Écho de presse

« Séduction », magazine grivois des années 1930

le 12/02/2021 par Pierre Ancery
le 20/03/2020 par Pierre Ancery - modifié le 12/02/2021
Une du magazine Séduction, 24 février 1934 - source : RetroNews BnF
Une du magazine Séduction, 24 février 1934 - source : RetroNews-BnF

Fondé en 1933 par Maurice Rostand, l'hebdomadaire érotique Séduction proposait chaque samedi à ses lecteurs photographies sensuelles ou équivoques, récits graveleux et petites annonces sans ambiguïté.

Quel rapport entre Cyrano de Bergerac et Séduction, hebdomadaire grivois des années 30 ? C'est tout simplement Maurice Rostand, fils du dramaturge Edmond Rostand, qui fut le fondateur de ce périodique, lequel se distingua en publiant des images assez osées pour l'époque.

Poète, romancier et auteur dramatique, mais surtout personnalité mondaine (il fréquenta Cocteau et Proust), Maurice Rostand créait alors une formule qui assurerait pendant six années le succès de son journal : le premier numéro, vendu 2 francs 50, paraît le 4 novembre 1933. En Une, une photographie du Studio Manassé montre une jeune femme dénudée prenant une pose suggestive. 

Ce type de Une, qui se veut alors à la fois élégante et émoustillante, sera un leitmotiv du magazine dans les numéros suivants, Rostand lui préférant ensuite des portraits, tel celui pris par Lazlo Willinger le 27 octobre 1934.

À l'intérieur, cet ancêtre de Playboy publie chaque samedi plusieurs photos et dessins en noir et blanc de jeunes femmes nues. À chaque fois, les modèles apparaissent dans des poses évocatrices, au fil d'images artistiques très composées.

Outre ceux cités ci-dessus ou ci-dessous, des noms importants de la photographie publient dans cet hebdomadaire : Vera Jablonowski, Germaine Krull (dans le n° 2), André Steiner, François-Antoine Vizzanova, l'Agence Schostal... La célèbre Agence Rapho, également, ce qui explique très probablement la présence de clichés de Ergy Landau et de Brassaï, lequel signe la Une du 1er mai 1937. 

Quant aux illustrations, elles sont signées notamment de Léon Bonnatte, Paul Dufau, Régis Manset, Marilac, Schem ou Georges Villa.

Plus rarement, le magazine inclut aussi dans ses pages des photographies d'hommes dénudés, telle cette quatrième de couverture du 25 novembre 1933 signée de Jacques Lemare :

Phénomène inhabituel à l'époque, la revue publie régulièrement des récits à la teneur implicitement homosexuelle. C'est le cas par exemple de cette nouvelle intitulée « Oxford », écrite par Maurice Rostand lui-même, qui met en scène le sentiment unissant deux gentlemen issus de la célèbre université anglaise.

Le magazine publie également des poèmes libertins, signés par exemple de Voltaire ou de l'écrivain décadent Jean Lorrain.

Signalons par ailleurs parmi ses collaborateurs les romanciers et romancières Maurice Coriem (journaliste notamment au Canard enchaîné), Ghislaine Laurent, Pierre Loiselet, Georges Normandy, Aurèle Patorni ou Paul Reboux.

L'une des rubriques les plus surprenantes reste toutefois celle des petites annonces : l'hebdomadaire propose en effet chaque semaine une sélection de requêtes et de propositions pleine de sous-entendus salaces, et dont certaines relèvent carrément de la prostitution.

« 101. Je passe à Nancy 4 jours par mois. Qui voudrait me tenir compagnie ?

102. Deux légionnaires désirent connaître marraines susceptibles chasser gros cafard [...].

104. J. f. 25 ans malheureuse ch. appui moral et aussi matériel. Obligée grande discret [...].

110. Deux fervents naturistes ch. deux compagnes d'excursion, de préf. deux sœurs très entraînées sportivement.

111. Danois 40 ans ch. jolie j. f. préf. brune pr leçon rand. [...]

115. Si je vous disais que j’ai toutes les qualités vous ne me croiriez pas. Admettons au moins que j’en ai une seule, d’être jolie mais je m’ennuie. Qui voudra distraire mes 25 ans et me donner un léger appui ? »

Le magazine publie parfois des sortes de reportages pétris de clichés exotiques, comme ici sur les geishas japonaises. On y trouve aussi une cohorte de gags dessinés, dans une veine à la fois graveleuse et misogyne, très en vogue à l'époque :

Les dernières pages sont quant à elles consacrées aux publicités pour des articles de vente par correspondance classés « X » : divers modèles de préservatifs, publications érotiques, photos adultes et autres « guides de l'amour » (c'est-à-dire des guides de positions sexuelles).

Au début intitulé « La boîte aux séductions », le courrier des lecteurs devient ensuite « À cœur ouvert », assorti de réponses de la rédaction. Ici, par exemple, un abonné se demande s'il n'a pas brusqué la jeune femme dont il est épris en lui parlant trop tôt de mariage. Réponse de Séduction :

« Il est certain que la franchise est une magnifique qualité – celle à mon sens que j’apprécie le plus. Sans elle, il n’est pas d’amour, ni de mariages qui soient durables.

Mais tout dans la vie est une question de nuances et d’opportunité. Le moment ne me semble pas choisi, au début d’une liaison, pour toutes les confidences. Une femme ne doit pas être effarouchée plus qu’un oiseau. Et nous sommes tellement vite trahis par les mots ! 

La meilleure confidence, croyez-moi, c’est encore la façon dont on agit dans la vie. Et les femmes très intuitives comprennent mieux, parfois, une attitude, un silence que tous les discours. »

C'est le 31 décembre 1938 que Séduction paraîtra pour la dernière fois – un numéro hivernal comportant de multiples photos de jeunes femmes aux sports d'hiver, dans le plus simple appareil.

Pour en savoir plus : 

Les numéros de Séduction en accès libre sur RetroNews