Interview

Dans les archives inédites du ministère de l'Intérieur

le par

Le ministre de l'Intérieur M. Steeg devant son bureau place Beauvau, Agence Rol, 1912 - source : Gallica-BnF

Assassinats, complots, scandales financiers... Le fonds Panthéon rassemble les archives les plus sensibles du ministère de l'Intérieur. L'historien Bruno Fuligni s'est plongé dans ces documents confidentiels et nous conduit au cœur du secret d'État, de la Commune à la Libération. 

Cinq cents dossiers, rangés dans deux cent vingt-huit boîtes noires représentant trente-quatre mètres linéaires. Tel est le contenu de l'énorme coffre-fort que les policiers surnommaient « le Panthéon » et qui se trouve aujourd'hui aux Archives nationales.

L'historien et maître de conférence Bruno Fuligni l'a intégralement exploré, exhumant les pièces les plus révélatrices de ce fonds longtemps tenu secret. Le résultat est un ouvrage qui, au fil d'affaires aussi variées que des assassinats, des complots ou encore des scandales financiers, éclaire de nombreuses pages de notre histoire. Retour sur sept de ces affaires, de la Commune à la Libération, qui révèlent la permanence d’une « police politique, vigilante et active » 

Propos recueillis par Marina Bellot

RetroNews : Votre ouvrage s'ouvre sur une figure exceptionnelle, Jean Allemane, un communard de premier plan qui a tout pour déplaire à la police… Qui est ce personnage, qui a vécu près d'un siècle ? 

Bruno Fuligni : Jean Allemane fait partie d’une aristocratie ouvrière que sont les typographes, qui ont joué un rôle très important dans la naissance du mouvement ouvrier français. Il est emblématique de ces ouvriers parisiens qui sont le fruit de l’exode rural – lui-même est né en Haute-Garonne. Sous le Second Empire, il vit de son travail mais c’est déjà un militant syndical et républicain, un adepte des doctrines collectivistes. Avec la chute du Second Empire, l’Année terrible, arrive la Commune. Il a alors 27 ans, c’est un jeune combattant mais un combattant déterminé.

Quand il est arrêté, il échappe à l’exécution sommaire mais il est condamné aux travaux forcés en Nouvelle-Calédonie. Il appartient à la petite minorité de ceux qui sont envoyés non pas pour vivre dans la nature, mais pour subir une peine de travaux forcés dans un bagne, sur l'île de Nou. Il va réussir à survivre et même tenter une évasion avec d’autres communards qui va être très près de réussir. 

En 1880 la loi d'amnistie des Communards est votée. Jean Allemane rentre alors en France et commence une nouvelle vie : élu conseiller de Paris puis député, il va devenir le chef de file d’une tendance du socialisme français, qu’on va appeler l’allemanisme. Les allemanistes sont des socialistes révolutionnaires, proches des anarchistes, mais qui admettent l’élection et la représentation. 

Allemane est également un orateur, quelqu'un qui sait parler et se faire entendre. Il fait partie des personnages jugés très subversifs et la police va donc le suivre à la trace dans ses réunions électorales et politiques. Un policier dans l'assistance transcrit les moments forts du discours - nous avons des notes de police précises sur l'organisation de ces meetings, les personnes présentes et les propos tenus par l'orateur. Par ailleurs, la Sûreté glane toutes les informations possibles sur sa vie privée. En particulier, certains rapports font état de relations homosexuelles qu’il a eues au bagne et qui nous seraien...

Cet article est réservé aux abonnés.
Accédez à l'intégralité de l'offre éditoriale et aux outils de recherche avancée.