Écho de presse

1905 : Création de la SFIO, ancêtre du Parti socialiste

le 16/04/2021 par Antoine Jourdan
le 07/10/2019 par Antoine Jourdan - modifié le 16/04/2021
Discours de Jean Jaurès durant une manifestation de la SFIO au Pré-Saint-Gervais, 1913 - source : Gallica-BnF
Discours de Jean Jaurès durant une manifestation de la SFIO au Pré-Saint-Gervais, 1913 - source : Gallica-BnF

Au Congrès du Globe de 1905, les courants réformistes et révolutionnaires du socialisme français s’unissent pour former la Section française de l’Internationale socialiste (SFIO). L’union tiendra quinze ans, avant de voler en éclats au Congrès de Tours de 1920.

Le socialisme qui se développe pendant le XIXe siècle est scindé en deux dès sa conception. D’un côté, une frange révolutionnaire, exacerbée par les répressions sanglantes de 1848 et de 1871, n’accepte pas d’autre rôle que celui de préparer la révolution. De l’autre, la frange réformiste, guidée par les Droits de l’Homme et les principes républicains, ajoute un volet légaliste qui conçoit que l’électoralisme puisse permettre une certaine émancipation pour la classe ouvrière.

Cette division majeure qui scinde le mouvement en deux l’a rendu incapable de s’affirmer politiquement dans la Troisième République naissante. En plus de ces débats théoriques, l’extrême gauche française s’écharpe aussi sur la question de la participation ministérielle depuis l’entrée d’Alexandre Millerand au gouvernement Waldeck-Rousseau en 1899.

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Au Congrès international d’Amsterdam où tous ceux qui se revendiquent du socialisme se retrouvent en août 1904, une motion est déposée pour tenter de dépasser ces clivages qui immobilisent le mouvement.

« Le Congrès déclare que, pour donner à la classe des travailleurs toute sa force dans sa lutte contre le capitalisme, il est indispensable que, dans tous les pays, en face des partis bourgeois, il n’y ait qu’un parti socialiste comme il n’y a qu’un prolétariat.

En conséquence, tous les militants et toutes les fractions ou organisations qui se réclament du socialisme ont le plus impérieux devoir de travailler de toutes leurs forces à la réalisation de l’unité socialiste […]. »

Le mouvement unitaire est ainsi lancé. Pendant plusieurs mois, une commission d’unification, composée de « citoyens » issus de différents courants, se rassemble régulièrement pour définir un projet politique qui puisse satisfaire tout le monde. Le 12 avril 1905, la commission présente un texte qui regroupe 56 articles qui ont pour but de structurer le nouveau parti.

« Article premier. – Le Parti socialiste est fondé sur les principes suivants :

“Entente et action internationales des travailleurs ; organisation politique et économique du prolétariat en parti de classe pour la conquête du pouvoir et la socialisation des moyens de production et d’échange, c’est-à-dire la transformation de la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste.”

Art. 2. – Le titre du Parti socialiste, section française de l’Internationale ouvrière. »

Malgré l’importance de la question de la participation dans les débats qui traversent l’extrême gauche du début du XXe siècle, le « projet de règlement du Parti » que présente la Commission n’y fait aucune allusion. C’est donc sur une base très limitée que les différents courants socialistes français se retrouvent à la salle du Globe de Paris pour essayer de mettre en marche l’unité de leur courant.

« Il semble bien que la grande majorité [des socialistes] marche à l’unité sans enthousiasme. On subit une situation imposée par l’ascendant de l’Internationale pangermaniste à Amsterdam, bien plus que cette situation ne résulte vraiment du sentiment intime des membres du parti » analyse le Journal des débats politiques et littéraires à la veille de la rencontre.

Le 24 avril, Le Petit Parisien présente les différentes tendances qui se retrouvent à Paris :

« Le congrès d’unification socialiste, s’est réuni, hier matin, à la salle du Globe, à Paris.

Environ 300 délégués venus de toutes les parties du pays étaient présents, dont 148 pour le parti socialiste de France, 112 pour le parti socialiste français [les partis de Jules Guesde et de Jean Jaurès, respectivement – NDLR].

Les autres représentaient le parti ouvrier socialiste révolutionnaire et les fédérations autonomes. »

Dès la première séance de la première journée, l’unité est actée. Le texte de la Commission reçoit immédiatement une adhésion unanime. La SFIO est créée sans disruption, et « c’est aux cris de : “Vive l’unité socialiste !” qu’est levée la première séance » rapporte L'Humanité. Les jours suivants ne servent qu’à modifier certains éléments du texte initial, sans que le fond ne soit amendé.

Ce congrès, largement perçu comme étant une formalité, est marquant par sa sobriété : réunions à huis clos et absence de grands discours. Même la presse socialiste se limite à rapporter de menus détails au sujet des amendements proposés par les différents groupes. Le quotidien socialiste La Petite République n’y consacre  par exemple qu’une seule ligne, dans sa rubrique « Les faits d’hier » :

« Le congrès de l’unification socialiste a clos ses travaux après avoir adopté le règlement du Parti socialiste (section française de l’Internationale ouvrière). »

Dans son éditorial qui suit la fermeture du Congrès, le socialiste Francis de Pressensé se félicite néanmoins :

« À l’heure où je sors du Congrès, il ne me reste que le temps de marquer, sous leur forme la plus générale, les heureux résultats et d’en célébrer l’esprit véritablement cordial et harmonieux. L’unité socialiste est faite − et bien faite − en France.

Le Congrès de Paris a ratifié, le plus souvent à l’unanimité, toujours au moins à une grande majorité, non seulement le pacte fondamental qui avait été élaboré au nom des anciennes organisations par la commission d’unification, mais encore le règlement organique du Parti et les mesures de transition. »

Toutefois, les observateurs extérieurs ne sont guère convaincus par la démarche unitaire. « L’unité socialiste est une pure comédie » affirme ainsi le conservateur Petit Caporal. Effectivement, beaucoup de journaux notent que la division entre « jaurésiens » réformistes et « guesdistes » révolutionnaires demeure loin d’être résolue par la formation du nouveau parti.

De cette joute, la plupart s’accordent à dire que les seconds en sont sortis gagnants. « L’unité est faite, mais à quel prix ? Les jaurésistes ont été jugulés par les guesdistes et les parlementaires solidement ligotés » critique le grand journal catholique La Croix. La Libre Parole, journal d’extrême droite fondé par Édouard Drumont, note  également que le règlement du parti a été écrit de façon à ce que « les révolutionnaires [soient] assurés d’avoir une majorité énorme dans le Conseil National ».

Effectivement, comme le souligne le Journal des débats politiques et littéraires, l’unité initiée par le Congrès d’Amsterdam fait suite à une condamnation des pratiques participationnistes soutenues notamment par Jaurès :

« Le Congrès d’Amsterdam condamnait la collaboration de classes, faisait une lois aux socialistes, dans tous les Parlements, de se dresser contre toutes les factions bourgeoises […].

La politique ministérialiste, représentée avec éclat par M. Jaurès, subissait ainsi une condamnation sans appel. »

Il ne fait donc aucun doute que ce sont les partisans de Jules Guesde qui sont en position de force dans cette Section française de l’Internationale socialiste naissante. Néanmoins, l’historiographie contemporaine porte un jugement moins sévère sur le Congrès du Globe.

Les concessions de Jaurès sont certes de taille, mais il a néanmoins réussi tirer son épingle du jeu sur un certain nombre des choses. À l’occasion des 110 ans de la création de la SFIO, l’historien Gilles Candar soulignait par exemple que l’organisation décentralisée adoptée par le parti en 1905 correspond à une vision développée par Jaurès, alors qu’au même moment Guesde favorisait les structures centralisées.

Malgré les divergences doctrinales de taille entre ses membres, le parti a par ailleurs su rester uni pendant quinze années.

Ce n’est qu’au moment du Congrès de Tours de 1920 que les 21 conditions pour intégrer la IIIe Internationale feront éclater le parti. Les révolutionnaires, s’embarquant dans l’aventure bolchévique entamée en 1917 fondront alors la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), futur PCF.

Pour en savoir plus :

Gilles Candar, « L’unité socialiste du 1905 », in: Fondation Jean Jaurès, 2015

Madeleine Ribérioux, La République radicale ? 1898-1914, in: Nouvelle histoire de la France contemporaine, tome 11, Éditions du Seuil, coll. Points, 1975