Écho de presse

La vraie histoire du premier mai : 1886, le massacre de Haymarket square

le 02/05/2021 par Michèle Pedinielli
le 28/04/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 02/05/2021
Photos des « martyrs anarchistes du Haymarket Square » de Chicago, 1886 - source : WikiCommons

Le 4 mai 1886, une bombe est lancée contre la police en marge d’un meeting ouvrier à Chicago. Huit militants anarchistes sont condamnés à mort. En hommage à cet événement, le 1er mai devient jour de mobilisation internationale des travailleurs.

En 1886, les ouvriers de Chicago réclament la journée de huit heures et organisent une grève générale. Les dépêches qui arrivent en provenance des États-Unis font état d’une forte mobilisation.

« On s’attend à un mouvement ouvrier demain […].

Le mouvement semble se manifester surtout à Chicago, où plusieurs grèves en faveur du système des huit heures ont déjà éclaté. Différentes compagnies de chemins de fer refusent, paraît-il, d'accéder aux réclamations de leurs employés.

La Compagnie du Nord-Ouest est entrée en compromis avec 1800 de ses ouvriers. Elle leur a accordé un maximum de neuf heures de travail avec paye entière en abaissant les tarifs de Chicago aux ateliers.

Cet arrangement servira probablement de base aux accords qui interviendront ailleurs. »

Le mouvement ouvrier a bien lieu le lendemain, 1er mai 1886.

À la fin du rassemblement, la police charge la foule qui se disperse, faisant un mort et une dizaine de blessés. Le militant anarchiste August Spies appelle à un rassemblement contre les violences policières trois jours plus tard, le 4 mai, à Haymarket Square. Le correspondant du journal conservateur La France s’inquiète.

« L’élément socialiste était fortement représenté hier à la manifestation de Chicago.

Quelques orateurs ont conseillé de brûler les chantiers si les patrons repoussent les conditions des ouvriers. De nombreux drapeaux rouges avaient été arborés. On a des craintes sérieuses pour la journée de demain à Chicago.

La police surveille les meneurs afin de pouvoir les arrêter au besoin.

Quelques-uns des ouvriers allemands qui assistaient hier soir à la manifestation de New-York, portaient des drapeaux rouges ; leur orchestre jouait la Marseillaise. »

Le 4 mai, les orateurs (dont August Spies) se succèdent à la tribune.

Le rassemblement est pacifique et se déroule sans problème sous les yeux du maire de Chicago présent sur place. Mais à 22 heures, au moment où il ne reste plus que quelques centaines de manifestants, la police charge à nouveau. Trois bombes sont lancées en direction des forces de l’ordre. Une fusillade nourrie s’ensuit.

« Un combat acharné a eu lieu hier soir à Chicago, entre la police et les socialistes. Ceux-ci, au nombre d'une quinzaine de mille, tenaient une réunion que la police a sommé de se disperser.

Les socialistes ont refusé.

Un des orateurs a à ce moment crié : “Aux armes !”

Trois bombes ont alors été jetées au milieu des agents. 21 ont été blessés. En même temps, plusieurs individus ont tiré avec des revolvers sur la police. Celle-ci a riposté par une fusillade qui a duré quelques minutes.

La foule s'est enfuie dans toutes les directions, laissant les agents de la police maîtres de la place. La police a eu trois agents tués ; il y a trente-neuf blessés dont quatre mortellement.

Un anarchiste a été tué, un autre est moribond. On connaît vingt cinq blessés ; beaucoup d'autres ont été recueillis par des amis. »

En tout, huit policiers sont tués ou décèdent rapidement de leurs blessures, tandis que soixante sont blessés. Quatre morts du côté ouvriers et une estimation d’une cinquantaine de blessés (la plupart d’entre eux ne s’étant pas manifesté pour se faire soigner).

La chasse aux responsables est lancée et sept militants anarchistes sont rapidement arrêtés : August SpiesGeorge EngelAdolph FischerLouis LinggMichael SchwabOscar Neebe et Samuel Fielden. Un huitième anarchiste, Albert Parsons, se livre de lui-même.

« Une dépêche de Chicago annonce que Louis Lingg, un chef socialiste de cette ville, à été arrêté vendredi soir.

On attache une grande importance à cette arrestation. On croit que c’est Lingg qui a jeté la première bombe sur la police, à Haymarket square, car on a trouvé chez lui des engins semblables.

Il a essayé de s'échapper lorsqu'on est venu pour l'arrêter et a tenté de tirer sur les agents. »

Le procès s’ouvre le 21 juin en forme de jugement du mouvement anarchiste dans son ensemble, plus que celui de l’attentat à la bombe.

Au bout de deux mois, les condamnations tombent. Le correspondant du Journal des débats politiques et littéraires, qui assiste à la séance, raconte.

« Sept condamnés à mort, et un condamné à quinze ans de travaux forcés, sur les huit anarchistes mis en jugement à Chicago : tel est le terrible verdict rendu, ce matin, à l'unanimité du jury, comme la loi l'exige !

Que sont vos répressions judiciaires d'Europe en comparaison de celle-ci ? »

Mais le journaliste français s’étonne du déroulement de ce procès prenant place dans l’Illinois, État dont le code pénal lui semble particulièrement draconien.

« Remarquera-t-on, en Europe, que c'est comme complices et non comme acteurs principaux que les accusés ont été condamnés, et que ce n'est pas le juge, mais le jury qui a appliqué la peine de mort à sept des prévenus, et quinze ans de travaux forcés au huitième ? […]

Si donc  “les prévenus ont conspiré pour violer la loi” et si Degan (un policeman) est mort à cause de cela, ces gens sont coupables, et il n'est pas nécessaire qu'aucun des défendeurs ait été présent de sa personne à l'assassinat. Tous ceux qui ont pris part à la conspiration sont également coupables. […]

L'absence du principal auteur de la tuerie de Haymarket, pas plus que sa présence sur le banc des accusés, ne pouvait donc sauver ceux-ci de l'application du Code de l’Illinois, qui ne fait aucune distinction entre l'auteur immédiat d'un crime et ses complices. »

Les peines de Schwab, Neebe et Fielden sont commuées en prison à perpétuité. Louis Lingg se suicide dans sa cellule juste avant d’être exécuté. Spies, Parsons, Fischer et Engel sont pendus le 11 novembre 1887 dans la cour de leur prison.

Mais en 1893, un coup de théâtre secoue le milieu judiciaire de Chicago. Après une enquête minutieuse, John Altgeld, nouveau gouverneur de l’Illinois, libère les forçats Oscar Neebe, Samuel Fielden et Michael Schwab.

« L’enquête à laquelle il s'est livré, dit-il, lui a démontré que le jury avait été illégalement et partialement constitué.

Le chef du jury, entre autres, avait été désigné par l'accusateur public. Les jurés, au lieu d'être désignés par le sort, avaient été nommés par le président du tribunal.

Le gouverneur dit ensuite : “Il résulte du dossier que le juge (Garry) a conduit les débats avec la plus grande cruauté et avec méchanceté et qu'il a été sciemment la cause de la condamnation de huit hommes.”

Toutes ces considérations, énoncées en détail, ont convaincu le gouverneur Altged de l'infâme comédie jouée par le tribunal.

C'est le 26 juin dernier que les trois survivants de ce terrible drame ont été rendus à la liberté. En sortant du bagne, ils ont déclaré avoir toujours les mêmes idées et les mêmes aspirations qu'avant leur condamnation. »

L’identité du lanceur de bombe n’a jamais été découverte, même si de nombreux historiens ont travaillé sur différentes hypothèses – depuis le militant anarchiste Rudolph Schnaubelt (beau-frère de Schwab) et principal suspect à l’époque, jusqu’à un agent provocateur employé par l’agence de détective Pinkerton (voire par la police elle-même).

En 1889, le congrès de la Seconde Internationale socialiste réunie à Paris décide d’un jour international de grève et de manifestation pour exiger la journée de huit heures. En hommage aux militants exécutés et aux ouvriers tombés à Haymarket, la journée est fixée le 1er mai 1890.

Ce sera un succès spectaculaire.