Maire de Lille et député socialiste du Nord, Roger Salengro devient en 1936, à 46 ans, ministre de l'Intérieur du gouvernement Blum issu de la victoire du Front populaire aux élections législatives, au sein duquel il participe à la conclusion des accords de Matignon.
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1936 : l'affaire Salengro

Mais en août 1936, les journaux d'extrême droite Gringoire et L'Action française l'accusent d'avoir déserté pendant la Grande Guerre. Malgré les résultats d'une enquête montrant qu'il avait en réalité été capturé alors qu'il allait chercher le corps de l'un de ses compagnons de tranchée, avec l'accord de son chef, la campagne de presse se poursuit. Pendant plusieurs semaines, Roger Salengro fait l’objet d’attaques incessantes. En septembre 1936, L'Action française disqualifie ses démentis comme « puant le mensonge » :
« De deux choses l'une : ou bien Salengro se refusera à demander et publier son dossier, et ce sera un aveu de culpabilité ; ou bien Salengro demandera son dossier pour faire constater sa disparition, et ce sera encore un aveu de culpabilité. »
Affecté par cette campagne de presse, épuisé et déprimé par la mort de sa femme quelques mois plus tôt, Roger Salengro se suicide le 17 novembre 1936 à Lille. « Journaux infâmes », « presse meurtrière », s'insurge L'Humanité. « Ils l'ont tué ! », écrit Le Populaire.
La réponse virulente de L'Action française contre « l'ignominie des amis politiques du disparu » ne se fait pas attendre :
« Le pays sera écœuré de cette ignoble exploitation d'un cadavre que l'on devrait cacher. Il ne sera pas dupe de cette nouvelle imposture. »
En 1940, alors que le préfet du Rhône vient de faire débaptiser dans son département les rues Roger Salengro, L'Action française ne manque pas l'occasion de jeter à nouveau l'opprobre sur l'homme et sa « fin brutale et louche » :
« Les camarades de Salengro l'avaient représenté comme une victime de la calomnie. Le suicide, qui est une fuite, n'était pas de nature à confirmer leur version. [...] Ce sont les risques du métier. Il n'y avait pas de quoi se tuer, si sa conscience était sans reproches. »
Ecrit par
Marina Bellot est journaliste indépendante, diplômée de l'Ecole de journalisme de Sciences Po. Elle a co-fondé en 2009 Megalopolis, un magazine d'enquêtes et de reportages sur la métropole parisienne, qu'elle a dirigé pendant trois ans. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages pédagogiques à destination des adolescents et a co-écrit une biographie de Jean-François Bizot, L'Inclassable, parue chez Fayard en 2017.