Chronique

1922, le Noël des anarchistes sur les Grands Boulevards

le par

« Encore un effort et nous les sortirons », Le Libertaire, 1922 – source : RetroNews-BnF

Au lieu de se livrer à des festivités qui les laisseront « sans pain le lendemain », la communauté anarchiste parisienne invite ses militants à manifester en plein centre de la capitale à la veille de Noël 1922. Sur le qui-vive, la police écourtera avec fracas la mobilisation.

En décembre 1922, le peintre et dessinateur André Claudot collabore activement à l’organe anarchiste Le Libertaire depuis sa réinstallation à Paris, en 1920, au sortir de la Première Guerre mondiale. Cet anarchiste, qui a fondé à Dijon une section du Comité de Défense sociale (CDS, organisation créée en 1903 pour aider les militants emprisonnés), est farouchement antimilitariste, anticlérical, anticapitaliste, antiparlementaire et pacifiste.

Il signe ici un dessin à l’encre (voir ci-dessus), en pleine page de couverture du numéro spécial du dimanche 24 décembre 1922 de l’hebdomadaire. L'œuvre est complétée sur la même page par plusieurs articles qui appellent tous les travailleurs parisiens à manifester le jour de Noël sur les grands boulevards pour réclamer l’amnistie de prisonniers politiques de la IIIe République.

Au centre de l’image un homme barbu, musclé et torse nu, symbole de l’ouvrier en lutte, enfonce à coups de poings et de pieds les portes de fer d’une prison anonyme. La représentation reprend les codes de la figure de l’ouvrier héros, mais aussi acteur social, mise en place au XIXe siècle. Il est cependant plus proche de la figure traditionnelle d’un forgeron, fondée sur une iconographie classique et mythologique (Vulcain), que de celle du mineur de fond, qui s’est progressivement introduite au cours de l’industrialisation. On pense aussi à Hercule, ou aux raboteurs de parquet du peintre Gustave Caillebotte et à tous les ouvriers représentés par les artistes dans la chaleur des laminoirs des usines sidérurgiques ou des verreries.

Quelques pavés dessinés à grands traits installent cette scène à Paris. Sur les côtés, ont pris place trois figures classiques des boucs émissaires dénoncés par le mouvement anarchiste. Deux d’entre elles sont presque hors du cadre, s’enfuyant apeurées face à cette virile démonstration de force.

La première, dont on ne voit qu’une jambe gansée d’un pantalon d’uniforme, avec une botte munie d’un éperon, est celle d’un officier, représentant à lui tout seul « les généraux assassins » de la Première Guerre mondiale, « les fusilleurs de Vingré et d’ailleurs ». La seconde symbolise un magistrat vêtu de la robe rouge à cape d’hermine et de la toque portées lors de procès en Cour d’assises ou d’audiences solennelles. Pour l’artiste, il est lui aussi à la solde du pouvoir politique. Sa tête ressemble d’ailleurs presque plus à celle d’un chien qu’à une figure humaine. Enfin, un capitaliste avec manteau, haut de forme et dents...

Cet article est réservé aux abonnés.
Accédez à l'intégralité de l'offre éditoriale et aux outils de recherche avancée.