint à l’hôpital Boucicaut à Paris le 25 mai 1945, quelques semaines seulement après que les Françaises exercent leur droit de vote pour la première fois aux élections municipales d’avril 1945.

Depuis 1949, son nom est inscrit au Panthéon parmi les écrivains « morts pour la France ».