Écho de presse

Quand Regards dénonçait les fraudes de l'industrie alimentaire en 1935

le 24/05/2022 par Marina Bellot
le 17/09/2018 par Marina Bellot - modifié le 24/05/2022
Illustration parue dans le mensuel Regards, 25 juillet 1935 - source : RetroNews-BnF
Illustration parue dans le mensuel Regards, 25 juillet 1935 - source : RetroNews-BnF

Alors que la consommation de masse se développe durant l'entre-deux-guerres, Regards dévoile les multiples procédés frauduleux mis au point par les industriels afin de tromper les consommateurs et réaliser de substantielles économies.

1935. Le temps des privations de la Grande Guerre semble loin. L’industrie agroalimentaire s’est développée aux États-Unis et en Europe dans les années 1920, tandis que de grosses entreprises s'imposent sur le marché français, telle Lactalis ou Danone.

Et, très vite, les pratiques frauduleuses des industriels sont pointées du doigt. En 1935, l'habdomadaire communiste Regards dénonce ainsi l’utilisation massive d’ersatz, des « sous-équivalents » de moindre qualité destinés à remplacer à peu de frais le produit original, sans en conserver les propriétés nutritionnelles. 

Si les ersatz étaient, à l'origine, utilisés en période de restrictions pour se nourrir malgré les faibles ressources à disposition, l'industrie agroalimentaire ne se prive pas d’en user et d’en abuser dès l'entre-deux-guerres, quitte à menacer la santé des nouveaux « consommateurs de masse ».
 
Le mensuel Regards décide de mener l’enquête pour éveiller les consciences. Car, déplore le journaliste :  

 « Combien illogique est ce régime où nous vivons, ce régime de la restriction dans l'abondance, de la misère dans l'opulence. 
 
Quand une société pour aller de l'avant est obligée d'avoir recours à l'illusion et au voile, au truquage et à la suggestion, le signe de sa chute est tout proche. »

Pâté, saucisson, vinaigre, pâtisseries, vins, bières... Tous les produits de consommation courants sont concernés. 

 « Tout un peuple mange à table et mange à blanc. La situation est telle dans l'industrie, les falsifications sont tellement généralisées qu'il n'est guère possible de se nourrir et d'échapper à la fraude. »

Avec l'aide des chimistes du Service des fraudes, l'enquêteur de Regards met au jour les pratiques les plus courantes des industriels d'alors – qui ne sont pas sans rappeler des scandales récents, comme l'utilisation de viande de cheval à l'insu des consommateurs :

« Voyez-vous ce beau saucisson ? Eh bien, ce spécimen appartient à la catégorie du  saucisson aux pois.

– Aux pois ?

– Pendant la guerre de 1870, les Allemands à court de viande ont eu l'idée de fabriquer ce saucisson [...] composé de farines de pois, de gras de bœuf réduit, de lard dégraissé avec addition de jus d'oignons et divers condiments. [...] De nos jours, ce produit imposé par les nécessités de la guerre a pris rang dans l'industrie et on le vend aujourd'hui de façon courante.

On ne fabrique d'ailleurs dans le commerce de la charcuterie pas seulement des produits contenant des pois, mais la viande de cheval remplace souvent la viande de porc, de bœuf, de veau, de mouton. Je n'énumère évidemment pas les cas où l'on ajoute purement et simplement de la mie de pain. »

Vient ensuite l'analyse des conserves, dont l'usage est largement courant dans les années 1930 : 

« Voici du lait concentré, des tomates, de la marmelade, des légumes.

– Dans cet échantillon que l'on nous a remis, le lait devait être additionné d'une quantité d'eau bien supérieure à celle que l'on pouvait employer en réalité.

– Et pour les tomates ?

– Il arrive que nous trouvions du potiron, des carottes, mélangés à la sauce destinée à la consommation.

– Et pour les légumes verts ?

– Les fraudeurs emploient des sels de cuivre pour rendre aux légumes verts la couleur naturelle que la cuisson leur a fait perdre. »

Concernant la bière, le constat est encore plus inquiétant :

« Les succédanés du malt et du houblon ont envahi la fabrication du précieux liquide jaune. Et avec eux la bière est devenue son vent imbuvable.

On remplace aujourd'hui couramment le principe amer du houblon par de l'acide picrique, du fiel de bœuf, de l'aloès, de la salicine, du cubèbe, de la noix vomique, du buis. Jusque-là vous buvez seulement amer, sans grand mal pour la santé.

Mais voici que l'on a fait dire leur mot aux sulfites, aux carbonates alcalins, aux cuivres, au plomb, au zinc, à l'alun.

Dans leur désir de vous donner le change, les industriels de la soif ont délégué leurs agents les plus nocifs et ont entrepris d'encrasser systématiquement vos organes. »

Quant au vin, outre l’introduction massive de sulfates, l’une des pratiques frauduleuses les plus fréquentes consiste alors à « relever par une addition d'alcool la richesse spiritueuse d'un vin afin qu'il se conserve mieux et puisse être transporté », comme l'expliquent les agents du service des fraudes :

« Ayant forcé intentionnellement la dose d'alcool, on réduit ensuite le degré (= équilibre entre l'acidité et la teneur en alcool) par addition d'eau. 

En outre, et à moins d'une conscience exceptionnelle, ceux qui se livrent à cette pratique, y emploient, non de l'eau de vie de vin d'un mage trop dispendieux, mais des alcools de commerce très inférieurs, qui communiquant aux vins leurs propriétés malfaisantes, altèrent gravement la santé des consommateurs. »

En 2018, plus de 80 ans après cette enquête, les ersatz alimentaires continuent d’être fréquemment utilisés par certaines marques de l’industrie agroalimentaire et les scandales se succèdent, malgré de multiples mesures de règlementation visant à encadrer les pratiques des industriels.