Écho de presse

Henry Thoreau et l'appel à la désobéissance civile

le 15/12/2022 par Marina Bellot
le 04/06/2018 par Marina Bellot - modifié le 15/12/2022
Henry D. Thoreau par Benjamin D. Maxham, daguerréotype, juin 1856 - source : WikiCommons

Philosophe et poète naturaliste, le théoricien de la désobéissance civile Henry Thoreau a influencé de nombreux mouvements prônant la non-violence et l’écologie politique. 

Ignoré de son vivant au XIXe siècle, Henry David Thoreau sortit de l'oubli au XXe – et inspira un nombre incalculable de personnalités engagées.  

C'est par son œuvre majeure, Walden ou la Vie dans les bois, que Thoreau se fit connaître puis fut redécouvert. Cette puissante réflexion sur l'économie, la nature et la vie simple, ce solitaire l'a écrite lors d'une retraite dans une cabane en rondins qu'il s'était construite au bord d'un lac.

En 1901, son nom apparaît pour la première fois dans la presse française, à la faveur d’un long article publié dans Le Journal des débats politiques et littéraires, sous le titre Un ermite américain.

L’auteur y revient sur la vie solitaire et sauvage de Thoreau, qui forgea sa connaissance et son amour de la nature : 

« Henry David Thoreau naquit le 12 juillet 1817, dans la petite ville de Concord, à quelques kilomètres de Boston, d'un père et d'une mère originaires de Jersey. Après avoir été un médiocre écolier, il devint un maître d'école médiocre. Son humeur exubérante ne s'accommodait pas de cette occupation sédentaire.

Il ouvrit alors un bureau de géomètre arpenteur, cette profession lui permettant de donner libre cours à sa seule passion : la vie en plein air. [...]

Henry David Thoreau a fait mieux encore : il a mis du vert dans la Vie humaine. La leçon qu'il a donnée est opportune dans l'ancien monde comme dans le nouveau, dans la vieille Europe comme dans la jeune Amérique.

Ne se trouvera-t-il donc pas un poète pour traduire Walden en français ? »

De fait, Thoreau ne commence à être connu en France qu’à partir des années 1920, à la faveur de la publication en France de son autre ouvrage majeur, écrit en 1849 : Résistance au gouvernement civil, intitulé de façon posthume, La Désobéissance civile (« Civil Disobedience », en anglais).

Thoreau y développe ses positions politiques et idéologiques et y prône la résistance passive en tant que moyen de protestation, affirmant :

« Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins. »

En 1921, L’Humanité publie des extraits de l’avant-propos de l’ouvrage, signé de l'écrivain et traducteur Léon Bazalgette. Spécialiste de Thoreau, Bazalgette y revient sur l'incarcération de Thoreau pour avoir refusé de payer l'impôt :

« Dans Walden, Thoreau évoque l'incident de son arrestation prétexte à désobéir aux lois un jour où, descendu de sa cabane dans les bois avec un soulier à réparer qu'il portait au savetier du village, il fut coffré pour refus de payer l'impôt.

Un Henry Thoreau avait une foi trop sincère en les promesses que son Créateur avait expressément inscrites en lui pour subventionner de ses deniers, gagnés à la sueur de son front, un État qui maintenait l'esclavage et poursuivait au Mexique une guerre de conquête. »

Mais l'épisode le plus marquant – et déterminant pour sa postérité – de la vie de Thoreau survient quelques années plus tard : en 1859, Thoreau s’illustre en soutenant, seul contre tous, le père John Brown, abolitionniste et auteur d'une tentative d'insurrection en Virginie en 1859 qui se termina par son arrestation et sa condamnation à mort par pendaison, pour trahison.

« Dans tous les États du Nord, son acte est tenu pour pure folie. Bien rares ceux qui osent publiquement prendre la défense du vieux puritain têtu qui seul avait osé faire une tel geste, alors que tant de bonnes âmes, vaguement et verbalement généreuses, prêchaient l'abolition sans oser prendre aucune responsabilité. 
 
Henry Thoreau, qui connaissait personnellement le père Brown, et avait lu dans ses yeux gris toute la beauté de ce pur vouloir, Henry Thoreau qui aimait plus que tous autres spécimens d'humanité, ces types d'une énergie farouche, est atteint jusqu'au cœur du cœur par cette tragédie. Il en perd le sommeil. 
 
C'est, en réalité, la grande secousse de sa vie.
 »

Quelques jours avant le prononcé de la sentence, Thoreau organise une conférence pour défendre publiquement le père Brown et ses idées, créant un mouvement d'opinion qui dépasse largement les frontières de l'Amérique, allant jusqu'à interpeller Victor Hugo :

« Le dimanche 30 octobre 1859, quatre jours avant le prononcé de la sentence, par le tribunal de Charlestown, Thoreau convoque les habitants de Concord à une conférence. [...]

Et il parle en effet, en termes émus et fiers, non point pour demander la grâce du “martyr”, mais le défendre contre les calomnies, exalter son acte et l'acte de tous les Brown passés et à venir.

Un mouvement en faveur du condamné gagne bientôt l'Europe. [...]

Le jour même où la corde était passée au cou rugueux du vieux partisan, le poète Hugo, espérant toujours un sursis, dans sa foi en le monde civilisé qu'il voyait à travers lui-même, écrit de Hauteville House 

“On ne fait point de ces choses-là impunément en face du monde civilisé. La conscience universelle est un œil ouvert”. »

Cet épisode donnera à Thoreau toute sa dimension de poète engagé, d’homme de pensée et d’action, lui qui expliquera : « La seule obligation qui m'incombe est de faire en tout temps ce que j'estime juste » : 

« Soudain nous recueillons ici le plus éclatant témoignage qui nous permette, non seulement de vérifier la trempe de cet individualiste farouche, mais de savoir jusqu'où il pouvait aller dans sa revendication en faveur de l'homme. [...]

Car lui aussi croit en la sainte nécessité de l'insurrection, lorsqu'une aussi grande cause est en jeu. »

Henry Thoreau mourra en 1859, un an avant le début de la guerre de Sécession américaine, qui aboutira cinq ans plus tard à l'abolition de l'esclavage.

La Désobéissance civile aura une grande influence sur le mahatma Gandhi et sur Martin Luther King et, indirectement, sur tous les courants de résistance nés durant la Seconde Guerre mondiale. 

L'amour et le respect de la nature transmis par Thoreau deviendront une source d'inspiration majeure pour les naturalistes et les écologistes, tandis que ses idées économiques et politiques seront reprises par les adeptes de la simplicité volontaire.