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Marius Jacob, génial cambrioleur anarchiste

le par - modifié le 26/08/2020
le par - modifié le 26/08/2020

En mars 1905 s’ouvre le procès de Marius Jacob et de sa bande, « les Travailleurs de la nuit ». Anarchistes et cambrioleurs, ils ont commis plus de 150 vols, choisissant les cibles les plus riches et les plus inutiles à leurs yeux.

« Dieu des voleurs, recherche les voleurs de ceux qui en ont volé d’autres – Attila »

Le 14 février 1901, les gendarmes et hommes d’église qui constatent le cambriolage de l’église Saint-Sever de Rouen, trouvent une note mystérieuse.

Plus tard, le 9 juin, au domicile du juge de paix Hulot au Mans, un autre billet, « Au juge de paix, nous déclarons la guerre », signe le vol… d’un mouchoir aux initiales du magistrat.

La bande des « Travailleurs de la nuit » laisse ainsi parfois des messages rédigés de la main de son chef, Marius Jacob.

Né à Marseille en 1879, Alexandre Marius Jacob (dit aussi Georges, Escande, Férau, Jean Concorde, Attila, Barrabas) passe sa jeunesse comme mousse sur les bateaux. Quand il revient dans sa ville natale, ses convictions anarchistes le font tomber dans le piège d’un provocateur de la police. Arrêté puis relâché, le jeune homme ne trouvera jamais un emploi stable, les policiers venant rendre visite à chacun de ses employeurs.

Son anarchisme militant se concrétise alors dans l’« illégalisme pacifique ». S’il ne peut plus travailler, il ira chercher l’argent là où il se trouve (patrons, juges, militaires, clergé) sans toucher aux professions qu’il juge « utiles » (médecins, instituteurs, architectes...)

Son premier coup d’éclat contre le commissionnaire du Mont de Piété à Marseille attire l’attention du public par son audace sans violence.

« Quatre messieurs pénétrèrent dans le bureau. Le premier, de belle prestance, était vêtu de noir et portait sous son pardessus, nouée à la ceinture, l'écharpe tricolore des représentants de la loi.

– M. Gil ?

– C'est moi, monsieur.

– Je suis commissaire de police et chargé, par M. le procureur de la République, d'une mission pénible. Je dois exercer une perquisition complète chez vous. Voici l'ordre du Parquet.

Le commissaire fit ouvrir les tiroirs de tous les meubles et s'empara de sommes d'argent et de divers objets évalués à 8 000 francs environ.

Puis, la perquisition terminée; le commissaire ferma le carton et y opposa un sceau en cire rouge. Et, non sans sévérité, le magistrat pria M. Gil d'avoir à se tenir à la disposition du procureur de la République pour supplément d'enquête, si elle était nécessaire.

Le magistrat et ses agents sortirent.

M. Gil resta un moment étourdi, ne pouvant pas comprendre quelle était la cause de la sévérité avec laquelle on venait de le traiter. Cependant, la réflexion lui vint qu'il pourrait bien avoir été la victime de quelque hardi fripon. »

Cette escroquerie tout en douceur fait les gorges chaudes des Marseillais pendant longtemps.

S’ensuivent cinq années où les « Travailleurs de la nuit » vont multiplier les cambriolages, toujours avec la même dose d’audace et d’ingéniosité. On leur doit le « coup du parapluie » qui permet de creuser un trou dans un plafond tout en récupérant les débris dans le parapluie ouvert et d’amortir le bruit de leur chute (repris par le réalisateur Jules Dassin en 1955 dans son film Du Riffifi chez les hommes).

Après leur arrestation en 1904, le procès qui s’ouvre en mars 1905 permet à tous de découvrir l’ingéniosité de la bande. Les journalistes eux-mêmes sont estomaqués.

« Il serait trop long d'énumérer tous les trucs de ces ingénieux malfaiteurs.

Ils possédaient pour correspondre une cryptographie. Ils avaient chiffré le mot “Portugaise” et s'en servaient ainsi :

P O R T U G A I S E

1 2 3 4 5 6 7 8 9 0

1 = P ; 2 = O ; 3 = R, etc.

Pour signifier Paris, ils écrivaient : 173S9. Toulon, dans leurs lettres, devenait : 42512. On disait qu'un camarade maladroit s'était fait 7330403 (arrêter) ; on le plaignait d'avoir été 1389, etc.

Naturellement, on correspondait autant que possible avec des encres sympathiques. »

Photo d'identité d'Alexandre « Marius » Jacob, 1903 - source : WikiCommons

Une organisation impeccable leur permettait d’assurer des coups sûrs la plupart des temps.

« Deux éclaireurs s'en allaient par le chemin de fer, de ville en ville, chercher les maisons dont les maîtres étaient absents et qui fussent faciles à dévaliser – même en voyage.

Quand ils avaient trouvé le cambriolage à faire, ils envoyaient une dépêche dont le texte était indifférent. Mais, signé Georges, le télégramme signifiait : “Venez” ; signé de tout autre nom, il voulait dire : “Rien à faire” […]

Directement, ils allaient à la maison indiquée. Les éclaireurs avaient pris les précautions classiques pour vérifier que personne n'était revenu depuis leur inspection : ils avaient mis aux portes de ces petits scellés de fil que brise le moindre effort et dont l'intégrité atteste, à coup sûr, que la porte n'a point été ouverte. »

Plus que cette ingéniosité, c’est la personnalité de Marius Jacob qui frappe pendant le procès. Loin d’être impressionné par les magistrats et les policiers qui l’entourent, il est suffisamment à l’aise pour répondre du tac au tac aux questions et exposer ses convictions anarchistes et illégalistes : « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend ».

« Ce Jacob est un bandit assez intéressant, beau parleur et ne manquant pas d’esprit d’à propos.

Il traite la justice sans déférence et les témoins avec mépris. Il se dit anarchiste, c’est une assertion qu’il est malaisé de contrôler, car la frontière qui sépare l’anarchiste du cambrioleur n’a pas encore été nettement tracée.

Jacob n’aime ni la noblesse, ni le clergé, ni l’Église ; il ne montre pas un goût plus prononcé pour les patrons et les propriétaires.

[…] À sa façon de répondre au juge qui l’interroge, on peut croire qu’il a pour lui l’avenir, et les conseillers intimidés par son assurance lui laissent déclamer sans l’interrompre un programme politique et social qui sera peut-être celui du gouvernement de demain. »

« Les travailleurs de la nuit opèrent à Caen, Calvados » dans La Lanterne, 1905 - source : RetroNews-BnF

Pendant les audiences, Jacob rallie souvent les rires du public, comme le constate l’envoyé du Figaro.

« Jacob a eu de ces réponses stupéfiantes, de ces répliques qui soulèvent le rire d'une salle. […]

– Pourquoi, lui demande-t-on, ne pratiquez-vous vos vols qu'en province ?

– C'est un moyen comme un autre de faire de la bonne décentralisation !

– Pourquoi avez-vous mis le feu à la propriété de Mme de Postel ?

– Parce qu'elle en avait une ! »

À l’issue du procès, Marius Jacob est condamné aux travaux forcés à perpétuité.

Envoyé à Cayenne, il va tenter dix-huit fois de s’évader. Il y rencontre Albert Londres, venu enquêter sur l’enfer du bagne [lire notre article]. Ce dernier se joindra à une campagne de soutien pour sa libération.

Le 14 juillet 1925 Jacob est rapatrié en métropole par grâce présidentielle et emprisonné à Fresnes. Libéré en 1927, il devient commerçant ambulant avant de partir en 1936 aux côtés des Républicains espagnols.

À la fin d’une existence sans concession, Marius Jacob décide de se suicider pour éviter la déchéance de la maladie et conserver la maîtrise de sa vie. Il s’empoisonne à la morphine le 28 août 1954, laissant une dernière note :

« Linge lessivé, rincé, séché, mais pas repassé. J'ai la cosse. Excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. À votre santé. »