Écho de presse

Ce qu'était le « Rassemblement national populaire »

le 28/05/2018 par Jean-Marie Pottier
le 14/03/2018 par Jean-Marie Pottier - modifié le 28/05/2018
Les quatre chefs des principaux partis collaborationnistes français, Pierre Costantini, Marcel Déat, Eugène Deloncle et Jacques Doriot, dans Le Matin du 10 octobre 1941 - source : RetroNews-BnF

« À Vichy on parle, mais à Paris on fait la révolution ». Avant le Rassemblement national de 2018, il y avait déjà eu une formation au nom proche, tentative avortée de parti unique sous l’Occupation.

« Rassemblement national », le nouveau nom choisi par le Front national lors de son congrès à Lille, le 11 mars, a rappelé des souvenirs historiques à de nombreux commentateurs ou politiques : ce fut en effet celui d’un parti collaborationniste sous l’Occupation allemande.

Le 1er février 1941 naît à Paris le Rassemblement national populaire (RNP), sous l’égide de l’ancien ministre de l’Air Marcel Déat, l’un des chefs de file des « néo-socialistes » des années 1930, exclu de la SFIO dès 1933.

Paris-Soir, sous le joug de la censure de l’occupant, écrit alors :

« Aux heures si graves que traverse actuellement le pays du fait des menées criminelles de certains dirigeants de Vichy, un fait réconfortant et qui ne manquera pas d'avoir un grand retentissement dans tout le pays, et spécialement en zone occupée, s'est produit hier à Paris. »

En fait de « menées criminelles », certains ultras de la collaboration reprochent alors à Philippe Pétain d’avoir trahi les promesses de sa rencontre avec Hitler à Montoire en écartant Pierre Laval de la tête du gouvernement le 13 décembre 1940, d’abord au profit de Pierre-Étienne Flandin, puis de l’amiral Darlan.

Le même Déat fustige Pétain, ou plutôt son entourage, dans son propre journal, L’Œuvre, que relaie Le Matin en février 1941 :

« […] Le maréchal, chargé d'ans aussi bien que d'honneurs, et accablé à la fois de toutes les responsabilités, ignorant de toute vie politique, novice en l'art de gouverner, a été circonvenu, chambré, trompé et manœuvré par une invraisemblable clique.

À laquelle jamais aucune mission n'aurait été consentie, que la France ignore et méprise, mais qui a détenu pendant six mois le pouvoir de mal faire. »

Une clique qu’il décrit en des termes fleuris, tel le vice-amiral Fernet, un des fidèles de Pétain, « invraisemblable produit de jésuitière et de maurrassière, museau de vieille fouine, œil de tartufe, et oreille de valet écoutant aux portes ».

Alors que la France est coupée en deux entre zone occupée, au nord, et zone libre, au sud, il s’agit pour le Rassemblement national populaire de jouer Paris contre Vichy, comme le clame Déat lors du premier grand rassemblement de ce nouveau parti, le 1er mai 1941 à la Mutualité :

« Vichy est loin. Paris reste capitale. C'est Paris qui doit être le berceau de cette révolution.

S'il y a des appétits de l'autre côté de la ligne de démarcation, il y a ici plus de compréhension. Là-bas, ils balbutient et nomment des commissions. Ici, nous tenons le langage des hommes mûrs. […]

Le Maréchal, qui veut alors ce que d'autres ne veulent pas, se rendra compte qu'à Vichy on parle, mais qu'à Paris on fait la révolution. »

Par les mots de « jésuitière » et « maurrassière », Déat dénonce l’influence des ultras catholiques et de la droite antiparlementaire sur Pétain, quoique la droite traditionaliste et catholique soit également représentée dans les débuts du RNP.

Mi-février 1941, Le Matin rapporte ainsi un discours tenu, au micro de Radio-Paris, par Eugène Deloncle, « l’un des promoteurs du Rassemblement national populaire », cofondateur avant-guerre du groupe d’extrême droite la Cagoule :

« De quoi s'agit-il ?

Tout simplement de la vie ou de la mort de la France, si l'on assiste passif, sans réaction, à la ruine de la politique de collaboration, sans laquelle la France se retrouverait dans la position d'une nation vaincue en présence d'un vainqueur puissant.

Pis, d'un vainqueur mécontent qu'on l'ait rebuté, qu'on n'ait pas compris son idéal de reconstruction de l'Europe. »

Deloncle quittera le mouvement dès octobre 1941, quelques semaines après l’attentat dans lequel sont blessés, à Versailles, Pierre Laval et Marcel Déat, alors qu’ils passent en revue les Volontaires français contre le bolchevisme. Une attaque dont Déat attribue la planification aux partisans de Deloncle.

« L’état de M. Déat était plus sérieux, écrit Le Petit Parisien le lendemain. La balle, qui a pénétré à la hauteur de la ceinture, nécessita dans la soirée l’opération de la laparotomie. »

L’idéologie du RNP se caractérise par un mélange d’antibolchevisme (« Quand certains bourgeois gaullistes […] se délectent en écoutant vanter les exploits hypothétiques du maréchal Timotchenko, ils pourraient se dire […] que si la Wehrmacht n'avait pas été là, les bourgeois français auraient goûté au régime stalinien. », lance Déat à Rennes, en décembre 1941, lors d’une conférence relatée par L’Ouest-Éclair) et d’anticapitalisme. Mais aussi par un fantasme totalitaire de rassemblement de toute une nation au sein d’un parti unique, comme en Italie ou en Allemagne. Nation dont seraient exclus, bien sûr, des éléments jugés indésirables.

Dans Le Matin, on peut ainsi lire, en avril 1941, comment l’état-major du parti a supervisé l’occupation de locaux parisiens appartenant à des propriétaires juifs, comme celui de l’ancien ministre de l’Intérieur Georges Mandel :

« Dans tous les immeubles, les opérations s'accomplirent avec des formalités semblables : dès la prise de possession, affichage dans les locaux du portrait du maréchal Pétain, après quoi l'huissier relevait les chiffres marqués aux différents compteurs et procédait à l'inventaire. »

Le parti unique est l’obsession de Déat. « Nous allons vers le parti unique, le parti de la révolution », lance-t-il ainsi, en clôture du premier congrès du RNP en juin 1941. « Rien de durable et de solide ne peut être fait dans ce pays si le parti unique n’existe pas. »

Un an plus tard, et tandis que Laval est entre-temps revenu au pouvoir, le mot d’ordre du deuxième congrès est : « Avec Marcel Déat vers le parti unique. »

En février 1943, il fait partie, aux côtés notamment de l’écrivain Lucien Rebatet, du comité directeur du Front révolutionnaire national, qui regroupe tous les partis autorisés en France, à l’exception du PPF de Jacques Doriot.

En mars 1944, dans les derniers mois de l’Occupation, Déat finit par entrer au gouvernement en tant que ministre du Travail et de la Solidarité nationale. Au lendemain de sa nomination, il convie ses amis à assister à la représentation d’une pièce de théâtre en forme de parabole relativement lisible, écrite par un jeune membre du Rassemblement, que résume ainsi Le Petit Parisien :

« La comédie se déroule chez les Oiseaux, en Dindubique, où le président Dindon, assisté de l’académicien Hibou, retient Jeunesse prisonnière.

Mais celle-ci brise ses chaînes et parvient à convaincre la gent volatile qu’elle doit s’arracher au gouvernement des démagogues et des vieillards. »

Six mois plus tard, à la Libération en août 1944, Déat suit pourtant le vieillard Pétain en exil au château de Sigmaringen, refuge des grands collaborationnistes français, ce qui lui vaudra d’être cité dans D’un château l’autre de Louis-Ferdinand Céline : « Déat, leur homme !… qu’il avait ceci !… qu’il avait cela ! vraiment le seul idole valable ! le géant de la pensée politique ! »

Celui que Le Soir qualifie à la fin de la guerre, lors de son procès par contumace, de « plus misérable, peut-être, des collaborateurs français », mourra en exil en 1955 à Turin, sans avoir été jugé en personne.

Contrairement à plusieurs des membres du RNP dont certains, comme Roland Gaucher ou François Brigneau, feront partie en 1972 des fondateurs du Front national avec Jean-Marie Le Pen.