Bonne feuille

Les notes de la police parisienne au sujet de Victor Hugo

le 08/08/2021 par Bruno Fuligni
le 10/03/2020 par Bruno Fuligni - modifié le 08/08/2021
Victor Hugo sur son balcon, photo extraite des « Portraits de Victor Hugo et de sa famille » - source : Gallica-BnF

Un aperçu des rapports de surveillance envoyés à la Préfecture de police de la Seine concernant le célèbre auteur des Misérables et de Notre-Dame-de-Paris.

Dans son ouvrage La Police des écrivains, l’historien Bruno Fuligni met en lumière les rapports de police permettent de surveiller hommes et femmes de lettres français réputés « dangereux » pour le pays. À la faveur de son engagement politique et de son influence, Victor Hugo fait ainsi l’objet d’un certain nombre de ces documents au début de la IIIe République.

On retrouve donc quantité de télégrammes, rapports et commentaires rédigés par des « agents secrets » – comprendre : des délateurs – employés par la Préfecture de police de la Seine et dans lesquels sont rapportés les faits et gestes de celui que les rapporteurs appellent, non sans ironie, « maître ».

Avec l’aimable autorisation de CNRS Éditions, RetroNews vous propose de lire un court extrait de ces rapports administratifs très secrets au sujet de l’auteur des Misérables.

Hors-série « faits divers »

« Les Grandes Affaires criminelles de la région »

En partenariat avec RetroNews, « Sud Ouest » publie un hors-série consacré à neuf faits divers qui se sont déroulés entre 1870 et 1986 en Nouvelle-Aquitaine

EN SAVOIR PLUS

Nom : HUGO Prénom : Victor

Date et lieu de naissance : Le 26 février 1802 à Besançon (Doubs)

Griefs : Propagande socialiste, Campagne pour l’amnistie des communards, Adultère

Parmi les trésors qui partent en fumée dans les incendies de la Commune, toutes les pièces initiales du dossier Hugo : sur le jeune auteur d’Hernani, l’amant de Léonie Biard et de Juliette Drouet, le représentant du peuple de 1848, les commentaires de la police sont perdus à jamais.

Dès son retour d’exil en revanche, Victor Hugo fait l’objet de nombreux rapports : son activité politique, sa campagne pour l’amnistie des communards et son avarice intéressent la Préfecture, renseignée par de mystérieux informateurs dont l’un, qui signe « Pamphile », écrit d’une encre pailletée d’or sur un splendide papier vergé.

Les archives remplissent deux lourds cartons noirs, jusqu’à l’agonie du Mage, guettée d’heure en heure. Il faudra un troisième carton pour ses funérailles, qui rassembleront un million de personnes. –Bruno Fuligni

Paris, 30 Novembre 1875

Puisque nous parlons du Rappel, disons quelques mots de M. Hugo. Si les racontars suivants n’ont rien de politique, en tout cas ils sont drôles, et montrent les adorables petitesses de ce grand génie.

Lorsque son roman de 93 parut, un des admirateurs du poète, M. Guillemot (je crois), constata avec stupeur que le maître ignorait complètement l’histoire de la Révolution, qu’il plaçait en l’année 1790 la journée du 10 Août, ou quelque chose d’aussi fort ; bref, qu’il avait commis d’impardonnables erreurs. Aussitôt l’admirateur va trouver M. Louis Blanc, lui met les bévues sous les yeux, et l’invite à les soumettre à M. Hugo, pour qu’il corrige ces cacades pour la seconde édition. M. Louis Blanc promet de faire les observations.

Quelques jours après, l’admirateur – je n’ose pas affirmer que ce soit M. Guillemot, mais en tout cas, c’est un journaliste républicain – va dîner chez M. Hugo. Au dessert M. Hugo dit :

« À propos, j’ai reçu la visite de M. Louis Blanc, qui est venu me parler de mon roman. Savez‐vous ce qu’il m’a dit ? Qu’il était enchanté, parce que je lui avais appris sur la Révolution beaucoup de choses qu’il ignorait ! »

Le convive était foudroyé. Montrer au maître l’ironie profonde de M. Louis Blanc, il n’y fallait pas penser. Enfin, comme M. Hugo lui demandait son avis sur ce même roman, le malheureux risqua un reproche de fantaisie :

« Je trouve le roman fort beau, dit-il, mais j’ai une objection grave à soumettre. Vous avez dépeint Marat comme très laid et il n’était pas laid.

– Je n’ai pas enlaidi Marat.

– Si. Marat avait le bas de la figure peu distingué ; mais le front était admirable et les yeux superbes…

– Ah ! Ah ! S’écrie M. Hugo, vous me reprochez d’avoir dénigré Marat ! Mais je l’aime plus que vous ! Je l’estime et le mets plus haut que vous ne le faites ; Marat c’est l’homme qui... que... »

Et le maître évacue une vingtaine de grandes phrases.

« Victor Hugo et Louis Blanc au théâtre du Château-d’Eau », annonce d’une conférence politique animée par les deux ténors de l’aile gauche de la Chambre, Le Petit Marseillais, avril 1876

Puis quand il a fini son jugement, le maître prend un air rêveur, et dit d’un ton sinistre :

« Je le vois, vous et les vôtres ne me pardonnerez jamais ce que vous considérez comme un outrage à la mémoire de Marat ; vous me ferez fusiller ! »

Et toute la soirée, le poète se promena à grands pas dans le salon, la tête basse, en marmottant obstinément : ils me feront fusiller !

Il y eut encore à ce dîner une scène assez drôle. M. Hugo jeta à brûle‐pourpoint cette question à son convive : « Monsieur que pensez‐vous de Proudhon ? » L’interpellé, fort embarrassé, eut l’esprit de se lancer dans le vague et de répondre :

« Dame ! il y a bien des choses à dire sur Proudhon !...

– Assez, répondit M. Hugo. Ces mots me suffisent. Je vois que vous le jugez ainsi que je le juge, comme un gredin. Si vous eussiez pensé autrement je ne vous aurais jamais revu de la vie. »

C.

Paris, le 7 mars 1876

Avant-hier soir, dîner chez M. Victor Hugo, le principal convive politique était M. Georges Périn, le député de Limoges.

Une des vertus de M. Hugo, est un formidable entêtement. Il consulte ses convives, il a l’air de leur demander leurs avis, mais sa résolution est bien arrêtée à l’avance en dépit de toutes les objections sérieuses et raisonnables qu’on peut lui soumettre.

Ainsi, M. Hugo a fait sienne et veut accaparer pour lui seul, la question de l’amnistie, il veut arriver le premier dans cette question.

Tantôt, sans attendre la constitution du bureau, dès l’ouverture de la séance au Sénat, il est résolu à déposer, quand même, contre tous les avis, sa proposition d’amnistie.

En vain, M. Périn lui a-t-il respectueusement signalé qu’il serait à désirer que la proposition fût déposée simultanément au Sénat et à la Chambre, que la chose aurait bien plus d’unanimité et de poids, présentée ainsi ; que lui, M. Périn, était décidé à formuler sa demande à la Chambre des députés, mais il voulait en faire un acte commun et pas isolé, en appuyant sa demande de soixante signatures, au moins, de ses collègues.

Il a ajouté que la proposition de M. Hugo déposée ainsi, tout de suite, dans le désordre de l’installation, sans bureau, sans régularité perdrait tout son effet, ne produirait aucun résultat et serait enterrée probablement ; que, dans l’intérêt du parti républicain et de la cause des déportés, il était utile que l’effort et l’assaut fussent simultanés au Sénat comme à la Chambre ; qu’en présentant importunément sa demande au Sénat, il nuirait au succès de la réclamation des déportés. M. Hugo a persisté, s’est montré inflexible. Il s’est contenté de répéter :

« Il le faut, c’est indispensable, il le faut ! »

Et aujourd’hui, à l’heure où vous recevrez cette lettre, il aura prononcé son speech inopportun.

C.

Paris, le 27 mars 1876

Monsieur,

J’ai été reçu, il y a deux jours, par Victor Hugo avec quelques autres citoyens et j’ai eu avec le poète-sénateur un assez long entretien sur divers sujets politiques et autres dont voici l’analyse. [...]

Victor Hugo ne se fait aucune illusion sur le sort de sa proposition d’amnistie au Sénat. Il n’a pu à grand peine recueillir que sept signatures et si, au vote, il rencontre un huitième partisan de la clémence, c’est tout ce qu’il peut espérer.

« J’ai été, lui ai‐je dit, péniblement surpris de ne pas voir le nom de Tolain parmi les signataires de votre proposition.

– Tolain, répondit Hugo, a en effet refusé de signer ma proposition. Je suis en froid avec lui, ce qui ne m’a pas permis de la lui présenter moi‐même, mais je la lui ai fait remettre par un des signataires et il a refusé d’y donner son adhésion. On peut dire qu’en cela Tolain a trahi ouvertement les ouvriers et la classe ouvrière dont il sort ; cela est triste à dire, mais cela est. »

Extrait de la proposition d’amnistie déposée par Victor Hugo en faveur des participants à la Commune, Journal officiel de la République française, mars 1876

Limousin, qui est en intimité avec Tolain et à qui je viens de faire part de l’appréciation qui précède sur la conduite de son ami, me répondit ceci : « Cela ne m’étonne pas ; Hugo est à couteau-tiré avec Tolain, il ne peut pas lui pardonner de n’être passé qu’après lui aux élections. Au moment où ces élections avaient lieu, Tolain dînait en compagnie de Victor Hugo. À la fin du dîner, la porte du salon s’ouvrit brusquement et un arrivant s’écria : Bonne nouvelle, Tolain est élu ! Il fallait voir la tête de Hugo qui ne pouvait dissimuler la rage qu’il éprouvait de voir son vieil ennemi passer avant lui, l’homme illustre. »

Victor Hugo se croit exécré du gouvernement, c’est le terme qu’il a employé. Je suis, dit-il, un croquemitaine pour ces ramollis, mais je le jure, je lutterai à outrance contre la réaction.

L’opinion publique, disait-il encore, s’abuse si elle croit le Sénat républicain ou simplement libéral, la vérité vraie est qu’il n’existe au Sénat que 25 républicains, tant tièdes que radicaux, et encore, parmi ces 25 républicains, il en est au moins 16 à 18 qui n’admettent qu’une république conservatrice excluant le progrès social. Seuls, sept ou huit sont franchement républicains à la manière dont on doit entendre une république digne de ce nom. Deux cent cinquante sénateurs au moins sont partisans d’une façon plus ou moins avouée de la forme monarchique et ils n’admettent la Constitution actuelle que pour la période de quatre années qui reste à courir.

Conclusion :

« La France est perdue si un génie ne vient pas la tirer violemment de l’abîme dans lequel elle s’enfonce tous les jours par suite de l’incapacité, de l’obstination et de la mauvaise foi des gouvernants. […]

Le gouvernement est si peu logique qu’après avoir demandé l’urgence sur ma proposition, croyant m’embarrasser, il en a ensuite ajourné la discussion sans donner de motifs. Il est aux abois, il ne sait plus ce qu’il fait ; en tout cas, il ne réussira pas à étouffer le discours foudroyant que je prononcerai sur l’amnistie.

C’est ce qu’il craint, je le sais, mais il n’évitera pas ce discours qui est prêt depuis longtemps. »

Pamphile

Ext. d’un rapp. P. M. Barfond  ; Paris, le 1er7bre1876

Le manifeste de Victor Hugo en faveur des Serbes n’est pris au sérieux que par les fanatiques du Rappel.

Tout en rendant justice au sentiment d’humanité qui a dicté au poète cette publication, les gens sensés haussent les épaules en présence d’énormités politiques anti-patriotiques qui, dit-on, n’avaient là rien à voir et sont tout juste dignes d’un écervelé.

Le plus grand mal de ces niaiseries, ajoute-t-on, c’est l’autorité qu’elles acquièrent du nom de leur auteur et qui en fait le danger.

« Pour la Serbie », tribune publiée par Victor Hugo à l’occasion des affrontements en Serbie durant la guerre russo-turque de 1876, Le Rappel, août 1876

Ext. d’un rapp. (Céram) P. M.;  Paris, le 2 7bre 1876

Le manifeste de Victor Hugo en faveur des Serbes recueille de vifs applaudissements dans les ateliers où l’on s’en entretient encore. Non seulement le côté humain, philanthropique du manifeste est chaleureusement approuvé, avec raison ; mais les divagations politiques qui s’y trouvent intercalées rencontrent une approbation non moins vive, ce qui est fâcheux.

Ext. d’un Rapp de Paris (Barfond)

Le manifeste de Victor Hugo publié avec fracas par Le Rappel fait sourire de pitié les gens sensés ; il est déplorable qu’un si grand esprit, après un point de départ juste et humain arrive à des conclusions dignes d’un fou ou d’un illuminé ignorant tout ce qui est.

Malheureusement des mots comme : « disparition des frontières, fédération générale, république universelle », etc. soulèvent l’admiration du plus grand nombre.

Paris, le 23 janvier 1877

Les intransigeants chargés d’aller voir V. Hugo se sont rendus chez lui. Le poète a donné son adhésion, mais ses visiteurs paraissent médiocrement satisfaits de l’accueil qui leur a été fait. V. Hugo ne leur a rien offert pas même sa protection auprès de ses amis et encore moins un produit de la Banque de France.

Il s’est montré poseur, sec, a fait un éloge pompeux de sa personne et voilà tout.

La Police des écrivains de Bruno Fulligini, est paru aux éditions du CNRS à la fin de l’année 2019.

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