En juillet 1949, dans le contexte de la guerre froide, l’Humanité publie un article en défense de la Sécurité Sociale. Mise en place depuis octobre 1945, la Sécurité Sociale est menacée par une campagne politique visant à diminuer les droits des travailleurs en matière de retraite et de santé. Les responsables politiques cherchent à réorienter les fonds vers les dépenses militaires.
Des propositions de réformes sont envisagées par les communistes afin de décentraliser la gestion et d’amenuir les couts d’administration, fer de lance des critiques du patronat.
L’article rapporte les luttes des travailleurs et de leurs représentants contre le démantèlement de la Sécurité Sociale. Il s’agit de maintenir les conquêtes sociales et d’engager une bataille idéologique.
A L’ASSEMBLEE NATIONALE
Marius PATINAUD se fait le porte-parole des travailleurs unanimement résolus à défendre la Sécurité Sociale menacée
En ses trois séances dominicales, l’Assemblée nationale n’a pas atteint la moitié d’une discussion à laquelle il ne lui faudra pas consacrer moins d’une vingtaine d’heures. Dès le matin, en effet, elle a entendu le premier interpellateur sur la Sécurité sociale. De la part du gouvernement, il s’agit de déférer en fait — tout en se donnant des attitudes de gardien de cette institution et de défenseur de son principe — aux injonctions du grand patronat qui veut reprendre à la classe ouvrière une importante conquête sociale. Le pseudo-litige avec Paul Reynaud n’est que le camouflage de cette réalité. De la part des adversaires de cet aspect d’une politique gouvernementale de pied en cap réactionnaire, il s’agit de faire échec au mauvais coup déjà préparé dans ses moindres détails.
C’est cette dernière tâche qu’ont entreprise les interpellateurs communistes Marius Patinaud, Gérard Duprat, Alfred Costes, réduisant à néant les dénigrements dont est l’objet la Sécurité sociale et montrant comment un gouvernement soucieux du bien des assurés pourrait l’améliorer.
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Écho de presse
Ambroise Croizat, père de la Sécurité sociale

I.— Pourquoi la campagne contre la Sécurité sociale ?
Contre la Sécurité sociale à la réalisation de laquelle est attaché le nom d’Ambroise Croizat, une campagne est ouverte. Elle se situe dans le cadre de la préparation à la guerre. Elle veut détruire une conquête de la Libération et tend à augmenter la misère.
Accessoirement, elle est un dérivatif à la colère des commerçants, des artisans, des paysans à qui l’on répète que la Sécurité sociale est la source de leurs malheurs, ce qui tend à détourner leur attention de l’envahissement de notre marché par des produits américains et allemands, des risques de guerre, du gouffre des dépenses militaires, entraînant superfiscalité, crise économique, chômage. Le pacte de l’Atlantique ne saurait qu'aggraver cette situation.
Défendre la Sécurité sociale est un devoir national pour tous.
II. — Qui s’attaque à Sécurité sociale ?
Cette campagne contre la Sécurité sociale est une opération politique conduite par des hommes foncièrement réactionnaires pour qui comptent seuls les bénéfices. Ils mentent, calomnient, systématisent, discréditent avec une malhonnêteté intellectuelle érigée, elle aussi, en système. Et leurs déclarations solennelles quant au respect des principes ne sont qu’hypocrisie.
A chaque réunion du Conseil National du Patronat Français, on étudie les moyens à mettre en œuvre pour intensifier la lutte contre la sécurité sociale.
Dans un manifeste, l’Association dite « des Jeunes Patrons » déclenche une violente offensive.
Les milliardaires américains ne veulent pas laisser subsister dans notre gays une garantie que les travailleurs des Etats-Unis n’ont pas encore pu obtenir.
Les compagnies privées d’assurances ne se consolent pas d’avoir perdu les profits considérables du risque « accident du travail ».
III. — Quelles critiques contre la Sécurité sociale ?
Tous ces intérêts coalisés s’attaquent aux administrateurs, au personnel, répandant des mensonges quant à l’importance des frais de gestion. De sorte que le personnel doit affirmer sa détermination unanime d’aller jusqu’à la grève pour que le gouvernement accepte de discuter ses revendications. De sorte qu’il lui faut lutter contre la menace injustifiée de suppression d’emplois.
Les frais de gestion
Or, en réalité — quels que soient les chiffres truqués que l’on fait volontairement courir, le coût de la gestion représente 10 % des cotisations affectées aux caisses et 5 % du montant total des cotisations. Ces pourcentages sont les plus bas que puisse avancer aucune gestion publiée ou privée.
Au surplus, le personnel, de la direction centrale au ministère du Travail, qui devrait être payé par l’Etat, est pris en charge par les assurés.
Le contrôle
Les ennemis de la Sécurité sociale affirment qu’il n’y a pas de contrôle et que de nombreux abus sont commis au détriment des assurés. Or il existe un corps de contrôle général composé de trente-deux hauts fonctionnaires. L’administration des Finances exerce un contrôle permanent sur la gestion financière des caisses. Aucun abus n’est donc possible. Et si des fautes peuvent être commises, ce ne peut être que du fait que le gouvernement ne veut pas user des moyens que la loi lui confère.
La « charge » pour l'économie
Les ennemis de la Sécurité sociale prétendent qu’elle représente une charge, qui n’est plus supportable pour l’économie du pays. Des industriels évaluent cette charge à 40 %. En réalité, 25 % de charges relèvent de la Sécurité sociale. Mais il apparaît que le patronat dans l’industrie, le commerce et les transports, n’a versé que 20 % sur la masse des salaires à la Sécurité sociale et qu’il réalise un super-bénéfice en incluant 30 % de charges dans ses prix de revient.
Il est faux que les capitalistes paient les frais de la Sécurité sociale. SEULS LES TRAVAILLEURS EN ASSUMENT TOUTE LA CHARGE. Ce qui n’empêche que la part du revenu national affectée aux salaires — salaires et charges de salaires — est bien inférieure à celle de 1938.
Il y a plus. Le patronat prend prétexte de l’existence des allocations familiales pour payer bien au-dessous de ce qu’il devrait faire la force de travail de tous les ouvriers.
IV. — Le gouvernement mène l'offensive
M. Paul Reynaud et le président du Conseil ont protesté lors d’un récent débat de leur intention de ne pas s’attaquer au principe. Mais les actes ne sont pas conformes aux paroles.
Daniel Mayer supprime les allocations familiales aux familles dont un enfant ne sera pas allé en classe quatre demi-journées dans un mois. Une telle mesure exprime, comme toute la politique du gouvernement, le mépris et la haine de la classe ouvrière. Or, on ne défend pas les conquêtes sociales en agissant contre la classe ouvrière.
Contrairement à la lettre et à l’esprit de la loi, on tend à l’étatisation de la Sécurité sociale comme par la volonté de s’approprier les 100 milliards capitalisés — l’argent des travailleurs — pour les besoins de la politique de guerre.
M. Petsche n’a-t-il pas soumis au Conseil d’Etat un projet ayant pour but :
1° De supprimer le « petit risque » ;
2° De supprimer l’allocation « de salaire unique » aux couples vivant maritalement et aux ménages d’un ou deux enfants ;
3° De supprimer le cumul de l’allocation prénatale et de l’allocation de maternité ;
4° De modifier les conditions d’attribution de la retraite des vieux et de la réduire !
Ce texte portant atteinte au principe même de la Sécurité sociale aurait été déposé à l’insu du ministre du Travail. Il aurait été retiré à sa demande.
V. — Pour améliorer la Sécurité sociale
En exposant les thèses dont nous venons de donner l’analyse, Marius Patinaud avait montré combien la Sécurité sociale, dont les recettes varient en même temps que les salaires et les dépenses en même temps que les prix, a à souffrir de la politique gouvernementale. Néanmoins elle a permis de réaliser des progrès considérables dans le domaine de la Santé publique, dans le développement de la natalité et la lutte contre la mortalité.
Plutôt que restreindre les prestations. il faudrait donc améliorer le régime de la Sécurité sociale, notamment par la simplification des formalités. Il appartenait à Gérard Duprat de dire à la tribune les propositions communistes dans ce sens :
Démocratiser la gestion
Il faut confier la gestion aux assurés eux-mêmes ; cette réforme permettrait de combattre les fraudes sur les cotisations. Particulièrement dans les grosses entreprises des patrons doivent des sommes considérables à la Sécurité sociale. Et l'Etat lui-même, qui devrait donner l’exemple, ne paie-t-il pas irrégulièrement son dû ?
Décentraliser
Il faut généraliser l’institution des « correspondants » de la Sécurité sociale dans chaque entreprise. Ainsi pourrait être réalisée une meilleure répartition du travail, facilitant le paiement des prestations et évitant l’emprise bureaucratique de l’Administration centrale sur les caisses.
Instituer le tiers-payant
Il faut instituer le tiers-payant (versement par l’assuré au médecin, pharmacien, dentiste, etc… du tiers seulement des sommes couvertes par les Caisses), ce oui dispenserait l’assuré de faire l’avance de sommes importantes et donnerait un nouvel essor à la Sécurité sociale en la rendant plus humaine et plus efficace.
M. Viatte : c'est le principe qu'on veut remettre en cause !
M .Viatte (M.R.P.) a convenu que « le seul problème qui se pose c’est de savoir si la nation paye trop pour ses vieillards, ses malades, ses enfants ». Or nul n’ose dire que les vieillards, les malades, les enfants ne reçoivent trop ni même suffisamment. M. Viatte préconise la décentralisation et ne nie pas les responsabilités du gouvernement dans les difficultés de gestion. Par relations directes entre assurés et administrateurs élus des caisses, beaucoup d’améliorations peuvent- dit-il, être apportées.
L’orateur dénonce, aux applaudissements des communistes, l’injustice dont sont victimes les travailleurs indépendants. Le gouvernement a demandé qu’on lui laisse le soin de résoudre ce problème mais n’y a apporté aucune solution !
Les dénigreur à la tribune
Ceux qui veulent porter un coup à la Sécurité Sociale se sont exprimés hier par la voix de MM. Paul Reynaud, Delachenal, Frédet. Daniel Mayer ne prononcera qu’aujourd’hui un discours qu’on dit devoir durer trois heures.
Pour Paul Reynaud, il convient de diminuer les prix français à l’exportation. Mais sans réduire d’un sou les superprofits capitalistes dont l’orateur se refuse à faire mention. Le seuil moyen reste d’abaisser la part des salariés ! Et c’est dans ce cadre que se situe l’attaque contre la Sécurité sociale.
Paul Reynaud est un chaud partisan de l’organisation de « l’Europe occidentale » sous la houlette américaine. Aussi ne veut-il pas oublier que la France y est incluse.
Tirant les conséquences de cette subordination, il ne veut pas que l’on s’obstine à avoir chez nous un système de sécurité que n’ont pas les « partenaires ».
Ainsi est-ce la vassalisation de la France qui commande cette offensive contre une conquête ouvrière. Acceptant la cause, la majorité gouvernementale — fort tiraillée, certes— ne saurait donc que se plier devant l’effet !
Paul Reynaud : les travailleurs sont alcooliques et paresseux (!)
Paul Reynaud essaie une grossière diversion anti ouvrière en accusant les travailleurs français d’être des alcooliques et des paresseux ! Ces calomnies odieuses soulèvent quelques rumeurs sur les bancs du M.R.P. et le groupe communiste — notamment Arthur Ramette — proteste vivement.
En ce qui concerne spécialement la Sécurité sociale, Paul Reynaud ne parle qu’avec prudence. Il s’attaque au petit risque, aux retraites ouvrières, en prétendant vouloir seulement « réprimer des abus nuisibles à la production ».
Bien piètre paravent ! MM. Delachenal (ind.) et Fredet (R.P.F.) en usèrent à leur tour, affirmant, la main sur le cœur, ne pas vouloir atteindre « le principe », ne pas vouloir réduire les prestations, pour mieux reprendre tous les ineptes dénigrements.
Isabelle CLAEYS
En séance de nuit, Isabelle Claeys condamne toute suppression ou réduction du « petit risque» qui toucherait durement les familles laborieuses et menacerait la santé de leurs enfants.
« On ne craint pas, dit-elle, de dénigrer la classe ouvrière et de l’accuser de malhonnêteté, mais ceux qui disent cela ne connaissent pas ses conditions de vie et veulent accroître ses difficultés. »
« Ce n’est pas, dit-elle, par des mesures coercitives qu’on assurera la fréquentation scolaire. La grande masse des instituteurs et institutrices ne se prêteront pas à une mesure dirigée contre les travailleurs et contre la sécurité sociale. Comment d’ailleurs assurer la fréquentation scolaire quand les travailleurs sont au chômage, quand les enfants n’ont ni vêtements, ni chaussures ? Et comment ce souci s’accommode-t il avec la carence gouvernementale en matière de constructions scolaires ! »
Alfred Costes
Dernier interpellateur, Alfred Castes rend hommage au personnel qui a su faire vivre la Sécurité sociale.
Il dit dans quelles difficultés s’est effectuée sa mise en place,
Daniel Mayer s’associe à l’hommage rendu au personnel et félicite Alfred Costes du rôle qu’il a joué dans cet effort.
Alfred Costes montre que la multiplicité et la complexité des textes ont alourdi la tâche du personnel, comme si on avait voulu étouffer la Sécurité sociale sous la paperasserie.
Enfin il indique combien modiques sont les salaires du personnel beaucoup plus mal payé d’ailleurs que celui des Compagnies d’assurances.
Le ministre a opposé son veto à toute revalorisations.
Etonnons - nous après cela, s’écrie Alfred Costes, que la grève ait été décidée. »
Dans la discussion se sont fait entendre MM. Burlat (M.R.P.), Chassaing (radical) et Segells (socialiste).
Ce dernier a saisi l’occasion d’une étude comparative des différents systèmes de Sécurité sociale dans le monde, pour présenter avec quelques modifications le système de sécurité sociale en Union Soviétique.
Fernand Grenier a fait une mise au point précisant qu’en Union Soviétique les travailleurs n’ont à leur charge miles les risques de -maladie, ni les soins, ni la prévention et qu’un système de sécurité sociale géré par les syndicats les assure contre les risques d’accident du travail et autres.