Interview

Des gardes nationaux aux voisins vigilants : une histoire des « citoyens policiers »

Membres de la garde nationale pendant les "Journées de juin", estampe, 1848 - source : Gallica-BnF

Le « monopole de la violence physique légitime » n’a pas toujours appartenu aux seuls agents de l’État. L'historien Arnaud-Dominique Houte a exhumé les citoyens policiers de ces deux derniers siècles, des gardes nationaux aux « amis de l'ordre » en passant par les détectives amateurs et les milices d'extrême droite. Revue des troupes.

RetroNews : Sous la Révolution, les habitants, passés de sujets à citoyens, revendiquent le droit de garantir leur propre sécurité et cherchent à se réapproprier le maintien de l’ordre. Obtiennent-ils gain de cause ?

Arnaud-Dominique Houte : Cette nouvelle revendication se heurte à de sérieuses résistances, dont témoigne le statut hésitant de la toute nouvelle garde nationale. Au lendemain de la prise de la Bastille, c’est le marquis de La Fayette, figure de la noblesse libérale, qui en reçoit le commandement. À ce moment-là, on privilégie le modèle d’une garde nationale bourgeoise, conforme au discours conservateur, prudent, selon lequel une bonne milice est une milice de propriétaires. Dans ce cadre, la garde nationale doit devenir un pilier du maintien de l’ordre, mais elle en partage la responsabilité avec des forces professionnelles (à l’image de la gendarmerie, créée en 1791). Cette conception persiste tout au long du XIXe siècle : elle est réactivée plusieurs fois, notamment sous Louis-Philippe et la Monarchie de Juillet, qui espère fonder la légitimité du régime sur cette garde nationale, considérée comme un modèle d'organisation socio-politique qui permet de ménager une part de débat (les officiers sont élus) dans un cadre fondamentalement censitaire (les gardes nationaux se recrutent dans la société des propriétaires). 

Durant tout le XIXe siècle, il existe cependant un autre projet, radicalement démocratique celui-là, qui envisage la garde nationale comme police du peuple. C’est cette vision qui triomphe en 1792, mais aussi durant le « printemps des peuples » de 1848 puis pendant la Commune de Paris de 1871. Dans ces contextes révolutionnaires, la garde nationale est transformée, ouverte à toute la population masculine (les femmes ne sont que très exceptionnellement associées au maintien de l’ordre). Populaire, elle prend l’ascendant sur les polices professionnelles.

Cette contradiction entre expression armée du peuple souverain et milice bourgeoise garante de la tranquillité publique – les deux faces indissociables de la garde nationale – traverse le XIXe siècle jusquâ€...

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