Interview

Les statues prises pour cible : histoire d’un iconoclasme particulier

Place Vendôme : « le plus grand des despotes, renversé par la liberté », estampe, auteur inconnu, 1792 - source : Gallica-BnF

Les déboulonnages et autres « vandalismes » de statues récents ont surpris les observateurs, alors même que cette pratique politique est un fait récurrent dans l’histoire depuis la Révolution française. Conversation au sujet de la « statuoclastie » avec l’historien Bertrand Tillier.

Du mouvement Rhodes Must Fall en Afrique du Sud en 2015 à celui de Black Lives Matter aux Etats-Unis en 2017, réactivé et mondialisé en 2020 à la suite de la mort de George Floyd, les statues ont été prises pour cibles, peintes, détournées ; leur déboulonnage a parfois été réclamé.

Phénomène nouveau ou résurgence de pratiques anciennes ? Décryptage avec l’historien Bertrand Tillier, auteur de La Disgrâce des statues aux éditions Payot & Rivages.

Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier

RetroNews : Le recours à l’histoire est-il indispensable pour comprendre le phénomène mondialisé d’atteinte aux statues des années 2015-2020 ?

Bertrand Tillier : Il me paraît essentiel de sortir d’une forme de présentisme de l’événement. J’avais été frappé dans ces années-là, en lisant les journaux et en entendant un certain nombre de commentateurs et d’analystes ou encore mon entourage, de voir à quel point le phénomène était perçu comme inédit. Les acteurs eux-mêmes avaient tendance à se présenter comme les inventeurs de pratiques de destitution ou d’altération qui n’auraient pas eu d’histoire.

Il y avait là un enjeu pour l’historien de revenir sur le phénomène, d’en suivre tous les linéaments et de le remettre en contexte : les atteintes aux statues ont historiquement été liées à des contestations religieuses, des changements de régimes ou des épisodes de contestation citoyenne au sein d’Etats stables, où elles sont devenues un mode d’expression d’une opinion publique.

Ce dernier cas d’atteintes en contexte démocratique n’est-il pas justement la nouveauté de ces dernières années ?

C’est vrai que l’on associe souvent les atteintes aux statues aux révolutions et à leur transfert de souveraineté – Révolution française et révolutions du XIXe siècle, chute de l’URSS et des régimes communistes d’Europe de l’Est, Printemps arabes…

Mais le mouvement récent, au sein des démocraties, a eu des précédents, notamment en France au moment de l’Affaire Dreyfus, alors que la IIIe République est certes encore jeune, mais néanmoins stabilisée. Une véritable « guerre des statues » fut menée par les antidreyfusards : à Paris contre la statue de Ludovic Trarieux, à Suresnes contre le buste d’Emile Zola, à Nîmes où se trouve le monument d’un autre dreyfusard, Bernard Lazare. Des militants de l’Action française – les rapports de police en attestent – ont préparé diverses opérations destinées à endommager ou à faire tomber des statues par l’usage d’explosifs.

Ces actions visaient-elles la chute du régime ?

Si le but ultime de l’Action française était en effet la déchéance de la République, ses militants savaient bien qu’on ne fait...

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