Interview

Déportation, une cartographie de la terreur

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Photo d’une rafle antijuive au mois d’août 1941, Paris - source : Bundesarchiv-WikiCommons

L’historien Jean-Luc Pinol a mené une analyse cartographique saisissante des persécutions antijuives durant l’occupation nazie en France.

Où étaient nés les 78 000 Juifs déportés depuis la France ou morts assassinés entre 1942 et 1944 ? Où vivaient-ils au moment de leur arrestation ou de leur départ pour les camps ? Professeur émérite de l’École normale supérieure de Lyon, l’historien Jean-Luc Pinol a analysé les 75 convois de déportés pour en tirer de nombreuses cartes rassemblées dans un livre, Convois. La déportation des juifs de France (Éditions du Détour).

Propos recueillis par Jean-Marie Pottier

RetroNews : Comment avez-vous eu l’idée de mener cette analyse spatiale de la déportation des Juifs de France ?

Jean-Luc Pinol : Mon domaine de travail, c'est l'histoire urbaine : en 2009, j’ai publié avec Maurice Garden un Atlas des Parisiens de la Révolution à nos jours dont un chapitre cartographiait notamment les chefs de ménage juifs en 1872, année du dernier recensement mentionnant la religion.

Serge Klarsfeld m’a ensuite proposé de concevoir une carte de l’arrestation des enfants juifs de Paris à l’occasion de l'inauguration du mémorial du camp des Milles, en septembre 2012. J’ai aussi travaillé sur les arrestations d’enfants juifs en banlieue puis dans l’ensemble de la France et nous avons construit avec le CNRS une carte interactive dont les échelles varient, pour Paris, du 1/3000e au 1/70000e. En zoomant au maximum, on affiche sur la carte les noms des 6 200 enfants déportés ; en reculant, on peut analyser la distribution spatiale des arrestations.

Avec les mêmes données, on peut donc se situer dans le registre mémoriel (beaucoup de collègues m'ont dit que ce site avait facilité la sensibilisation de leurs élèves en leur permettant de voir que des déportés habitaient le même immeuble ou l'immeuble à côté de chez eux) ou comprendre l’espace urbain.

Serge Klarsfeld a trouvé que cette initiative avait un impact important et m’a proposé de travailler sur le fichier de 78 000 noms de son Mémorial de la déportation des Juifs de France. J'ai commencé par cartographier et commenter, un par un, les 75 convois de déportés en fonction des lieux d’arrestation et cela m'a donné la base d'un récit.

La persécution des Juifs de France est souvent symbolisée par de grandes rafles urbaines comme celle du Vél d’Hiv’, mais on se rend compte en lisant votre livre que près d’une commune sur dix a connu au moins une arrestation. Le 6 mars 1943, par exemple, un convoi part de Drancy vers Majdanek et Sobibor avec à son bord un millier de Juifs arrêtés dans 450 communes du centre et du sud-ouest du pays…

Dans plus de 3 000 communes de France, des Juifs ont été arrêtés et déportés. Tous les départements ont été concernés, y compris la Corse, et il n'y a pas eu que des grosses rafles mais aussi beaucoup d'arrestations de deux, trois, quatre personnes. C’est dire l’ampleur de la persécution. Et, contrairement à ce que l’on pense souvent, les communes touchées dans la zone non-occupée sont plus nombreuses que dans la zone occupée, ce qui surprend même des collègues historiens. Là est la force de l’approche spatiale…

Carte des communes de résidence des déportés au moment de leur arrestation, Jean-Luc Pinol

Paradoxalement, cette dispersion des persécutions reflète aussi la dispersion de la p...

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