Interview

Délit d’homosexualité : « Il existe une continuité entre Vichy et les IIIe et IVe Républiques »

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Chantiers de Jeunesse, affiche du Secrétariat général de l'information, Vichy, 1941 - source : Gallica-BnF

L’historien du droit Marc Boninchi revient sur la genèse de cette incrimination, créée par une loi du 6 août 1942 signée du maréchal Pétain mais qui n’a été abrogée qu’il y a quarante ans avec l’arrivée de la gauche au pouvoir.

Le 6 août 1942, le maréchal Pétain signait une loi réprimant l’entretien de relations sexuelles avec un mineur du même sexe de moins de 21 ans, introduisant dans le droit français un « délit d’homosexualité » qui allait perdurer jusqu’à son abrogation le 4 août 1982. Auteur en 2005 d’une thèse d’histoire du droit sur la répression des infractions à l'ordre moral sous le régime de Vichy, Marc Boninchi revient sur la genèse et la logique d’un texte qui traduit moins une rupture dans notre histoire qu’une certaine continuité idéologique et administrative.

Propos recueillis par Jean-Marie Pottier

RetroNews : Que change la loi du 6 août 1942 à la législation française ?                                                            

Marc Boninchi : Elle modifie l’article 334 du code pénal sur l’« excitation habituelle de mineurs à la débauche » en créant une nouvelle infraction, punie de six mois à trois ans d’emprisonnement et de 200 à 60 000 francs d’amende, à l’encontre de celui qui, « pour satisfaire ses propres passions », aurait commis « un ou plusieurs actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans ». Au lendemain de l’adoption de cette loi, il demeure possible d’avoir des relations avec un mineur du sexe opposé âgé de treize ans – l’âge, alors très bas, de la majorité sexuelle –, mais plus avec un mineur de son sexe de moins de 21 ans. Naît ainsi le premier texte du droit français contenant une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

Certains acteurs, comme le ministère de la Marine, réclamaient un texte plus répressif permettant de punir l’homosexualité entre adultes mais la Chancellerie s’y est toujours opposée. Le terrain d’application de la loi a aussi donné lieu à un débat entre le ministère de la Justice, qui ne voulait pas appliquer le texte en Algérie au motif que « les mœurs étaient toutes autres » dans ce territoire, et le ministère de l’Intérieur, qui y était favorable et finira par convaincre la Chancellerie.

Pour le reste, le champ d’application de ce nouveau « délit d’homosexualité » est très large : il inclut tous les types d’actes homosexuels et ne se limite donc pas à la seule sodomie ; il est constitué dès le premier acte ; il ne distingue pas entre homosexualité masculine et féminine, ce qui permet la répression du lesbianisme, contrairement aux législations anglaise et allemande, moins sévères sur ce point. Enfin, le délit est constitué même si les protagonistes sont tous deux mineurs : un choix délibéré des rédacteurs qui voulaient punir les actes d’« initiation mutuelle », le but avoué étant de lutter contre le développement de l’homosexualité dans les camps de jeunesse.

Quel projet idéologique nourrit ce texte ?

Les lois de Vichy sur l’ordre moral, sur l’alcoolisme, l’avortement, la prostitution, l’adultère, la répression de l’homosexualité... ont souvent résulté d’initiatives d’interlocuteurs extérieurs au gouvernement et ont pour l’essentiel été conçues et préparées par l’administration sans intervention significative des ministres ou de leur cabinet. Mais on ne peut pas nier pour autant la dimension idéologique du sujet. Lorsque le nouveau régime s’installe, il se place immédiatement sous le triptyque « Travail, Famille, Patrie », présent dans ses discours pendant de nombreux mois et dessinant une « Révolut...

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