Écho de presse

Auguste Piccard, premier homme dans la stratosphère

le 23/01/2021 par Priscille Lamure
le 21/03/2018 par Priscille Lamure - modifié le 23/01/2021
Le professeur Piccard et son coéquipier Paul Kipfer atterrissant dans les Alpes à la suite de leur expérience, en une du Petit Journal Illustré, 1931 - source : Gallica-BnF

Le 27 mai 1931, Auguste Piccard et son coéquipier Paul Kipfer s'envolent à 16 000 mètres d’altitude, à l’aide d’un « ballon-laboratoire ». La foule est médusée.

En 1931, le savant suisse Auguste Piccard est titulaire depuis huit ans de la chaire de physique de l’université de Bruxelles lorsqu’il décide de mettre à exécution une ambitieuse entreprise. En compagnie de son coéquipier, l’ingénieur Paul Kipfer, il projette de s’envoler dans les airs et d’atteindre la stratosphère afin d’étudier les particularités physiques de la haute atmosphère terrestre.

Après une première tentative de décollage effectuée l’année précédente, mais reportée en raison des conditions climatiques, les deux aéronautes se retrouvent à Augsbourg, le 27 mai 1931, pour réitérer leur expérience de vol stratosphérique. C’est à bord de leur ballon-laboratoire, une sphère en aluminium hermétiquement close, qu’ils ont l’intention de s’élever à 16 000 mètres de hauteur.

Leur départ étant prévu avant le lever du soleil, c’est vers 3h56 du matin que les deux hommes s’enferment dans leur ballon à gaz pour un vol d’exploration d’environ onze heures.

Les préparatifs de cette ascension scientifique sont régulièrement évoqués dans la presse française et internationale. Le journal Le Populaire note par exemple plusieurs incohérences apparentes :

« La fabrique de ballons de Augsbourg a quelques craintes, car le professeur Piccard n’a emporté de l’oxygène que pour 10 heures et lui-même a déclaré que son vol durerait 11 heures. »

La sphère, visible à l’œil nu pendant les huit premières heures, est suivie tant par les journalistes que par les curieux, venus en automobiles. Lâchant régulièrement du lest, les aéronautes parviennent à monter dans les régions supérieures de l’atmosphère, à près des 16 000 mètres recherchés (15 781 mètres officiellement). Jusqu’ici, c’est un succès total. Mais les ennuis ne vont pas tarder à s’enchaîner.

Tout d’abord, la commande de la soupape leur permettant de redescendre s’est enrayée, ce qui les oblige à retarder leur descente. Puis, le système de régulation de la température dans l’habitacle tombe en panne. Les deux scientifiques commencent donc à étouffer à l’intérieur de la sphère, où règne une chaleur accablante.

Ne voyant pas le ballon redescendre, les équipes au sol s’inquiètent de plus en plus. À 20h45, des observateurs pensent apercevoir, au-dessus du Tyrol, des signaux de détresse provenant de l’aéronef. Dès lors, « toutes les forces de la gendarmerie de la région ont reçu l’ordre de faire constamment des patrouilles sur les routes qui paraissent devoir être survolées par le ballon » rapporte le journaliste du Populaire.

À terre, l’inquiétude grandit ; en témoigne le titre alarmiste en une de L’Homme libre : 

« On est inquiet sur le sort du professeur Piccard qui avait quitté Augsbourg hier matin en ballon en vue d’explorer les hautes altitudes. »

De même, Le Matin affiche un titre des plus tragiques : « Les deux aéronautes sont-ils morts dans leur sphère close ? Les provisions sont épuisées… »

Le rédacteur poursuit avec le même pessimisme :

« Le professeur Piccard et son compagnon, l’ingénieur Kipfer, n’ont-ils pas trouvé la mort dans leur tentative ?

Le ballon n’est-il pas maintenant à la dérive, quelque part au-dessus du Tyrol ou de l’Italie […] et, dans la nacelle hermétiquement close, les deux hardis pionniers de la science ne sont-ils pas morts, d’une mort terrible par asphyxie ?

Pourquoi, s’il en était autrement, le ballon n’aurait-il pas atterri ? »

La nuit durant, sans la moindre nouvelle des deux savants, tous les commentateurs les croient morts. Ce n’est qu’au petit matin que les premières informations circulent et sont relayées dans les journaux, notamment L’Écho de Paris :

« Toute la nuit, on était resté dans l’ignorance du sort des deux hardis aéronautes et ce ne fut que ce matin que l’on apprit la présence du ballon sur un glacier de l’Ötztal, non loin de la frontière séparant le Tyrol autrichien du Tyrol italien.

À vrai dire, cette information était fort peu rassurante, puisqu’elle annonçait qu’aucun signe de vie n’avait pu être constaté à bord de l’aéronef. On était donc fondé à penser que l’on retrouverait le professeur Piccard et son collaborateur dans un état désespéré, et peut-être déjà morts.

Fort heureusement, il n’en a rien été et la caravane envoyée au secours des deux aéronautes a eu la joie de les rencontrer sains et saufs. »

En réalité, les deux savants sont redescendus bien plus tôt qu’on pouvait le penser, sans qu’aucun des nombreux témoins ne les aperçoive. Livrés à eux-mêmes, leur soirée ne fut pas de tout repos.

« L’atterrissage a eu lieu à 10 heures du soir, ce qui a obligé les aéronautes à passer la nuit à l’intérieur de leur nacelle métallique, et ne leur a permis de se mettre à la recherche d’un lieu habité qu’au début de la matinée. »

Après avoir passé 16 heures dans leur aéronef, les deux hommes épuisés, mais en bonne santé, sont rapidement pris en charge et conduits dans le village d’Obergergül où ils envoient des dépêches afin de rassurer leurs familles.

Le professeur Piccard a ainsi l’immense joie d’apprendre que, pendant les interminables heures d’angoisse qu’ils venaient de vivre isolés dans la stratosphère, sa femme a accouché de leur cinquième enfant.

Au lendemain de cette odyssée aux confins du ciel, les journalistes saluent à l’unisson la prouesse dans leurs publications respectives. Le Figaro parle notamment d’un « exploit extraordinaire ».

Une fois remis de ses émotions, le professeur Piccard se verra décorer de la Légion d’honneur pour sa participation à cette entreprise, prémices de la « conquête de l’espace » des années à venir.

 

Pour en savoir plus :

Consulter l’exposition virtuelle BnF « Sciences pour tous » sur « les voyages ordinaires et  extraordinaires : s’envoler »