Chronique

21 janvier 1793 : le roi Louis XVI est guillotiné

le 28/11/2021 par Jean-Clément Martin
le 19/01/2021 par Jean-Clément Martin - modifié le 28/11/2021

Le 18 janvier au soir, les députés de la Convention condamnent « Louis Capet » à l’échafaud. Si l’évènement marquera l’histoire de France, comment a-t-il alors été interprété par les citoyens français ? Quelles conséquences cette célèbre décapitation entraînera-t-elle ?

L’exécution du roi, le 21 janvier 1793, est, incontestablement, un événement important de l’histoire de France. Elle consacre la victoire de la Révolution et confirme la République, installée inopinément en septembre 1792. Or la décision a été prise, difficilement, par la Convention, érigée en tribunal, au terme d’un procès commencé au début de décembre 1792. 

La procédure avait été contestée par Saint-Just et par Robespierre qui, avec les Sans-culottes les plus extrêmes, voulaient guillotiner le roi sans autre forme de procès. Mais la Convention, à la quasi-unanimité, refuse de condamner ainsi le roi pour ne pas commettre un crime, comme le veulent par exemple Pétion et Marat, unis ici au-delà de leurs divergences d’opinion.

Lorsque les députés doivent prononcer le verdict, du 15 au 18 janvier 1793, ils reconnaissent de façon quasi-unanime la culpabilité du roi, mais se divisent en deux tendances presque équivalentes. Grossièrement, les Montagnards réclament la peine capitale, tandis que les Girondins la refusent, même si une trentaine d’entre eux se rangent derrière les Montagnards. 

Le résultat est donc acquis de justesse avec 26 voix au-delà de la majorité simple (361 voix). Un artifice de présentation, réalisé aussitôt, oppose les 361 votes pour la mort aux 360 autres amalgamant tous autres les attendus, pour assurer que la décision a été prise à une seule voix de majorité. La chose est fausse et relève de la polémique. Pour autant, le jugement ne respecte pas le code pénal, qui voulait qu’une telle peine soit prise à la majorité des trois quarts des votants, mais suit les pratiques répressives des tribunaux extraordinaires jugeant les contre-révolutionnaires. 

Le sursis de l’exécution est refusé plus nettement et le roi est conduit à l’échafaud le 21 janvier au matin. C’est la Commune de Paris qui est chargée de la mise en œuvre, sur l’ordre du Conseil exécutif provisoire (les ministères détenus par les Girondins). La mobilisation est considérable, et restera unique, concernant autour de 100 000 hommes armés contrôlant tout Paris. On lira le début de la lettre du général Santerre, plus tard opposant à Robespierre, qui décide de l’organisation de la journée.

Ce luxe de précautions peut se justifier par la peur d’un enlèvement du roi par des contre-révolutionnaires, mais s’expliquer aussi par le respect maintenu devant le souverain. D’autant que celui-ci fait preuve d’un sang-froid qui déconcerte. Sans doute, certains journaux vont essayer de ternir son image, comme cet article qui évoque, sommairement, le « confesseur » du roi, qui n’est autre qu’Edgeworth de Firmont, prêtre catholique anglo-irlandais et ardent contre-révolutionnaire, qui échappait donc à la Constitution civile du clergé. La Convention l’avait autorisé à assister le roi jusqu’au pied de l’échafaud.

Une polémique s’ensuit, Hébert, célèbre pour son journal Le Père Duchesne, intervient pour que les journaux ne fassent pas de comptes rendus de l’exécution. Le roi a manifesté une fermeté telle, que le Sans-culotte Hébert qui le traitait de « cornard » entre autres noms d’oiseaux, souhaite plutôt que la presse ne permette pas que le public s’apitoie sur le sort du roi. Il faut, pour lui, que le peuple garde éternellement les « sentiments de haine » pour les rois.

Il faut attendre un mois pour que l’exécuteur Sanson lui-même prenne la plume et apporte des précisions.

Reste alors une autre question énigmatique, les spectateurs – voire, les spectatrices – de l’exécution ont-ils recueilli des reliques, plongé leurs mouchoirs dans le sang du roi ? La place de la Révolution (place de la Concorde aujourd’hui) était occupée par des milliers de gardes nationaux et de soldats, ne laissant pas d’espace à un public civil. En outre, la circulation des femmes était étroitement contrôlée, ce qui rend peu crédible leur présence.

Peu de journaux en parlent, et celui-ci le fait avec précaution avant d’enchaîner sur l’inhumation du roi dans le cimetière à côté de l’église de la Madeleine, paroisse de la place. Le lieu sera marqué après 1816 par la chapelle expiatoire.

Dans ces journées si importantes dans le cours de la Révolution, la presse garde une liberté inattendue, au point de publier les pages laissées par le roi, notamment son testament.

Il n’est pas assuré que l’exécution du roi ait été l’événement le plus déterminant de ces journées de janvier. Aucun député de la Convention n’est présent place de la Révolution. Ils siègent tous dans la salle du Manège à quelques centaines de mètres de là mais laissent les Sans-culottes de la Commune assumer la responsabilité de la mise à mort. C’étaient eux qui la réclamaient depuis août 1792, la Convention a pris sa part mais ne veut pas s’y impliquer davantage, d’autant qu’elle s’est divisée radicalement entre partisans et opposants à la peine de mort. 

La séparation entre ceux qui vont être appelés Girondins et les Montagnards devient l’opposition entre révolutionnaires comme l’illustre la démission d’un député remarqué par son caractère, le vice-amiral Kersaint, farouche Girondin. Kersaint sera plus tard déclaré infâme et traitre à la patrie ; en conséquence, il sera guillotiné en décembre 1793.

Ce qui entraîne des réactions vives de la part des Jacobins et des Montagnards poussant à la démission de Roland, ministre de l’Intérieur et annonçant l’expulsion des Girondins hors de la Convention en juin suivant.

L’unité de la Convention se refait momentanément autour de l’assassinat du député Pelletier de Saint-Fargeau. Ce jeune noble issu d’une grande famille, Montagnard influent, a été tué par un ancien garde du corps du roi, le 19 janvier, au soir même du verdict condamnant le roi à l’échafaud. Ses funérailles sont organisées le 22 en présence de tous les députés.

Hors de Paris, il faut se défier des exagérations des journaux militants comme l’écrit le Journal de Marseille le 29 janvier. Les réactions demeurent largement méconnues dans tout le pays. A l’étranger, les journaux dénoncent l’événement comme le cite le Courrier de Strasbourg le 2 février à partir d’une gazette allemande.

La décision est alors prise de faire entrer Le Pelletier au Panthéon, en même temps qu’il faudrait faire sortir Mirabeau – expulsion qui n’aura lieu qu’en septembre 1794. Il faut entendre Barère réclamer une fraternité qui n’existe déjà plus du tout au sein de la Convention…

Il reste difficile d’évaluer les retombées de la journée du 21 janvier. La vie ordinaire reprend à Paris dans l’après-midi et les théâtres sont ouverts le soir. La presse en a rend compte librement et la connaissance des débats est possible immédiatement.

Quelle signification faut-il donc assigner à l’exécution du roi ? Paradoxalement, elle n’a pas suscité les réactions que les révolutionnaires craignaient. Elle a permis au roi de retrouver une dignité qu’il avait perdue depuis Varennes. Elle a accentué les divisions entre les révolutionnaires, consacrant des groupes antagonistes qui se détruiront mutuellement dans l’année suivante. Elle n’aura ni aboli la monarchie ni fait disparaître son souvenir, comme elle n’aura pas résolu les contradictions entre les espoirs révolutionnaires et les besoins de stabilité républicaine.

Elle demeure pourtant une de ces journées essentielles de notre histoire.

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Jean-Clément Martin est historien, spécialiste de la Révolution française. Il est professeur honoraire à l’Université Paris 1 et ancien directeur de l'Institut d'Histoire de la Révolution française. Son nouvel ouvrage L'Exécution du roi, 21 janvier 1793 vient d'être publié aux éditions Perrin.