Interview

Vidocq, illustre « fanfaron », bagnard gracié et policier de génie

le 29/01/2021 par Xavier Mauduit
le 18/12/2018 par Xavier Mauduit - modifié le 29/01/2021
Affiche promotionnelle en faveur du « grand film en dix épisodes Vidocq », 1923 - source : Gallica-BnF
Affiche promotionnelle en faveur du « grand film en dix épisodes Vidocq », 1923 - source : Gallica-BnF

Dans une biographie passionnante, le journaliste et historien Xavier Mauduit dévoile un Vidocq humain et complexe, loin du cliché de l'ancien bagnard repenti. Une plongée tourbillonnante dans le monde de la police et de la pègre du début du XIXe siècle.

Journaliste et historien, Xavier Mauduit vient de faire paraître chez Bayard Vidocq, une vie épique

Propos recueillis par Marina Bellot

RetroNews : Votre livre, un film... Pourquoi le personnage de Vidocq continue-t-il de fasciner autant ? 

Xavier Mauduit : Vidocq est un jeune garnement, condamné au bagne pour une bêtise, qui devient spécialiste de l’évasion, puis chef de la brigade de Sûreté de Napoléon… Factuellement, il a de quoi fasciner. 

Mais ce qui est encore plus net, c’est qu’il traverse les générations, les époques, il nous parle encore aujourd’hui. Les parents de Vidocq sont des boulangers, c’est la petite bourgeoisie de province à Arras. Face à eux, ils ont un môme charmant, charismatique, mais qui est un garnement. Que faire ? Le sanctionner ? Ils le font, ils le dénoncent aux gendarmes. Ça ne marche pas. Ils pardonnent. Rien n’y fait. C’est un problème très actuel... 

Il y a aussi la thématique de la prison en tant qu'école du crime qui continue de nous parler. 

Quand il écrit en 1844 ses Considérations sommaires sur les prisons, les bagnes et la peine de mort, Vidocq cherche la raison du crime : la misère et le manque d'éducation. Ses questionnements nous parlent aujourd’hui. C’est pour ça qu’il fascine : pour sa vie elle-même et pour la portée de sa vie.

Au départ, c’est donc un jeune garçon turbulent. Quand bascule-t-il dans la délinquance ? 

Vidocq veut avant tout faire la fête. C’est un beau garçon, il aime les femmes et l’argent, il veut épater les copains. C’est un fanfaron. Alors il pique dans la caisse des parents, un grand classique. Sauf qu’à un moment la caisse des parents ne suffit plus pour assouvir son appétence d’aventures. Il veut croquer la vie.

C'est un enfant des Lumières, il ne faut pas l’oublier. Le monde s’est agrandi, il a une envie d'Amérique. Or on est dans un monde où il est destiné à faire le métier de son père… Impensable pour lui. Pour pouvoir partir, il pique toute la caisse mais il n’a malgré tout pas assez d’argent. 

Il se retrouve seul, perdu, à Ostende, où il veut prendre un bateau. Il fait mille petits métiers. On n’a pas de source pour cette période de sa vie, à part ses Mémoires. L’idée, c’est qu’il fait des petits larcins, rien de grave. Puis il s'engage dans l’armée, il devient sage mais il a un problème : c’est toujours un bagarreur, un séducteur. Et c’est pour une minable histoire de bagarre et de rivalité qu’il est condamné à une petite peine de prison. Pendant cette micro-peine, il va faire une connerie : un faux en écriture pour libérer un co-détenu. 

Il a tellement peur de la prison qu’il s'enfuit. Sauf que quand on s’enfuit alors qu’on a un procès, on est chargé par tous les autres… Et il est condamné à huit ans de bagne.

Il continue à multiplier les évasions, il est arrêté et repris et, dans sa fuite éperdue, il est sans cesse face à deux ennemis : face à la police mais aussi face à la pègre. 

Car le chantage tombe très vite. Il n’en peut plus et trouve comme échappatoire possible d’aller se mettre au service de la police comme mouchard. La première fois c’est à Lyon, après s’être échappé du bagne de Toulon, pour se venger de malfrats qui l’avaient dénoncé ; mais à l’époque, ça ne se fait pas car il n’y a pas de structure administrative pour l’intégrer à la police de Lyon.

Quelques années plus tard, il le raconte dans ses Mémoires, il est devenu marchand à Versailles sous une fausse identité ; ça marche très bien, jusqu’au jour où il est reconnu… Des types viennent lui dire : « On sait qui tu es, prête-nous ta carriole ». Il accepte, il n’a pas le choix. On lui rend la carriole avec des traces de sang. Lui qui n’a jamais eu de sang sur les mains, il prend peur et il va voir le chef de la 2e division de la préfecture de police, en disant : « je peux vous aider ». 

Est-ce une pratique répandue à l’époque ?

La police de l’Ancien Régime, c'est la police de La Reynie, la police de Louis XIV. Puis, sous la Révolution, c’est un chaos sans nom : les rues de paris ne sont pas sûres.

Pendant le Consulat, tout s’organise, mais c’est uniquement le sommet de la hiérarchie qui est organisé. Sur le terrain, c’est très flou, les agents n'ont pas de formation, rien. La porosité avec la pègre est évidente, ne serait-ce que parce qu’il faut parler la même langue, l’argot.

Vidocq va mettre en place une brigade de sûreté avec très peu d’agents. Mais ils vont être très efficaces. Ils vont inflitrer les milieux, faire des filatures, des planques… Le système des indicateurs devient vraiment efficace.

Vidocq a une vraie conscience de ce qu’est Paris, le monde des tavernes… Il arrive à infiltrer ce monde et il va même un peu plus loin : il va provoquer le crime pour faire tomber les malfrats. C’est ça qui lui est énormément reproché.

Mais ce qui est intéressant, c’est que Vidocq ne pense pas qu’on naît mauvais. Non, pour lui c'est beaucoup plus complexe. Il ne faut pas oublier qu’on est dans une période de guerre, tous ceux qui reviennent après Waterloo par exemple, que font-ils pour survivre ? Tous les maçons en plein hiver qui n’ont pas de boulot, comment arrivent-ils à nourrir les enfants ? Ils volent... Vidocq a toute cette lecture-là. 

De fait, les chiffres sont excellents : plus de 20 000 arrestations sur toute sa carrière.

Quelles sont ses plus grandes affaires ? 

Là où il a été le plus efficace, c’est dans le tout petit, l’invisible, ces milliers de petites arrestations qui rassurent et rendent les rues plus sûres : Vidocq a pacifié Paris. C’est sa vraie réussite.

Mais il a aussi de grandes affaires à son actif : celle du comte de Saint-Hélène par exemple. On est dans cette période où changer d’identité est assez facile. Le comte de Saint-Hélène est en réalité un ancien forçat, Pierre Coignard, qui prend l’identité d’un comte et se fait passer pour un émigré qui est revenu. Il obtient des responsabilités à la cour de Louis XVIII. En parallèle, il continue de mener une bande de malfaiteurs. Changer d'identité et se reconvertir, Vidocq pourrait le comprendre, mais continuer à être malfrat, ça ne passe pas…

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Y’a-t-il des bavures dans la police de Vidocq ? 

Énormément de bavures qu’on ne connaît pas, parce qu'on est dans la police secrète. Mais ce qui est certain c’est qu’il y avait beaucoup de choses cachées, notamment de l’argent détourné. On a beaucoup reproché à Vidocq, pour faire fonctionner son réseau d'indicateurs, de prendre de l’argent sur les tables de jeu. C’est un classique.

À la fin des années 1820, il y a une volonté de refonte des forces de l’ordre, et Vidocq devient alors une anomalie gênante. 

Le monde a changé, et fin 1820 Vidocq est déjà un monsieur d’une autre époque. Ça bascule vite : en 1812, il crée la brigade de Sûreté, en 1818 il obtient sa grâce, et en 1827, la collaboration avec la police s’arrête.

Charles X veut reprendre en main la police. Le préfet de police est très attaqué. Vidocq est en quelque sorte une victime collatérale de ça. Il faut du sang neuf, il faut donner confiance en la police – ça ne suffit pas d'ailleurs, puisque Charles X est renversé quelques années plus tard… De fait, la police ne change pas vraiment. Quand Vidocq est remercié, c’est Coco-Latour qui le remplace, son ancien numéro 2. Le fonctionnement reste le même : indicateurs, infiltrations, etc.

Il faut attendre la fin du XIXe et le début du XXe siècle pour que ça change vraiment, avec l’arrivée de la police scientifique, la police de Bertillon, puis les Brigades du Tigres…

Vidocq monte ensuite une usine de papier. Il invente le papier « infalsifiable »…

Il a l’impression d’inventer le papier infalsifiable définitif... Il met beaucoup d'espoir dedans, mais ça ne marche pas : les voleurs ont toujours un coup d’avance. Son papier coûte cher à fabriquer et à acheter : l’administration ne veut pas investir dans quelque chose qui sera vite dépassé. Vidocq est très déçu.

Son usine de papier dure par contre assez longtemps, elle fonctionne bien.

Ensuite, il monte son agence de détectives privés. On est dans un monde en manque d’informations. Ne serait-ce que connaître une adresse… Lui, retrouver des gens, il sait faire. Il fait l'enquête, il a des contacts partout. C’est ça son métier, sa spécialité.

De même, on est dans un monde sans photo. Cette personne est-elle bien celle qu’elle prétend être ? Vidocq accumule des dizaines de milliers de dossiers sur les malfrats. On paye pour aller consulter ses dossiers.

Une des particularités de ce personnage, c’est que sa légende se construit de son vivant… 

Vidocq devient un « personnage » dans les années 1820. C’est une figure parisienne. Il est connu et il en joue, il a besoin d'être cette figure pour imposer son pouvoir.

Tout passe par la publicité. Il y a la publicité d’éditeur quand sortent ses Mémoires, la publicité des rivaux de Vidocq qui veulent contester ce qu’il écrit. Et la publicité dès que Vidocq a un procès parce que ça fait vendre. On se dit : « il a des secrets, il va balancer à l’audience ».

C’est un mouvement tourbillonnant : son livre fait vendre, il veut que son livre lui fasse de la pub et ça n'arrête pas. Et là-dessus, s’ajoute la couche de la littérature : il faut imaginer que cet homme-là mange chez Balzac, qui est déjà un grand écrivain à l’époque. Et Balzac fait de lui son personnage Vautrin. Ce n’est pas rien !

De quoi sont faites les dernières années de sa vie ?

Elles sont tristes. J’ai été surpris de retrouver aux archives de la préfecture de police énormément de rapports de Vidocq, alors qu’il commence à être déjà un vieux monsieur. Il repère des complots, il suit, il observe, il fait des tournées en banlieue, il va en Normandie… Presque tous les jours il fait des filatures, et il envoie rapport sur rapport.

À force de les lire, par des petits bouts de phrase, je me suis rendu compte qu’il n’est pas écouté : personne ne lui demande rien, c’est lui qui essaie de se rendre indispensable. Il fait ce qu’il a toujours su faire : il provoque le complot, pour démonter le complot. Sauf que là ça devient triste parce qu’on ne lui répond pas – on ne le reçoit même plus…

Et au milieu de tous ces rapports apparaissent de plus en plus des demandes d’aides : j’ai besoin d’argent car les voyages coûtent cher, j’ai besoin d’une pension… Mais il reste malgré tout flamboyant, c’est le vieux lion.

N'a-t-il pas été toute sa vie un homme fondamentalement seul ? 

Il y a des femmes autour de lui, mais elles ont une place secondaire. 

Il n'a plus que quelques amis sur la fin, il les a tellement tapés… Les gens n’ont plus tellement confiance en lui.

Personnellement, je ne suis pas sûr que j’aurais aimé le rencontrer. En tant qu’élève, il a dû être insupportable. Pour ses parents aussi. Avec ses co-détenus, il a fini mouchard, il les a tous balancés. En tant que policier, il était assez terrible parce qu’il ne respectait pas les codes de la police elle-même. Il était toujours dans deux mondes.

Et puis il y a cette tache indélébile de forçat, même s’il a été gracié.

Mais c’est un personnage incontournable dans l’imaginaire. C’est un exemple du « tout est possible ». Un petit électron libre qui traverse toutes les époques.

Vidocq, une vie épique de Xavier Mauduit est publié aux éditions Bayard.

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