Chronique

XIXe siècle : histoire des premières organisations étudiantes

le 29/08/2022 par Antonin Dubois
le 21/02/2020 par Antonin Dubois - modifié le 29/08/2022
Photo du Conseil Fédéral de l'organisation étudiante internationale Corda Fratres, 1900 - source : WikiCommons
Photo du Conseil Fédéral de l'organisation étudiante internationale Corda Fratres, 1900 - source : WikiCommons

Au XIXe siècle, les associations estudiantines émergent, sous la forme de cercles de sociabilité ou de groupes de défenses des intérêts des étudiants – créant parfois des remous dans les cercles académiques.

Cet article est paru initialement sur le site de notre partenaire, le laboratoire d’excellence EHNE (Encyclopédie pour une Histoire nouvelle de l’Europe).

C’est au XIXe siècle qu’émergent en Europe les organisations étudiantes au sens actuel du terme, alors que les effectifs étudiants encore restreints connaissent une croissance inédite. Elles prennent la forme de cercles de sociabilité, d’associations de défense des intérêts étudiants, d’associations politiques, religieuses, sportives ou scientifiques, de groupes d’étudiantes ou d’étudiants étrangers, constitués à des rythmes différents à partir des années 1800 dans tous les pays européens.

Des débuts difficiles

Cette émergence a été difficile : au début du siècle, les organisations étudiantes sont surveillées et interdites par les pouvoirs politiques. Les États allemands (décrets de Karlsbad, 1819) ou la France (1820) se dotent de législations répressives, car les autorités craignent leur potentiel révolutionnaire. C’est tout particulièrement le cas à propos de la première organisation politique, la Burschenschaft, fondée à Iéna en 1815, qui vise à lutter pour l’unification de l’Allemagne.

« Extérieur, Prusse », article au sujet des associations d’étudiants en Prusse, Le Moniteur universel, juillet 1824

Dans les pays les plus démocratiques, quelques organisations sont constituées. Le premier club de débat étudiant de Grande-Bretagne est fondé dès 1794 à Saint-Andrews (Literary Society), suivi par la Cambridge Union Society en 1815 et la Oxford Union en 1823. Il existe en Suisse des corporations sur le modèle allemand, des associations – notamment la Zofingue (1819) et les Belles-Lettres (1806) –, et des comités représentatifs des étudiants comme à Zurich (1833).

Dans les États où éclatent des mouvements révolutionnaires en 1848 – France, Bade, Prusse, Belgique, Autriche, Italie, Roumanie –, de nombreux étudiants se mobilisent, voire participent aux combats à Paris, Berlin, Vienne, Milan, Pest. Certains profitent de cette période exceptionnelle pour redévelopper leurs organisations, tout particulièrement dans l’espace allemand, où la plupart des États accordent une certaine liberté associative, bien que toute activité politique reste interdite.

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EN SAVOIR PLUS

L’expansion de l’associationnisme

Après la fin des poursuites contre-révolutionnaires des années 1850, l’associationnisme estudiantin se développe plus librement. En Italie, la libéralisation qui suit l’unification permet la diffusion de sociétés générales, politiques et scientifiques dans toutes les universités du royaume. Après la création de premières organisations durant la première moitié du siècle, le nombre d’associations étudiantes augmente en Belgique.

Huit associations sont créées à Louvain entre 1860 et 1880, notamment la Société générale des étudiants. En 1887 est fondée l’Associação Académica de Coimbra, seule université du Portugal. Un mouvement radical débute dans les universités suédoises au début des années 1880 et plusieurs associations sont créées à Uppsala et Lund. En France, ce n’est qu’avec l’accession des républicains au pouvoir que l’associationnisme étudiant peut émerger. Les associations générales des étudiants, constituées dans la plupart des villes universitaires entre 1877 et 1887, s’inscrivent dans la réforme de l’enseignement supérieur voulue par les républicains.

Des années 1890 à la guerre, les formes d’organisation se diversifient. Une certaine démocratisation est en cours, par exemple en Allemagne avec la Freistudentenschaft (communauté des étudiants libres), qui s’oppose aux corporations traditionnelles et promeuvent un renouvellement des formes de sociabilité.

« Les étudiants allemands, Hier et aujourd’hui », Le Figaro, mars 1911

Tandis que la plupart des organisations se déclarent non politiques mais soutiennent en réalité le régime en place, des groupes politiques ou politisés s’implantent là où ils sont tolérés. Ils s’opposent parfois au système politique, ainsi le groupe des étudiants d’Action française (1905), les groupes carlistes, républicains ou libres-penseurs en Espagne.

Les femmes obtiennent le droit d’étudier à l’université dans la plupart des pays d’Europe entre 1850 et 1914. La plupart des organisations excluent les femmes, seules quelques-unes sont mixtes. Les étudiantes fondent leurs propres associations, rapidement après l’admission des femmes à l’université (Allemagne, Écosse, civic universities anglaises), parfois seulement après plusieurs décennies (France).

En Europe de l’Ouest et centrale, les étudiants peuvent s’organiser assez librement au tournant du siècle. Dans l’empire des tsars au contraire, de nombreuses sociétés sont encore interdites, et les manifestations étudiantes de 1899 puis de 1905 durant la révolution sont réprimées dans le sang, suscitant des vagues d’indignation parmi les étudiants d’autres pays.

Trois principaux types d’activités au sein de ces organisations peuvent être distingués. Ils se retrouvent à des degrés divers dans toutes les organisations d’Europe. Elles servent à la cohésion du groupe et à la performance de sa masculinité (soirées, beuveries, excursions, duels, sport). Les étudiants mobilisent leurs organisations pour défendre leurs intérêts (études, conditions de vie). Ils les utilisent comme moyen d’approfondir leur formation intellectuelle (salles et groupes de travail, bibliothèques, conférences).

Organisations locales, fédérations nationales, liens transnationaux

Les organisations étudiantes sont le plus souvent constituées au niveau local et fonctionnent selon une logique nationale. Des fédérations ou unions nationales sont constituées, d’abord dans l’espace germanique au milieu du siècle (Kösener Senioren-Convents-Verband des Corps, 1848), puis surtout autour de 1900 (Union nationale des associations d’étudiants de France, 1907 ; Federación National Escolar, 1911). Plus généralement, les étudiants s’organisent et se coordonnent plus régulièrement nationalement, comme l’illustre la grève qui touche toutes les universités italiennes en 1885.

Les étudiants sont néanmoins en lien les uns avec les autres par-delà les frontières. Des organisations catholiques germanophones créent une fédération transnationale, le Cartellverband der katholischen deutschen Studentenverbindungen (1856), implantée en Allemagne, Autriche et Suisse. Des congrès internationaux se tiennent à partir de la deuxième moitié du siècle.

Le premier a lieu à Liège en 1865 et est contrôlé par les étudiants socialistes et blanquistes français et belges. Il est suivi par deux autres, à Bruxelles (1867) et Gand (1868). En 1888 à Bologne pour le 8e centenaire de l’université et en 1889 à Paris lors de l’exposition universelle, sous l’égide de l’Association générale des étudiants, se tiennent de grands rassemblements étudiants internationaux. Les deux premiers congrès étudiants socialistes ont lieu en 1890 à Bruxelles et en 1893 à Genève.

La création d’une organisation transnationale est concrétisée par des étudiants italiens, qui fondent la Corda Fratres ou Fédération internationale des étudiants à Turin en 1898. Celle-ci tient plusieurs congrès en Europe et aux États-Unis (Ithaca, 1913) avant la guerre, mais est assez lâchement organisée et n’existe que difficilement. Plutôt bien implantée en Italie ou en Roumanie, elle l’est beaucoup moins en Allemagne ou dans la péninsule Ibérique.

« La discorde règne au Camp des étudiants », Le Petit Parisien, septembre 1906

En 1914-1915, au moment de l’entrée en guerre de leur pays, la plupart des organisations étudiantes sont mises en sommeil ou ne fonctionnent que partiellement. Tant dans ses points communs européens que dans ses spécificités nationales, l’associationnisme estudiantin contemporain trouve ses racines au XIXe siècle. Les innovations, certaines, des étudiants de l’après-Première Guerre mondiale s’inscrivent dans ces modèles établis durant la période précédente.

Antonin Dubois est docteur en histoire et civilisations de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et de la Universität Heidelberg.

Pour en savoir plus :

Dhondt, Pieter, Boran, Elizabethanne (dir.), Student Revolt, City, and Society in Europe : From the Middle Ages to the Present, New York, Londres, Routledge, 2018.

Gevers, Lieve, Vos, Louis, « Student Movements », dans Walter Rüegg (dir.), A History of University in Europe, vol. 3, Universities in the Nineteenth and Early Twentieth Centuries (1800-1945), Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 269-362.

Moulinier, Pierre, Naissance de l’étudiant moderne, XIXe siècle, Paris, Belin, 2002.