Écho de presse

1913 : « Nous voterons désormais sous enveloppes »

le 08/04/2022 par Marina Bellot
le 06/04/2022 par Marina Bellot - modifié le 08/04/2022

La France n'a instauré l'isoloir qu'en 1913, bien plus tard que ses voisins. Ses détracteurs ont empêché sa mise en place pendant des années, avec des arguments plus ou moins fallacieux...

Garant de la démocratie, l'isoloir derrière lequel l'électeur s'abrite pour voter à l'abri des regards n'a été instauré en France que bien après la plupart des pays occidentaux : en 1913. À l'étranger, il est inauguré dès 1857 en Australie, 1872 au Royaume-Uni, et 1903 en Allemagne. Pourtant, le principe de l'isoloir est alors discuté depuis des années.

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En 1901, une proposition de loi en ce sens est examinée à la Chambre des députés, et les opposants font valoir toutes sortes d'arguments plus ou moins pertinents... La Lanterne rapporte ainsi :

« On a surtout critiqué la cabine d'isolement ; on l'appelle déjà le cabanon électoral, le confessionnal laïque et obligatoire. Plaisanteries plus faciles qu'exactes. On a dit que les opérations électorales seraient interminables et que l'établissement des cabines coûterait cher. Le rapporteur répond sur le premier point par l'exemple de ce qui se passe à l'étranger et sur le second qu'il suffira de quelques planches, d'un paravent, d'un rideau tendu. »

Comme le souligne La Lanterne, certains n'ont « pas le moindre intérêt à empêcher la corruption et la pression électorale »...

C'est finalement en 1913 qu'une loi est votée imposant l'usage de l'urne et de l'isoloir dans tous les bureaux de vote. Elle veille à « assurer le secret et la liberté du vote ainsi que la sincérité des opérations électorales ».

Le Figaro du 22 juillet 1913 détaille la réforme en préparation :

« Nous l'aurons, pour les élections prochaines. C'est une petite « réforme électorale » qui paraît dès maintenant acquise.
[...] Ainsi donc, aux prochaines élections législatives, nous voterons «
 sous enveloppes ». Ces enveloppes seront fournies par l'administration préfectorale. Elles seront opaques, timbrées du cachet préfectoral ou sous-préfectoral, et de type uniforme pour chaque collège. Elles seront tenues, en nombre suffisant, à la disposition de l'électeur.
[...] car, cela va sans dire l'électeur préparera son enveloppe à l'abri des regards indiscrets
 : ainsi sera consacrée, dès les prochaines élections, sa parfaite indépendance.
Et le Parlement nous offre là, somme toute, une modeste, mais excellente petite «
 réforme électorale ». Puisse-t-elle être de bon augure pour la grande !... »

Et le 25 juillet, le même Figaro se félicite (tout en raillant l'indiscipline des députés...) :

« C'est fait, la loi est votée. Le projet, comme nous l'avions annoncé, est revenu hier à la Chambre, amendé par le Sénat ; et la Chambre a adopté, sans discussion, le texte sénatorial.

On ne saurait dire, toutefois qu'à l'exemple de toutes les bonnes besognes, celle-ci se soit accomplie sans bruit... Elle s'est opérée, au contraire, au milieu du bruit infernal des députés entrant en séance. Et bien peu d'entre eux, sans doute, ont prêté l'oreille, à la lecture qu'en faisait M. le président Deschanel.

N'importe : la loi est votée, c'est l'essentiel. Nous irons désormais aux urnes, une enveloppe à la main ; et, dans les villes et les campagnes, l'électeur désignera le candidat de son choix dans la liberté et le secret, de sa conscience.

Puisse-t-elle le conseiller bien ! »

Et le journal de fêter la réforme avec quelques bons mots :

« - Alors, vous serez élu, aux prochaines élections, si on vote sous enveloppe ?
- Ça ne fera pas un pli.
[...]
- Mais comment s'y reconnaîtra-t-on si chaque électeur a des enveloppes opaques, timbrées de la préfecture et uniformes pour chaque candidat
 ?
- On élira celui qui aura le plus de cachet. »