Écho de presse

La fusillade du Brûlé, Saint-Étienne pleure ses mineurs

le 12/08/2020 par Michèle Pedinielli
le 30/04/2019 par Michèle Pedinielli - modifié le 12/08/2020
Saint-Étienne, aux mines de La Ricamarie, ouvriers venant toucher leur paie, Agence Rol, 1914 - source : Gallica-BnF
Saint-Étienne, aux mines de La Ricamarie, ouvriers venant toucher leur paie, Agence Rol, 1914 - source : Gallica-BnF

En juin 1869, la troupe impériale ouvre le feu sur des mineurs en grève. Quatorze morts et de nombreux blessés pour un épisode qui deviendra fondateur dans l’histoire du mouvement ouvrier en France.

En juin 1869, les mineurs du bassin de Saint-Etienne se mettent en grève pour obtenir la journée de huit heures, l’augmentation des salaires et la mise en place d’une caisse de secours regroupant celle des patrons et La Fraternelle, le système autogéré par les ouvriers des mines. 

Dans la presse généraliste, l’accent est mis sur d’hypothétiques « agents extérieurs » se mêlant aux ouvriers afin de porter la sédition au sein des puits. Le préfet de la Loire, dépassé, fait ainsi « placarder sur les plâtres des puits de mines une adresse aux mineurs ».

« Une bande d’émeutiers a parcouru, dans la journée d’hier, les puits du bassin houiller de St-Etienne, et, imposant sa volonté par la terreur, vous a forcés à abandonner vos travaux. 

Leur audace a été portée si loin qu’ils ont brisé les soupapes des chaudières et menacé de couper les câbles, au risque d’exposer la vie d’un grand nombre de vos camarades. 

C’est une infime minorité, qui, poussée par on ne sait quel mobile, a jeté l’épouvante parmi vous et alarme tous les intérêts industriels du pays, si intimement liés aux vôtres. Une tentative aussi criminelle ne restera pas impunie et l’autorité a pris des mesures pour en empêcher le renouvellement. »

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La troupe est immédiatement envoyée pour faire cesser le mouvement. Les soldats s’emploient notamment à arrêter les grévistes avant qu’ils ne convainquent leurs camarades des autres puits de cesser le travail.

« Plusieurs ouvriers étaient occupés à enlever le charbon extrait avant la grève, quand une foule de mineurs se précipita sur eux, pour les arrêter dans leur travail. 

La troupe chargée de la surveillance du puits s'élança aussitôt sur les assaillans [sic], et, sans effusion de sang, parvint à faire cinquante arrestations. En un instant, le puits fut dégagé et les attroupemens [sic] dispersés. 

Cependant il était impossible de garder les cinquante prisonniers au poste de surveillance. Il fallait au plus tôt et par un chemin détourné les conduire à Saint-Étienne. »

Le détachement du 4e de ligne, composé de cent cinquante hommes sous les ordres du capitaine Gausserand, est chargé d’emmener discrètement les prisonniers à Saint-Etienne, en évitant la commune de La Ricamarie, haut lieu de la lutte des mineurs. Malgré les chemins détournés, le convoi croise une femme qui alerte les grévistes. Ceux-ci se rassemblent alors pour tenter de délivrer les cinquante prisonniers.

Dans un premier temps, l’escorte de soldats se met dans une position stratégique délicate, au lieu-dit « Le Brûlé ».

« À trois heures un quart, elle était arrivée à la hauteur du Montcel 

Là, la route étroite est resserrée entre deux talus. À droite, du côté du Montcel, s'étend un plateau couvert de blés et de champs de pommes de terre ; à gauche, à une distance de quelques mètres, s'élèvent des maisons, les palissades et les échafaudages d'un puits. L'escorte s'engagea dans cette gorge.

Alors, profitant de cette position, la foule, composée de plus d'un millier de personnes, se précipite sur l'escorte pour délivrer les prisonniers. La troupe résiste, les ouvriers s'exaspèrent, les pierres pleuvent de toutes parts. 

Quelques soldats et trois prisonniers sont blessés. »

Sous les jets de pierre, les soldats ripostent et contrairement au bruit qui circule chez les mineurs (« Avancez, avancez, ils n'ont que des cartouches à blanc »), les fusils sont chargés. La fusillade est courte mais extrêmement meurtrière.

« C’est alors que plusieurs soldats exaspérés, poussés par un sentiment de légitime défense et se voyant accablés par le nombre, déchargèrent leurs armes sur les agresseurs. 

La foule effrayée se dispersa en un clin d'œil. Le capitaine fit cesser le feu par une sonnerie, et la colonne reprit en bon ordre sa marche sur Saint-Étienne sans rencontrer de nouveaux obstacles. »

Le lendemain de la fusillade, le Mémorial de la Loire parle d’une « collision sanglante ». 

« Que se passe-t-il alors en un instant aussi rapide que l’éclair ? Nul des témoins, du côté des bandes, n’a pu nous le dire ; personne n’a entendu le commandement de : feu ! 

Les soldats de la première ligne, ont spontanément tiré et quelques-uns s’élancent pour escalader le talus, la bayonnette [sic] en avant. Mais à la voix du capitaine tout rentre soudain dans l’ordre, et pendant que la masse populaire s’enfuit à travers champs et va porter à la Ricamarie la nouvelle du sinistre événement, la troupe poursuit son chemin, arrive à la Beraudière, et réintègre enfin la caserne où elle dépose ses prisonniers, à trois heures et demie environ.

Nous avons vu, à cinq heures, sur le théâtre de cette fatale collision – une petite prairie confinant au chemin, entre deux champs de blé, – nous avons vu neuf victimes étendues sur le sol, à l’endroit même où elles ont été frappées, sept hommes et deux femmes. […]

Deux blessés, transportés à l’hospice de la Ricamarie, ont cessé de vivre peu après y avoir été déposés. Ce sont la femme Revol et un enfant de trois ans, fils de la veuve Fleurine, tué dans les bras de sa mère, qui avait eu la malheureuse imprudence de se mêler aux perturbateurs. La mère elle-même est atteinte dangereusement. 

En tout onze morts. »

On compte en réalité quatorze morts, parmi lesquels un bébé de 17 mois et de nombreux blessés graves. 

Le capitaine Gausserand, à la tête du 4e de ligne, s’exonère de tout acte disproportionné dans son rapport, accusant la foule menaçante. Toutefois le conseil municipal de Saint-Étienne demande – et obtient – l’éloignement de cette troupe.

« Nous apprenons que MM. les conseillers municipaux ont rédigé une protestation contre la conduite des officiers et soldats composant le détachement engagé dans la collision du 16 juin. Dans cette protestation, les conseillers municipaux demandent l’éloignement du 4e de ligne. 

M. Charvet, maire, s’est refusé à signer une semblable protestation. »

Mais aucune charge ne sera retenue contre les soldats, alors que soixante-deux mineurs et femmes de mineurs seront condamnés à des peines allant de quinze jours à quinze mois de prison – ils seront néanmoins amnistiés en août par décision impériale.

À la suite de cet événement fondateur, la journée de huit heures sera instaurée dans certaines compagnies minières de l’Empire. La fusillade du Brûlé s’affirmera, au fil du temps, l’un des points de départ du mouvement ouvrier en France.

Pour en savoir plus :

Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky, Histoire des mouvements sociaux en France, La Découverte, 2014

Diana Cooper-Richet, « La foule en colère : les mineurs et la grève au XIXe siècle », in: Revue d'Histoire du XIXe siècle, 1998