Écho de presse

1907 : La mutinerie du 17e régiment

le 05/04/2021 par Michèle Pedinielli
le 01/04/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 05/04/2021
Meeting vigneron où prennent la parole Ernest Ferroul, maire de Narbonne et Marcelin Albert, 1907 - source : WikiCommons

Lorsque le 17e régiment d’infanterie est appelé à réprimer les manifestations des vignerons du Languedoc, ils refusent de tirer sur leurs familles et amis – c’est crosse en l’air qu’ils entrent à Béziers.

L’année 1907 est une année de crise pour les vignerons languedociens. Entre la surproduction vinicole (y compris de mauvais vins obtenus par chaptalisation) et l’importation de vins étrangers (Espagne, Italie), les producteurs du Languedoc sont à bout.

La misère touche tous les viticulteurs, les ouvriers ainsi que la population locale, qui dépend de cette production.

En mars 1907, les vignerons marchent sur Narbonne pour discuter de la situation avec une commission parlementaire. C’est le début d’une nouvelle « Révolte des gueux », protestation qui enfle en ce printemps 1907 et que Georges Clemenceau, président du Conseil, méprise dans un premier temps – « Je connais le Midi, tout ça finira par un banquet », avance-t-il, sûr de lui.

Mais en juin, le mouvement ne faiblit pas et le 20, une immense manifestation se déroule dans les rues de Narbonne. Clemenceau fait donner la troupe, qui tire sur la foule, faisant 5 morts et 33 blessés.

Ce massacre crée un choc dans la population mais aussi au sein du 17e régiment d’infanterie, récemment muté de Béziers à Agde. Ce régiment est formé de réservistes et de conscrits de la région ; tous refusent de tirer sur leurs familles, voisins et amis. Le soir même de la tuerie, 600 soldats se mutinent.

« Après l'appel, hier soir, une mutinerie s'est produite parmi les hommes du 17e d'infanterie cantonnés à la vieille caserne. Les deux compagnies logées dans ce bâtiment se sont dirigées sur le couvent de la Nativité avec leurs armes et ont forcé les hommes du bataillon qui étaient couchés à les suivre.

Les six compagnies se sont transportées à la nouvelle caserne. Elles étaient accompagnées par plus de cinq cents manifestants.

La porte du quartier a été forcée. Les hommes se sont répandus dans les chambres et ont forcé ceux qui étaient couchés à les suivre. Tout le régiment était alors sur pied, mais il y avait de nombreux indécis.

Les civils qui avaient suivi ont gagné la poudrière. Ils en ont fait sauter les portes. Des caisses ont été éventées et les hommes du 17e ont empli leurs cartouchières et leurs musettes de cartouches. »

Crosses en l’air, les hommes du 17e entament leur marche sur Béziers. Apprenant la mutinerie, les autorités envoient de nouvelles forces en vue de refouler les soldats dans leurs casernes.

« Cette nuit, on avait envoyé le 81e d’Infanterie avec des gendarmes au-devant des mutins.

Mais ceux-ci ont tiré en l'air, pour arrêter les troupes marchant à leur rencontre. Puis ils ont crié que si on essayait de les cerner ils feraient feu sur quiconque les empêcherait de passer. Alors on les a laissé passer.

Tous les mutins déclarent que s'ils agissent de la sorte, c'est parce qu'ils ne veulent pas être appelés à tirer sur leurs parents.

J'ai sur moi soixante cartouches, déclare l'un d'eux. Voilà mon gouvernement. »

Les mutins continuent leur périple en direction de Béziers. Partout où ils passent, ils sont acclamés par les vignerons. Lorsqu’ils entrent dans la ville le 21 juin à 10 heures du matin, les habitants sont en liesse.

« Entourés par la foule qui leur apporte du pain et du vin, ils mangent et boivent.

Certaines personnes font une quête parmi les Biterrois accourus et remettraient l’argent aux caporaux. D’anciens militaires, qui assistent à cette scène, pleurent comme des enfants.

L'émotion est indescriptible. »

Massée devant le théâtre, la troupe s’organise peu à peu pour se reposer.

« Chaque compagnie s'est rangée à un emplacement indiqué par un écriteau. Ils ont formé les faisceaux et peu de temps après, on leur a apporté de la paille sur laquelle ils se couchent.

Les soldats sont harassés de fatigue ; ils ont tous leurs cartouchières remplies de balles. »

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Pendant ce temps, à Paris, la Chambre des députés s’indigne sous la harangue de Georges Clemenceau.

« – Les mutins se sont installés devant la caserne ; ils ont nommé des délégués et formé des revendications. Le gouvernement n’a pas hésité et il a pensé que le pire malheur, dans ces événements, était que le gouvernement capitulât devant les soldats qui se révoltent.

Une immense acclamation retentît et les applaudissements sont longs à s’éteindre. La figure du président du Conseil est tourmentée, sombre. La barre volontaire de son front s’est accentuée. Derrière ce masque triste, une grande douleur se devine.

– J’ai répondu que je ne capitulerai pas, que les soldats devraient se mettre à la disposition du général et qu’on tiendrait compte de leur soumission. […] Nous continuerons l’œuvre de répression, mais nous avons besoin de la confiance de la Chambre. Si nous ne l'avions pas, nous ne pourrions continuer cette œuvre. Si nous l’avons, c’est en votre nom que nous assurerons le respect des lois de la République. »

Encouragée par le geste des mutins, une délégation de manifestants se rend chez le général du 81e régiment pour demander que le gouvernement retire toutes les troupes qu’il a envoyées dans le Midi.

Les négociations durent toute la journée du 21 juin entre les soldats, le comité viticole, la hiérarchie militaire et le préfet. Finalement, Georges Clemenceau fait parvenir un message : « Que les soldats se mettent à la disposition du général, qu'ils rejoignent Agde en corps, le gouvernement leur tiendra compte de leur soumission ».

« Les soldats se sont transportés à l'hôtel du général pour avoir confirmation du pardon. Le général La Croisade le leur aurait promis en les engageant à rentrer, ce qu'ils ont accepté.

Le général s'est alors placé à leur tête, encadré par les membres du Comité d'Argelliers et les soldats ont suivi, escortés par 10 000 habitants de Béziers et des villages environnants, et se sont dirigés vers la caserne pour rentrer au corps.

Au recensement, on a constaté le manque de nombreux fusils Lebel. Plusieurs de ceux qui restent sont brisés en deux. »

Clemenceau tient parole et aucune sanction collective n’est prononcée (il s’agit de 600 mutins). Mais trois jours plus tard, le régiment est envoyé à Gafsa, en Tunisie.

« Six cents mutins du 17e de ligne, avec leurs cadres et cent cinquante hommes du 96e de ligne, sont partis à midi trente, avec le colonel Toutée, pour Villefranche-sur-Mer, où doivent les attendre deux croiseurs.

De là, ils seront dirigés sur l'Afrique ou répartis dans les forts des environs de Nice. Ils ont l'air très affectés. »

Affectés comme le sont leurs familles à l’annonce de ce qui ressemble, de fait, à une punition collective. Sous le titre « L’émotion chez les gueux », Le Matin note l’angoisse dans la région.

« Le départ du 17e pour la Tunisie cause une vive irritation parmi la population.

Les parents des “exilés” sont particulièrement et douloureusement affectés à la nouvelle de cet éloignement de leurs enfants. »

Suite à cette célèbre mutinerie et pour éviter à l’avenir toute nouvelle tentative de fraternisation entre manifestants et forces de l’ordre, le gouvernement Clemenceau décide que les conscrits effectueront désormais leur service militaire loin de chez eux.

Cet événement, qui reste un épisode marquant dans l’histoire des mouvements sociaux du Midi, a inspiré la chanson « Gloire au 17e », composée quelques semaines après les faits.