Écho de presse

C'était à la Une ! Notre But, de Jaurès

le 16/12/2022 par RetroNews
le 24/11/2017 par RetroNews - modifié le 16/12/2022
Le Populaire 31 juillet 1927 - Source RetroNews BnF

La lecture du jour présente l'éditorial de Jean Jaurès lors de la création journal L'Humanité, le 18 avril 1904, sur la vocation de cette publication.

En partenariat avec "La Fabrique de l'Histoire" sur France Culture

Cette semaine : Notre but, par Jean Jaurès, premier numéro de L'Humanité, 18 avril 1904

Dans ce premier éditorial de L'Humanité, Jaurès, avec verve, évoque la grande cause socialiste et prolétarienne pour faire de « chaque nation enfin réconciliée avec elle-même, une parcelle d'humanité ».

 

« NOTRE BUT

Le titre même de ce journal, en son ampleur, marque exactement ce que notre parti se propose. C'est, en effet, à la réalisation de l'humanité que travaillent tous les socialistes. L'humanité n'existe point encore ou elle existe à peine. À l'intérieur de chaque nation, elle est compromise et comme brisée par l'antagonisme des classes, par l'inévitable lutte de l'oligarchie capitaliste et du prolétariat. Seul le socialisme, en absorbant toutes les classes dans la propriété commune des moyens de travail, résoudra cet antagonisme et fera de chaque nation enfin réconciliée avec elle-même une parcelle d'humanité. [...]

Vers ce grand but d'humanité c'est par des moyens d'humanité aussi que va le socialisme. À mesure que se développent chez les peuples et les individus la démocratie et la raison, l'histoire est dispensée de recourir à la violence. Que le suffrage universel s'affirme et s'éclaire ; qu'une vigoureuse éducation laïque ouvre les esprits aux idées nouvelles, et développe l'habitude de la réflexion ; que le prolétariat s'organise et se groupe selon la loi toujours plus équitable et plus large : et la grande transformation sociale qui doit libérer les hommes de la propriété oligarchique, s'accomplira sans les violences qui, il y a cent dix ans, ensanglantèrent la Révolution démocratique et bourgeoise, et dont s'affligeait, en une lettre admirable, notre grand communiste Babeuf.

Cette nécessaire évolution sociale sera d'autant plus aisée, que tous les socialistes, tous les prolétaires, seront plus étroitement unis. C'est à cette union que tous ici, dans ce journal nous voulons travailler. [...]  Socialistes révolutionnaires et socialistes réformistes sont avant tout, pour nous, des socialistes. [...] Et l'on verra à l'épreuve que, sans rien abandonner de nos conceptions propres, nous tâcherons ici de seconder l'effort de tous.

Nous voudrions de même que le journal fût en communication constante avec tout le mouvement ouvrier, syndical et coopératif. Certes, ici encore, il y a bien des divergences de méthode. Et ceux qui tentent de détourner de l'action politique le prolétariat organisé, commettent, à notre sens, une erreur funeste [...].

C'est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. La grande cause socialiste et prolétarienne n'a besoin ni du mensonge, ni du demi-mensonge, ni des informations tendancieuses, ni des nouvelles forcées ou tronquées, ni des procédés obliques ou calomnieux. Elle n'a besoin ni qu'on diminue et rabaisse injustement les adversaires, ni qu'on mutile les faits. Il n'y a que les classes en décadence qui ont peur de toute la vérité : et je voudrais que la démocratie socialiste, unie à nous de cœur et de pensée, fût fière bientôt de constater avec nous que tous les partis et toutes les classes sont obligés de reconnaître la loyauté de nos comptes rendus, la sûreté de nos renseignements, l'exactitude contrôlée de nos correspondances. [...]

Mais tout cela ne serait rien et toute notre tentative serait vaine ou même dangereuse si l'entière indépendance du journal n'était point assurée et s'il pouvait être livré, par des difficultés financières, à des influences occultes. L'indépendance du journal est entière. Les capitaux, dès maintenant souscrits, sont suffisants pour nous permettre d'attendre le développement espéré du journal. Et ils ont été souscrits sans condition aucune ! Aucun groupe d'intérêts ne peut directement ou indirectement peser sur la politique de L'Humanité. [...]

Faire vivre un grand journal sans qu'il soit à la merci d'aucun groupe d'affaires, est un problème difficile mais non pas insoluble. Tous ici nous donnerons un plein effort de conscience et de travail pour mériter ce succès que la démocratie et le prolétariat nous y aident.

Jean Jaurès »