Interview

Le chien, histoire d’un adorable « objet » domestique

le 13/10/2020 par Victoria Vanneau, Mazarine Vertanessian - modifié le 13/10/2020
« Meute de vingt-cinq harriers-beagles, à M. le prince Henri de la Tour d’Auvergne », Les Sports modernes, 1905 - source : RetroNews-BnF
« Meute de vingt-cinq harriers-beagles, à M. le prince Henri de la Tour d’Auvergne », Les Sports modernes, 1905 - source : RetroNews-BnF

En faisant remonter les liens affectifs entre l’homme et le chien à l’Antiquité et en étudiant leurs rapports depuis lors, l’historienne du droit Victoria Vanneau retrace l’histoire de la longue bataille juridique ayant abouti à ce que l’on nomme aujourd’hui les « droits des animaux ».

Considéré tout à tour comme une menace, un outil de travail, puis un membre de la famille à part entière, le chien, célèbre « meilleur ami de l’homme », a pris une place affective de plus en plus importante dans l’histoire de l’humanité. Dans son ouvrage Le Chien. Histoire d’un objet de compagnie, l’historienne du droit Victoria Vanneau analyse les faits juridiques attestant de la relation supposée « ancestrale » entre l’Homme et son compagnon à quatre pattes.

Depuis que les philosophes de l’Antiquité ont évoqué la question de l’âme des animaux, un vaste débat est ouvert : les chiens appartiennent-ils plutôt à la catégorie des choses, ou des personnes ? Le code napoléonien de 1804 indiquait par exemple que l’animal de compagnie n’était ni plus ni moins qu’une table, tandis qu’une loi a permis, en 2015, de faire reconnaître sa sensibilité.

En étudiant notamment un vaste corpus juridique, l’auteure retrace l’histoire d’une longue bataille pour la reconnaissance des droits des animaux.

Propos recueillis par Mazarine Vertanessian

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RetroNews : De quand date la domestication du chien ? 

Victoria Vanneau : C’est très ancien. Cela remonte au moment où l’homme a besoin de l’animal pour l’accompagner dans sa vie quotidienne ou dans son travail – pour chasser ou garder des troupeaux – il y a deux bons millénaires. Les Gaulois élèvent certaines races pour la consommation de leur viande et pour la guerre. 

Puis au Moyen Âge, les grands lévriers irlandais sont utilisés par les chevaliers pour combattre et attaquer l’ennemi. C’est aussi le cas pendant la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle les chiens sont dressés à aller déposer des bombes sous les chars ou à aider les blessés. On s’en sert comme de la chair à canon, car c’est un animal qui s’éduque facilement et se faufile partout.

Mais on voit qu’avec les siècles, les rapports évoluent et l’humain en fait un animal de compagnie à partir du XIXe siècle.

Deux écoles de pensée s’opposent : celle qui voudrait que le chien soit un « animal doté d’une âme » et celle qui, au contraire, défend la théorie de l'« animal-machine ».

Dans l’Antiquité déjà, il existe deux camps. Les amis des bêtes, autour de Pythagore – qui est végétarien – leur reconnaissent une âme et une raison. De l’autre côté, il y a Aristote, accompagné des Stoïciens, scientifiques pur jus, qui considèrent le chien uniquement comme outil de connaissance anatomique.

Au XVIIe siècle, Descartes redécouvre les théories d’Aristote et élabore l’idée que les animaux n’ont ni âme ni raison. Celui qui pousse au bout cette théorie de l’animal machine, c’est Nicolas Malebranche. Il écrit notamment que les animaux sont « pareils à des horloges ». On peut leur donner des coups de pied, ils ne sentent rien et leurs couinements sont pareils à un cliquetis mécanique. 

Cette théorie sera battue en brèche par les philosophes des Lumières, qui n’admettent pas que les animaux sont dénués d’âme. Dans un article du Dictionnaire Philosophique intitulé « Bêtes », Voltaire s’offusque de la vivisection – les chiens, les porcs et les singes servant alors à la science d’objets d’étude pour découvrir l’anatomie.

Quelles sources avez-vous mobilisé ?

J’ai lu de nombreux ouvrages philosophiques – dont Le Silence des bêtes d’Isabelle de Fontenay. Et j’ai parcouru beaucoup de textes juridiques, des débats parlementaires comme ceux autour de la loi Grammont qui, en 1861, a reconnu la sensibilité animale pour la première fois. Et un certain nombre de décisions de la cour de cassation, car les juges ont dû souvent se prononcer contre les violences commises sur des chiens mais aussi sur les rapports entretenus au quotidien avec l’animal – puisqu’à partir du XIXe siècle, le chien devient un « membre à part entière » de la famille. Et donc forcément les propriétaires se tournent vers la justices à maintes occasions. 

Dans les années 1960, la justice doit trancher sur ce qu’il convient de faire de la dépouille d’un animal. Il y aussi des décisions de justice prises en matière de divorce dans les années 1970. Enfin, il y a le cas de saisies puisque pendant longtemps, et jusque dans les années 70, le chien est un bien saisissable. Tous ces textes juridiques m’ont permis de construire mon ouvrage.

Dès le Moyen Age, on trouve mention de chiens dans certains textes juridiques… 

Oui, ce sont les fameux procès aux animaux. Il y a peu de procès faits aux chiens, cela concerne surtout les porcs qui divaguent librement dans les rues. L’important est que ces procès ont abouti à juger les animaux pour leurs actes commis à l’encontre des hommes. Le développement de l’esprit critique et de la rationalité moderne au XVIIIe siècle va rendre ces procès tout à fait incongrus. Toutefois, on rapporte quelques cas qui relèvent plus de l’anecdote que de l’affaire judiciaire. 

Dans un jugement du 17 novembre 1793, le Tribunal révolutionnaire de Paris condamne ainsi à mort un chien, acquis aux mœurs aristocratiques, pour avoir mordu à plusieurs reprises un porteur de billets de garde. « La manière dont il aboyait semble indiquer des menaces contre le nouvel ordre des choses », estiment certains observateurs. La responsabilité du chien engageant celle de son maître, ce dernier monte aussi sur l’échafaud. 

Pendant longtemps, vous dites qu’il était mal vu d’avoir un animal.

Encore au début du XXe siècle, les vétérinaires eux-mêmes ne portent pas grand intérêt aux chiens car on considère que ce sont des bêtes sans valeur. Les chiens sont considérés comme de la vermine car il y a en a partout.

Mais il faut faire la différence entre les chiens des catégories sociales élevées et ceux du peuple. C’est contre les chiens détenus par les classes populaires que a plupart des voix s’élèvent. On part du principe que, non seulement les pauvres n’ont pas les moyens de se nourrir mais en plus il font des enfants et ont des animaux… Le discours lié à l’animal est alors uniquement économique mais c’est oublier qu’il y a une grosse part d’affectif.

Et, concernant les classes populaires du XIXe siècle, au-delà de l’enjeu affectif, le chien est aussi un soutien pour travailler. Il peut, par exemple, tracter une charrette quand on n’a pas les moyens de se payer un cheval. 

Parmi les classes plus aisées, le chien devient au même moment un animal de compagnie, dans le sens où on l’entend aujourd’hui.

En effet, le chien n’est plus seulement utilisé comme compagnon de travail, il rentre dans la famille. Il existe toujours un rapport de domination – car il est nourri et élevé par l’Homme – mais des liens forts se créent. Dans les années 1860, les expositions canines sont à la mode et rendent l’attachement au chien plus acceptable. Importées d’Angleterre, elles sont l’occasion pour la haute société parisienne de parader avec son chien fétiche ou bien de s’en procurer un. 

L’exposition de 1905, sur les terrasses de l’Orangerie aux Tuileries, réunit pendant huit jours près de 1 500 spécimens. 

Une chose, pourtant, continue longtemps à faire bondir : acheter un chien. Certains ne comprennent pas la dépense engendrée pour cette chose qui ne ressent rien. 

En 1850, une loi est votée pour la première fois en France contre les violences faites aux animaux.

Oui, le général Grammont propose une loi concernant, au départ, uniquement les chevaux – ceux-ci sont, dans l’espace public, extrêmement mal traités. Il bataille ferme pour mettre en place cette législation et ce n’est pas facile car sa loi est votée sous les huées – on crie « ouaf ! ouaf ! » et « coin ! coin ! » – de l’assemblée. Mais cette loi, qui est une très bonne chose, ne prend en considération que les violences visibles dans l’espace public.

Une autre loi vient donc la compléter tardivement, en 1959, en prenant en considération toutes les maltraitances, même celles commises dans l’espace privé. À partir des années 60, la législation ne fait qu’augmenter et progresser pour protéger les animaux de toute maltraitance, de la simple tape jusqu’à l’acte de cruauté. Jusqu’à la loi de 1976 qui reconnaît la nécessité d’un bien-être animal. Le problème c’est que jusqu’en 2015, le bien-être animal n’est reconnu que dans le Code pénal et non dans le Code civil.

Pourquoi un tel retard, selon vous ?

Car les enjeux sont très importants. Les lois votées en faveur des « animaux » ne concernent pas que les chiens et les chats, mais aussi les vaches, porcs, lapins… destinés à la consommation. Or, on sait qu’un certain nombre d’élevages ne correspondent pas aux normes.

La notion de bien-être est quand même entrée dans le Code civil en 2015, ce qui permet d’aller en justice au nom de la protection du bien-être animal. Mais, ce qui n’a pas changé, c’est que les animaux demeurent considérés comme des « objets ». L’article 528 du Code civil les classe toujours comme « choses ». Animées certes, puisqu’elles peuvent se déplacer d’un point à un autre mais elles n’ont pas plus de valeur qu’un meuble.

Et tant que nous n’aurons pas révisé ce statut juridique, l’homme entretiendra un rapport de domination à l’animal, avec potentiellement des cas de maltraitance.

Victoria Vanneau est historienne du droit. Son dernier ouvrage, Le chien. Histoire d’un objet de compagnie, paru en 2014, vient d’être réédité au format poche aux éditions Autrement.