Interview

Stéphane Bourgoin : « Dumollard et Vacher ont été les premiers tueurs en série français »

le 29/01/2021 par Stéphane Bourgoin
le 18/03/2019 par Stéphane Bourgoin - modifié le 29/01/2021
L'assassin Joseph Vacher en train d'accomplir l'un des ses nombreux forfaits, extrait du livre « Le Tueur de bergers » circa 1900 - source : Gallica-BnF
L'assassin Joseph Vacher en train d'accomplir l'un des ses nombreux forfaits, extrait du livre « Le Tueur de bergers » circa 1900 - source : Gallica-BnF

Auteur prolifique, Stéphane Bourgoin est un spécialiste mondialement reconnu des serial killers. Comment le phénomène des tueurs en série a -t-il fait son apparition en France ? À quelle époque et par le biais de quelles affaires ?

Stéphane Bourgoin est l'auteur de 47 livres traitant des tueurs en série. On lui doit entre autres les sommes « Serial Killers, enquête sur les tueurs en série », « Le livre rouge de Jack l’Éventreur » ou « 100 ans de serial killers ».

Ses ouvrages les plus récents sont « Moi, Serial Killer. Douze confessions terrifiantes de tueurs en série » paru en 2017 aux éditions Grasset, et « L’Homme qui rêvait de devenir Dexter » paru en 2018 aux éditions Ring.

Propos recueillis par Arnaud Pagès

Bonjour M. Bourgoin. Selon vous, qui sont les véritables premiers « tueurs en série » français ?

Stéphane Bourgoin : Au XIXe siècle, deux affaires vont particulièrement défrayer la chronique. Celle de Martin Dumollard, un tueur fétichiste qui sera guillotiné en 1861 devant sa propre maison. Et celle de Joseph Vacher, le premier routard du crime. Avant eux, il y avait eu Gilles de Rais au XVe siècle puis, dans les années 1570, le « Loup-garou de Dôle », un tueur qui finira brûlé vif sur le bûcher pour des crimes de cannibalisme.

Mais Dumollard et Vacher, dont le parcours criminel est documenté avec précision, sont les premiers tueurs en série français à être identifiés comme tels.

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C'est donc au XIXe siècle que la presse et l'opinion prennent conscience qu'il existe des assassins « différents » des autres ?

Absolument. Il faut également citer l'affaire Pierre et Marie Martin en 1833, un couple qui tue des voyageurs en les attirant dans leur auberge – « l’auberge rouge ». Et, en 1867 à Paris, l'affaire du boucher Jean-Charles Avinain, qui tue et dépèce avec une une très grande barbarie deux marchands de fourrage. Il reconnaîtra lors de ses aveux qu'il prenait du plaisir à désarticuler ses victimes. Lorsqu'il monte sur l'échafaud pour être guillotiné, il lance à la foule une formule qui restera célèbre : « N’avouez jamais ! »

Et puis, au début du XXe siècle, l'affaire qui marque tous les esprits, c'est bien sûr celle de Landru.

Comment les enquêteurs travaillent-ils sur les affaires Dumollard et Vacher ?

Dumollard est vraiment intéressant. C'est l'archétype du tueur en série. Il passe des petites annonces dans les journaux afin de recruter des bonnes à Lyon, puis il les attire dans les bois dans le but de les violer, de les mutiler puis de les tuer. Aujourd'hui, il utiliserait Internet et les réseaux sociaux pour commettre ses forfaits. Son arrestation n'est pas le fruit de l'enquête de police. Il sera dénoncé par l’une de ses victimes qui a réussi à lui échapper.

Vacher quant à lui, se déplace partout en France. Grâce au travail du juge d'instruction Émile Fourquet, certainement le premier « profiler » de l'Histoire, son parcours criminel a pu être retracé fidèlement. Fourquet a l'idée de contacter les policiers de régions environnantes afin de vérifier si Vacher n'a pas commis de crimes ailleurs. C'est à partir de là qu'il y a véritablement une prise de conscience que le tueur en série est un criminel différent des autres. Car avant, il n'y avait pas de communication entre les différents services de police et de gendarmerie, et pas plus au niveau de la justice. Il était donc impossible de recouper les différents meurtres…

Du coup, commence-t-on dans le même temps à s'intéresser à la psychologie de ces criminels ?

Dans la foulée de l'affaire Vacher apparaît l'école des criminologues lyonnais, avec à sa tête le professeur Alexandre Lacassagne. Il est le premier à avoir l'idée de donner des cahiers d'écoliers et des crayons aux criminels sexuels, dans l’idée qu’ils détaillent par l’intermédiaire du dessin leurs fantasmes et leurs crimes. Lacassagne consignera ainsi six « mémoires » de tueurs – que l'on peut d'ailleurs trouver aujourd'hui en accès libre puisqu'elles font partie du domaine public.

À l'époque, il y a également les travaux du criminologue italien Cesare Lumbroso qui met au point, à partir d'observations réalisées sur des condamnés à mort, une méthodologie pour identifier les criminels. Il se base alors sur des caractéristiques physiques : écartement des yeux,  forme des oreilles, etc. Des théories qui ont bien évidemment été complètement rejetées par la suite.

Selon quelles modalités la police adapte-t-elle ces diverses méthodes d'investigation ?

Grâce à Émile Fourquet, elle a une nouvelle méthodologie à sa disposition afin d’enquêter sur les tueurs en série. Mais elle ne va pas l'utiliser – ou très peu. Pas plus que les travaux de Lacassagne. Elle  préfère avoir recours à des méthodes traditionnelles d’enquête, qui ne donnent pas forcément de très bons résultats. Les policiers ne tiennent pas compte de ces éléments nouveaux. Ils mettront du temps à s’adapter.

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Pourquoi ?

Au même moment, on assiste à la naissance de la police scientifique, avec l'utilisation des premières empreintes digitales pour confondre les meurtriers. La police s'intéresse plus à l'aspect technique des investigations qu'à la facette psychologie des tueurs.

Pourtant, Lacassagne avait fait un travail formidable en étudiant les pulsions et les fantasmes des tueurs en série. Ses travaux seront publiés au début des années 1900 dans Les Cahiers d'anthropologie criminelle. Il a mis en relief un certain nombre de caractéristiques qui vont servir, au XXe siècle, à affiner les recherches sur le « profilage » menées par le FBI aux États-Unis.

La presse a-t-elle joué un rôle particulier pour faire connaître les tueurs en série auprès du grand public ?

C'est tout à fait évident avec l'affaire Landru. Colette, ainsi que de nombreux journalistes célèbres, assistent de façon assidue aux différentes audiences. Tous les quotidiens populaires parlent de ce procès et font leur Une dessus. Le grand public sait tout de la vie de Landru. La médiatisation de l'affaire est colossale. Dans les salles d'audience, les premiers fans de serial killers font leur apparition. Lors de son procès à Versailles, 90 % des spectateurs sont des femmes. Il reçoit tous les jours des dizaines de demandes en mariage.

En France, Landru est le premier tueur en série à devenir une célébrité. Vacher et Dumollard avaient certes beaucoup fait parler d’eux, mais ça n'avait rien à voir.

L’Histoire a également retenu la médiatisation très importante des crimes de Jack l’Éventreur à Londres, en 1888 – et toute l'hystérie collective qui en a découlé... Les journalistes sont allés jusqu'à donner une « apparence » à ce tueur en série dont on ne savait pourtant rien !

À l'époque de Jack l'Éventreur, l'imprimerie a fait beaucoup de progrès. À Londres, il y a alors plus de 130 quotidiens qui paraissent plusieurs fois par jours. Les journaux se tirent la bourre entre eux.

On est à peu près certain aujourd'hui que les fameuses lettres signées par Jack l’Éventreur, « from Hell », furent l'œuvre d'un journaliste, au moment où il était encore surnommé la « Terreur Rouge » ou le « Tablier de Cuir » dans la presse. En effet le nom même du tueur, Jack l’Éventreur, a contribué au succès et à la postérité de ce tueur en série hors-norme.

Au fur et à mesure du temps, a-t-on assisté en France à une multiplication des articles consacrés à la figure de l’assassin ?

Au XIXe siècle, on vendait sur les marchés des grands formats de quatre feuillets avec la complainte du tueur, illustrée en première page en compagnie des cadavres des victimes – qui pouvaient être démembrées, décapitées, éviscérées, etc. Même les journaux les plus trash d’aujourd’hui ne publieraient jamais l'équivalent en photos.

Par la suite, il y a eu les revues L’Œil de la Police, Détective et Police Magazine qui ont eu beaucoup de succès. Dans les années 1920 et 30  ont aussi été publiées des tas de collections, sous forme de fascicules populaires, consacrées à des tueurs en série. Des écrivains comme Joseph Kessel ou Simenon, des éditeurs comme Gaston Gallimard, participaient à l'écriture et à la publication de ces différents journaux.

Les journaux ont-ils eu une influence dans la résolution de certaines enquêtes ?

À l'heure actuelle, c'est très souvent le cas ; les journaux aident notamment la police en diffusant des appels à témoin ou autres portraits-robots. Mais à l'époque des premiers tueurs en série, c’était plutôt l'inverse. Certains journalistes prenaient des libertés avec les faits et allaient parfois fourvoyer les enquêteurs sur de fausses pistes. On peut dire qu’ils ont quelquefois compliqué le travail de la police.

Les journalistes menaient-ils parfois leurs propres investigations pour identifier un tueur ?

Certains oui, mais c'était rare. De plus, il n'y avait pas seulement les journalistes qui cherchaient à résoudre des enquêtes en cours. À l'époque de Jack l'Éventreur, le dramaturge Georges Bernard Shaw a enquêté, de même que le célèbre écrivain Arthur Conan Doyle, le créateur de Sherlock Holmes.

Sa théorie était d'ailleurs totalement farfelue : il prétendait que Jack l'Éventreur était une femme, « Jane l’Éventreuse »…

« L’Homme qui rêvait d’être Dexter », le dernier livre de Stéphane Bourgoin, est publié aux éditions Ring.