Bonne feuille

Une chroniqueuse mondaine au Second Empire : la Comtesse Dash

le 27/03/2020 par Marie-Ève Thérenty
le 26/03/2020 par Marie-Ève Thérenty - modifié le 27/03/2020
Page de couverture du 4e tome du recueil de mémoires de la Comtesse Dash, « Mémoires des autres », édition de 1896 - source : Gallica-BnF
Page de couverture du 4e tome du recueil de mémoires de la Comtesse Dash, « Mémoires des autres », édition de 1896 - source : Gallica-BnF

Dans le sillage de Delphine de Girardin, la chronique parisienne se développe dans la presse du XIXe, devenant un format typiquement « féminin ». L’historienne Marie-Ève Thérenthy revient sur la figure de la Comtesse Dash, aristocrate « bohème » et « aimant le plaisir pour la débauche ».

L’historienne de la presse et membre du comité éditorial de RetroNews Marie-Ève Thérenthy vient de faire paraître aux éditions du CNRS Femmes de presse, femmes de lettres, de Delphine de Girardin à Florence Aubenas, essai historique sur la place de l’écrivaine et de la journaliste dans la société, du premier XIXe siècle à aujourd’hui.

Avec l’aimable autorisation des éditions du CNRS, nous publions un extrait de cette brillante somme, consacré à la chronique mondaine au Second Empire et à l’une de ses représentantes, le mystérieux Henri Desroches, alias la Comtesse Dash.

Dans le sillage de Delphine de Girardin, se développe sous le Second Empire une chronique mondaine, légère, parisienne, destinée à une élite, marquée par le paradoxe et l’esprit. 

Il faut dire que le cautionnement à fournir, très lourd, décourage beaucoup de journaux de devenir politiques. Le régime des avertissements gouvernementaux qui peut conduire à la suspension des journaux force de plus les journalistes à l’autocensure. le vaste domaine des sociabilités, de la vie mondaine, la chronique causotière et racontarde, le parisianisme envahissent le journal. Les journaux entretiennent donc une batterie de chroniqueurs tous rivaux et tous experts dans l’art de faire de la vie parisienne le premier événement de la semaine et de construire une véritable mythologie autour de la ville-lumière.

Commence la grande époque des maréchaux de la chronique, ceux qui « parlent du haut du balcon » comme dira Jules Vallès et que les rédactions des petits journaux s’arrachent pour leur art de parler de rien avec esprit. La chronique devient la rubrique essentielle du quotidien sous le Second Empire, surtout quand celui-ci fait le pari, comme L’Événement, de ne pas payer le cautionnement politique.

« Un journal sans chronique, c’est une jolie femme qui n’a pas de dents » déclare Le Gaulois le 7 juillet 1868 au moment de son lancement, liant bien de manière automatique la chronique au féminin.

La chronique sous le Second Empire et au début de la Troisième République est travaillée comme une forme contrainte thématiquement (on ne peut pas parler de tous les sujets), idéologiquement (on ne peut pas dire n’importe quoi) et poétiquement (il faut parler d’une certaine façon). La chronique qui se veut hymne à la Femme est pourtant généralement conservatrice et peu favorable au mouvement d’émancipation des femmes. Elle se fera donc souvent, dans les grands quotidiens comme dans les journaux de mode, machine de guerre antiféministe au moment où ce mouvement prendra forme. On se trouve donc, si l’on regarde le rapport entre les femmes et les chroniques, devant un bilan en demi-teinte. D’un côté l’héritage de Delphine de Girardin est complètement assumé : une femme, en France, a créé un genre journalistique. De l’autre, la chronique concentre le discours de la norme du genre.

La femme est davantage finalement le sujet de prédilection de la chronique que son auteur. Ce genre est lié à une représentation de la femme en être superficiel et parisien, passionné par les apparences, si bien que, poussé à son comble par le travestissement et la parodie, il produit un discours misogyne. Symptomatiquement, les deux plus importantes journalistes du XIXe siècle, George Sand et Séverine, l’éviteront soigneusement.

En fait, la part des chroniques de première page tenues par des femmes dans les journaux quotidiens est faible sous le Second Empire. On peut citer par exemple la comtesse Dash qui signe sous le pseudonyme de Henri Desroches dans Le Constitutionnel à partir du 4 décembre 1859 une chronique intitulée « La Semaine ». La comtesse Dash (1804-1872), de son vrai nom Gabrielle Cisternes de Coutiras, vicomtesse de Saint-Mars par son mariage, se sépare de son mari assez tôt et devient, pour assurer le train de sa maison, une polygraphe forcenée et une adepte du tourniquet pseudonymique. Le nom de Dash d’ailleurs est à la limite du canular puisqu’il peut s’entendre phonétiquement comme d’H. Il s’agit donc d’un nom élidé à une lettre, pratiquement nul. Le geste ironique témoigne sans doute d’une grande distance avec sa production littéraire visiblement envisagée comme essentiellement alimentaire.

« La Semaine » d’Henri Desroches alias la Comtesse Dash, Le Constitutionnel, décembre 1859

Dash a été chroniqueuse dans la petite presse et notamment à La Vie Parisienne, au Figaro et au Mousquetaire (sous le pseudonyme de Marie Michon, un nom utilisé dans Les Trois Mousquetaires, d’ailleurs déjà comme pseudonyme).

Alexandre Dumas, dont elle était proche, aurait signé plusieurs romans qu’elle a entièrement rédigés. Comme l’écrit avec raison Claudine Giacchetti, « le pseudonyme “Dash” pourrait alors prendre une connotation plus sinistre qu’un simple masque anonyme, car il est associé à toute cette industrie de l’écriture dans l’ombre qu’est le ghostwriting, pratique “fantôme”, pressée et fuyante dont la comtesse Dash était à la fois l’agent et la victime ».

Si dans sa jeunesse, la comtesse Dash présentait un physique piquant, « le front un peu haut pour une femme sous ses bandeaux plats », l’œil vif et perçant, « le nez finement retroussé », « la bouche d’une aimable sensualité », plus tard, un peu épaissie, elle a été surnommée par Barbey d’Aurevilly le « chanoine ». Les souvenirs de Villemessant montrent une aristocrate élégante, tombée dans le journalisme, ayant assez d’habileté et d’entregent pour ne pas s’offusquer des manières parfois un peu rustres des publicistes débutants. Infatigable travailleuse, elle reste huit ou neuf heures par jour à son bureau. Surtout, sa carrière de journaliste prend la suite d’une vie personnelle visiblement agitée. Le comte Horace de Viel-Castel dans ses mémoires fait état de rumeurs : elle aurait été la maîtresse de Roger de Beauvoir, de Dumas... Elle serait partie, abandonnant son mari « pour se faire princesse moldave, épousant je ne sais plus quel hospodar »...

Le ton montre le mépris pour la femme journaliste, véritablement perdue pour l’aristocratie. Des articles parus par exemple dans La Presse du 9 et du 14 juin 1845 détaillent le roman très médiatisé de la comtesse Dash.

Rumeur parue dans La Presse au sujet de la Comtesse Dash, juin 1845

Les amours souvent accidentées des femmes journalistes, remplissaient, comme aujourd’hui encore, les colonnes des journaux. C’est justement cette figure de femme ambiguë qui fascine la petite Gyp : elle se montre dans ses souvenirs, prenant l’échelle dans la bibliothèque pour aller observer les livres au dos rouge de la comtesse Dash, dont elle a entendu parler dans un salon... Or que pouvait-on bien dire de la comtesse Dash dans les salons de l’aristocratie quand on pensait que les petites filles n’écoutaient pas ?

« La Comtesse Dash est une vraie Bohême, qui écrit pour manger, pour boire et pour courir les bals, dépensant en toilettes ridicules plus d’argent qu’il n’en faudrait pour faire vivre dix honnêtes femmes.

Elle aime le plaisir pour la débauche et souvent elle s’est donnée au premier venu qui la conduisait souper après le bal de l’Opéra.

Elle a de l’esprit, mais elle n’est plus jeune et elle regrette sa jeunesse et de ne pouvoir plus choisir dans le sérail des hommes qui marchaient sur ses pas. »

Sa plus longue série de chroniques dans la presse quotidienne est donnée au Constitutionnel sous un pseudonyme masculin, Henri Desroches.

« La Semaine » d’Henri Desroches alias la Comtesse Dash, Le Constitutionnel, septembre 1861

Globalement, la comtesse assume le modèle girardien et se place ouvertement sous son patronage. Elle obtient un certain succès pendant deux ans grâce à une triple recette : une pratique distrayante de l’anecdote fictionnalisée, une chronique plutôt bienveillante envers les femmes comme envers les hommes et surtout un masque qui excite les dévoileurs en tout genre.

Son choix d’un pseudonyme volontairement opaque s’explique par sa condition sociale mais aussi sans doute par l’intérêt publicitaire qu’elle découvre à ces énigmes pseudonymiques. experte en la matière – elle entretiendra plusieurs mystifications de ce type –, elle dispose pour toutes ces transactions avec le journal d’un intermédiaire, le fidèle Henri Delaage, ce qui lui permet de fourvoyer même les chroniqueurs les plus informés.

Femmes de presse, femmes de lettres de Marie-Ève Thérenthy, est publié aux éditions du CNRS.

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