Chronique

La « Grande Peur » de 1789 : les raisons d’une colère politique

le 29/07/2020 par Guillaume Mazeau
le 30/07/2019 par Guillaume Mazeau - modifié le 29/07/2020
La Journée du 21 juillet 1789 : escalade et pillage de la maison de ville de Strasbourg - source : Gallica-BnF

Quelques jours après la prise de la Bastille, c'est la Grande Peur qui s'est installée : les rumeurs de violences et de pillages dans les campagnes attisent la peur et la crainte d'une sauvagerie populaire qui ne semble plus vouloir s'arrêter.

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Fin juillet 1789. Depuis environ un mois, les états généraux ont totalement basculé. La réforme du royaume, souhaitée par le roi et ses ministres, leur a complètement échappé. En quelques semaines seulement, la monarchie absolue s’est effondrée. Une Assemblée nationale a été proclamée. La Bastille a été prise. Les projets s’accumulent : tout annonce qu’une déclaration des droits sera bientôt votée. L’ordre nouveau devient une réalité. Et pourtant, les nouvelles les plus alarmantes viennent de plusieurs provinces du royaume.

 Le Courrier de Provence de Mirabeau s’en fait l’écho le 29 juillet 1789 :

« Des Villes, des Provinces ont été remplies de terreurs paniques ; les citadins, les laboureurs ont quitté leurs travaux pour courir aux armes. La Municipalité de Soissons informa l’Assemblée nationale, le 27 de ce mois, que des troupes de brigands fauchaient les blés avant leur maturité, & que les habitants des villages refluaient dans les villes […]. »

Partout, le même type de rumeurs : des brigands profiteraient de la désorganisation du pays pour piller les campagnes et terroriser les habitants. Pour certains, c’est la preuve que la Révolution n’apporte rien de bon : la colère du peuple, invoquée par les révolutionnaires, ne serait que le masque d’une sauvagerie populaire que l’effondrement de l’autorité aurait soudain libérée.

Le 23 juillet, effrayé par les violences qui semblaient ne plus vouloir s’arrêter depuis la prise de la Bastille, le très conservateur député de Saint-Domingue Gouy d’Arcy, lui-même habitué la répression des esclaves, avait déjà appelé à une réaction musclée : « il faut prendre sur-le-champ les moyens les plus efficaces et les plus prompts pour arrêter ce désordre » (Gazette nationale ou le Moniteur universel, 23 juillet 1789).

Et pourtant, le 1er août, le journal L’Observateur donne une tout autre analyse :

« Des bourgeois et des paysans ont brûlé en Dauphiné, non pas trente châteaux, comme on s’est plu à le dire, mais les papiers terriers d’une trentaine de châteaux. II n’y a eu jusqu’à présent que deux châteaux brûlés […]. Ces maux sont affreux ; il faudrait ne pas les aggraver dans des récits. »

Ce récit est le plus proche de la vérité. La Révolution a commencé et pourtant, de nombreux Français ne voient pas leur vie changer. Autant qu’une peur, c’est une colère qui monte au sein des classes populaires, une colère politique qui se dirige non contre toute la noblesse, mais contre les mauvais seigneurs, ceux qui abusent de leurs privilèges féodaux. Scrupuleusement consignés dans des documents qu’on appelle les « terriers », ces privilèges ne sont pas facilement accessibles, mais archivés dans les châteaux. En brûlant publiquement ces documents, ces paysans expriment leur volonté de mettre fin au droit féodal qui, pour eux, est la principale source d’injustice.

Réduits au cliché commode de la « peur » du peuple et de ses violences, les soulèvements de l’été 1789 relèvent plutôt d’une colère politique. Or nous leur devons beaucoup : ce sont bien eux qui poussent les députés, effrayés par la montée de l’insurrection paysanne, à voter l’abolition des privilèges le 4 août.
 

Guillaume Mazeau est maître de conférences en histoire à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est également commissaire d'expositions et conseiller historique pour le théâtre et la télévision.