Écho de presse

1921 : le massacre raciste de Tulsa, un cauchemar américain

le 16/12/2022 par Michèle Pedinielli
le 04/06/2020 par Michèle Pedinielli - modifié le 16/12/2022
Vue aérienne d’un bâtiment en feu lors de l'émeute raciale de Tulsa,1921 - source : Library of Congress-WikiCommons
Vue aérienne d’un bâtiment en feu lors de l'émeute raciale de Tulsa, 1921 - source : Library of Congress-WikiCommons

Au printemps 1921, la ville de Tulsa en Oklahoma connaît l’une des pires émeutes raciales de l’histoire des États-Unis. En deux jours, 300 Afro-Américains sont tués par des bandes armées de Blancs, qui en profitent pour piller et brûler tout un quartier.

Le 30 mai 1921, Dick Rowland, un jeune cireur de chaussures de 19 ans, marche sur les pieds d’une jeune femme en sortant de l’ascenseur d’un immeuble de Tulsa. Elle hurle, il s’enfuit. Il est Noir, elle est Blanche. C’est le début d’un enchaînement d’événements qui conduira au « massacre de Tulsa », considérée comme l’une des plus violentes émeutes raciales aux États-Unis à ce jour.

« L’étincelle qui mit le feu aux poudres ? – Le 30 mai dernier, une jeune fille blanche, du nom de Sarah Page, préposée au fonctionnement d’un ascenseur dans le Drexel Building, se plaignit qu’un jeune nègre de 19 ans, Dick Rowland, avait tenté de la violer.

Interrogée, elle raconta un peu plus tard que le jeune homme lui avait pris le bras en pénétrant dans l’ascenseur. Elle cria. Il s’enfuit.

On apprit par la suite que, par mégarde, le boy lui avait marché sur le pied. »

Le cireur de chaussures est arrêté par la police et rapidement, la rumeur se répand parmi la communauté noire : il va être lynché. Quelque 500 personnes se rassemblent alors devant le tribunal où Rowland est détenu afin de protéger le jeune homme.

Devant ce qu’ils considèrent comme une « menace », les habitants blancs saisissent leurs armes et se ruent dans le quartier de Greenwood. C’est le début d’un massacre qui durera deux jours.

« Un peu avant minuit, un grand nombre de blancs en armes s'étaient portés vers le quartier nègre. Le gouvernement a fait renforcer la police par de la troupe afin d'arrêter les désordres

Au lever du jour, 70 automobiles contenant des blancs armés tournaient autour du quartier nègre, pendant qu'une demi douzaine d'aéroplanes survolaient ce même quartier.

Les blancs tiraient des coups de fusil contre tous les nègres et mettaient le feu aux maisons habitées par ceux-ci. Les nègres ripostaient. »

Des heures durant, les Blancs sèment la terreur dans ce quartier prospère et tranquille, tuant indifféremment hommes, femmes, enfants, vieillards, mettant le feu aux maisons et aux églises où les habitants s’étaient réfugiés, tirant à vue sur ceux qui tentaient de s’en sortir. La presse française relate l’horreur.

« Un des épisodes les plus tragiques de cette lutte s’est déroulé dans une église où une cinquantaine de nègres s’étalent barricadés.

Ils ont repoussé plusieurs assauts. Mais, finalement, les assaillants ayant mis le feu à l’église, les nègres l’ont évacuée, couvrant leur retraite par un feu assez nourri. Plusieurs nègres ont été tués.

La police croit que de nombreux nègres ont été carbonisés dans les maisons incendiées par les blancs. »

L’enfer vient aussi du ciel, avec des avions qui lancent des boules de térébenthine en feu en vue d’incendier les habitations. Dix ans plus tard, dans un article intitulé « Le racisme aux Etats-Unis », le journal de gauche La République rappelle les événements sanglants.

« Vers cinq heures du matin, le lendemain, une foule de plus de dix mille personnes attaqua la “Petite Afrique”.

Certains portaient des mitrailleuses, huit aéroplanes surveillaient les mouvement des noirs ; d’en haut, des bombes furent lancées. Les nègres et leurs femmes se défendirent vaillamment. D’après les déclarations de témoins oculaires, des hommes en uniforme – miliciens et anciens soldats – chargés de bidons d’essence, en aspergèrent les maisons et y mirent le feu. 

D’horrifiques histoires m’ont été racontées, non par des noirs, par des résidents blancs. »

Le bilan de ces deux journées est alors estimé par le quotidien américain The Chicago Tribune à quelques dizaines de morts et une quinzaine de milliers de sans-abris.

« [Traduction] Plus de trente pâtés de maisons en ruines et quelque 15 000 Nègres sans-abri, tels sont les chiffres de l’émeute raciale ayant pris place à Tulsa après l’agression d’une jeune femme blanche par un cireur de chaussures noir.

La loi martiale a été déclarée dans la ville tandis que la milice d’État, fusils à la main, patrouille dans les rues. Le calme a été restauré mais l’on s’attend à de nouvelles émeutes.

6 000 Nègres ont pour l’heure été rassemblés dans divers camps de détention, et placés sous étroite surveillance. Les Nègres qui avaient fui dans les bois au début de l’émeute reviennent peu à peu en ville, affamés et terrorisés à l’idée d’une nouvelle attaque par la population blanche.

On estime que neuf Blancs et cinquante-cinq Nègres ont été tués durant l’émeute, quoique la police pencherait pour un nombre plus élevé. Une centaine de Blancs et 200 Nègres ont été blessés et les hôpitaux débordent. »

En réalité, la situation est beaucoup plus grave. On estime aujourd’hui qu’environ 300 personnes (la quasi-totalité étant noire) ont été assassinées pendant l’émeute et que 9 000 sont restées sans abri.

Greenwood comptait des épiceries, librairies, hôtels, un cinéma et diverses autres entreprises, toutes détenues par des Afro-Américains. C’était un quartier auto-suffisant où la communauté noire avait tranquillement démontré qu’elle pouvait réussir au même titre que les Blancs. Ce jour-là il fut anéanti, les émeutiers n’ayant pas oublié de piller les boutiques avant de les incendier.

Deux ans plus tard, alors que l’Oklahoma est toujours sous le joug de la loi Martiale, une enquête militaire révèlera l’influence du Ku Klux Klan à Tulsa, notamment dans les tribunaux et l’administration de la ville.

« [Traduction] M. Blake affirme que le Klan est non seulement responsable des lynchages par le fouet ayant eu lieu dans le comté de Tulsa depuis plus d’un an (aucun n’ayant entraîné de poursuites jusqu’à l’instauration récente de la loi Martiale), mais il déclare également que l’organisation a exercé son sinistre pouvoir en infiltrant les tribunaux et l’administration du comté de Tulsa, rendant la justice et la gestion de la ville impossibles. »

Ce massacre sera longtemps occulté de l’histoire contemporaine des États-Unis. En février dernier, la municipalité de Tulsa a annoncé qu’elle entreprendrait des fouilles pour découvrir de possibles fosses communes où auraient été enterrées de nombreuses victimes. Programmées pour le mois d’avril, elles ont cependant été suspendues à cause de l’épidémie mondiale de Covid-19.

Pour en savoir plus :

Messer, Chris M., Krystal Beamon, and Patricia A. Bell, « The Tulsa Riot of 1921: Collective Violence and Racial Frames », in: The Western Journal of Black Studies, no. 1 (2013)