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Scandale de Panama : Jules Delahaye dénonce la corruption des élus

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« Les réactionnaires préparent la campagne électorale », Une du Grelot, 1892 - source : Gallica-BnF

Le 22 novembre 1892, des voix fusent de toute part dans la Chambre des Députés. Elles exigent que M. Delahaye, député de Chinon rallié au général Boulanger, dénonce ceux qu'il sait corrompus dans le scandale politico-financier de Panama.

En 1869, Ferdinand de Lesseps, diplomate et entrepreneur français, connaît une grande réussite depuis sa participation à la construction du Canal de Suez. Dix ans plus tard, la décision est prise de réitérer une telle prouesse d’ingénierie avec le projet d’aménagement du canal de Panama, reliant l’océan Pacifique et Atlantique en traversant l’isthme du même nom. Cette conception est tout à fait audacieuse en ce qu’elle permettrait des gains de temps faramineux dans le cadre du commerce maritime.

Il va sans dire que cette initiative coûte extrêmement cher. Pour trouver les fonds nécessaires à la réalisation de ce gigantesque ouvrage, une souscription publique est lancée. Cette dernière est rendue possible par un vote de la Chambre des Députés au mois de juin 1888. Cependant, une partie des voix parlementaires a été achetée par deux associés de Lesseps, le baron Jacques de Reinach et Cornelius Herz. Malgré ses 85 000 souscripteurs, la compagnie de Panama est placée en liquidation le 4 février 1889 : tous les adhérents à la souscription se retrouvent, de fait, ruinés.

Cependant, ce n’est qu’en septembre 1892 qu’éclate le scandale politique. Alors que le régime républicain est déjà fragilisé, la presse de droite, antirépublicaine et antisémite joue un rôle important dans l’instrumentalisation de l’affaire en dénonçant plusieurs députés républicains « achetés » et ayant profité de leur statut pour extorquer la Compagnie – notamment Georges Clemenceau, qui en perdra son siège de député du Var.

Dans la nuit du 19 au 20 novembre 1892, le baron de Reinach se suicide. Le lendemain, le député boulangiste Jules Delahaye s’exprime devant la Chambre des députés concernant les malversations et la corruption lié au canal de Panama. Le Gaulois, quotidien monarchiste, retranscrit les échanges à la Chambre et notamment la prise de parole de Jules Delahay qui, selon le journal, donne « un exemple réellement mémorable » d’un « courage civil […] rare, excessivement rare ».

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CHAMBRE DES DÉPUTÉS

Pour tous ceux, députés ou journalistes, qui, nouveaux venus dans le monde parlementaire, n'ont pas assisté aux épiques débats de la période boulangiste, la séance d'hier est sans précédent.

A la tribune, discours violents, accusations terribles ; sur les bancs des députés, cris ininterrompus de rage et de fureur, altercations tumultueuses, échange de témoins. Rien n'a manqué à cette journée, une véritable journée à scandale, pas même ce spectacle... humiliant, d'une Chambre française ne permettant pas à un orateur, au passage, de saluer le nom de M. de Lesseps, couvrant ce nom de ses huées, et cela en présence de l'ambassadeur d'Allemagne.

AVANT LA SÉANCE

Animation très relative dans les couloirs, avant la séance.

Il semble qu'en attachant de l'importance à la discussion qui va s'ouvrir, en laissant percer quelque inquiétude de ce qui va se passer, les députés craindraient de se compromettre.

A tout arrivant on pose la même question
– Que va-t-il se passer ?

Et tous répondent de même
– Qui sait ?

Et ils se hâtent de gagner la salle des séances.

La mort de M. de Reinach

Les versions les plus contradictoires circulent au sujet de la mort du baron de Reinach.

On parle de suicide par empoisonnement, de coup de sang, de maladie de cœur ; au fond, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle s'est produite, la fin de M. de Reinach est considérée par tout le monde comme la conséquence des poursuites dirigées contre le Panama.

A ceux qui démentent le suicide en opposant les rapports médicaux et les rapports officiels de la police, on répond que, dimanche matin, lorsqu’on a appris au ministère de l'Intérieur la mort de M. de Rehiach, on s'est immédiatement enquis auprès de toutes les compagnies d'assurance sur la vie, pour savoir s'il était assuré.

La preuve une fois indubitablement acquise qu'il ne l'était pas, ce qui permettait d'éviter l'autopsie, que les compagnies auraient sûrement réclamée, on a répandu le bruit de la mort par congestion.

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Quelqu'un en situation d'être bien renseigné, et qui ne touche ni de près ni de loin a la famille, nous a dit, d'autre part :

« Le baron de Reinach, qui avait une maladie du cÅ...

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