Interview

Collaboratrices : les femmes condamnées à mort pendant l’Epuration

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De gauche à droite, Andrée Brandt, Yvonne Toupnot et Marcelle Haubourdin, toutes trois condamnées à mort à la Libération. La deuxième a été fusillée, les deux autres graciées - source : RetroNews-BnF

Dans sa thèse de doctorat, l’historien Fabien Lostec a étudié le dernier pic historique d’application de la peine capitale aux femmes : l’épuration judiciaire menée à partir de la fin de l’été 1944 à l’encontre des « femmes collabo ».

Si la France a été le dernier pays d’Europe occidentale à appliquer la peine de mort, jusqu’à la fin des années 1970, elle l’a abolie dans les faits beaucoup plus tôt pour les femmes. À partir de la toute fin du XIXe siècle, celles-ci ne sont plus exécutées qu’exceptionnellement.

L’épuration menée à la Libération, à partir de la fin de l’été 1944, marque l’ultime pic historique de cette pratique, avec 650 condamnations à mort de femmes et 45 exécutions légales. Environ une femme sur cinq exécutée entre la Restauration et l’abolition de la peine capitale l’a été durant cette séquence historique, dont l’historien Fabien Lostec a restitué le déroulement et les mécanismes dans sa thèse de doctorat.

Propos recueillis par Jean-Marie Pottier.

RetroNews : D’où vous est venue l’idée d’étudier les condamnées à mort pour faits de collaboration à la Libération ?

Fabien Lostec : L’idée était de prendre le contrepied de la mémoire collective, qui ne retient de l’épuration des femmes que la figure des « tondues », elle-même souvent associée à celle des femmes ayant « couché » avec les Allemands. En m’attaquant à l’épuration judiciaire, là où la tonte est une épuration extrajudiciaire, et aux plus lourdes peines, je voulais voir si des femmes n’avaient pas collaboré politiquement, policièrement, voire militairement, et participé d’une manière ou d’une autre à des actes de violence ou de torture. En un mot, je voulais savoir si elles n’avaient pas intégré ce que les historiens nomment le collaborationnisme.

Les femmes sont certes moins présentes dans la collaboration la plus extrême mais celles qui le sont, prises notamment dans une dynamique d’affirmation au sein du groupe, ne sont pas moins engagées, et parfois violentes, que les hommes.

Comment expliquez-vous ce « vide mémoriel » autour des condamnées à mort ?

Il y a clairement dans l’imaginaire social une occultation, qui ne se réduit pas à la Libération, de l’alliance entre femmes et politique et entre femmes et violence. Selon cet imaginaire, les femmes exerceraient une collaboration dénuée de fondements idéologiques, ce qui est principalement à mettre en relation avec leur exclusion des droits civiques. Elles sont donc représentées sous les traits de la « collaboratrice sentimentale » ou de la délatrice agissant pour régler des différends d’ordre privé. Mais on oublie souvent qu’avant la guerre, le fait de ne pas avoir le droit de vote n’empêche pas les femmes d’être impliquées dans la vie politique et de participer à des organisations politiques.

Durant l’Occupation, de nombreuses collaboratrices par la suite condamnées à mort ont des convictions idéologiques et militent au sein du Parti populaire français de Jacques Doriot, du Parti franciste de Marcel Bucard ou encore de la Milice.

Quelle est l’ampleur statistique de cette épuration ?

Avant ma thèse, on était dans un trou noir historiographique. Le chiffre admis du nombre d’exécutés après jugement d’une cour de justice était de 767 mais on n’en connaissait pas la répartition par sexe. Et pour les tribunaux militaires, non seulement on ne connaissait pas ce ratio mais même le total d’un peu moins de 770 fusillés restait débattu et incertain car il avait été lancé au début des années 1950 par Jacques Isorni, l’avocat de Pétain et Brasillach. Ses estimations avaient certes été confirmées dans les années 1960 et 1970 par les correspondants du Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale mais ces derniers n’avaient pas étudié tous les départements.

Ma source de départ, primordiale, est constituée des décrets de grâce, disponibles aux Archives nationales. Ces décrets m’ont permis de recenser les femmes condamnées à mort, dont le recours en grâce était automatique. Je me suis ensuite rendu dans les centres d’archives départementales pour c...

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