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Interview

Dreyfus par lui-même

Jusqu’à sa mort, en 1936, Alfred Dreyfus n’a eu de cesse d’écrire, de réécrire, d’éditer ses carnets, ses notes, ses pensées ou encore ses lettres consacrées à l’affaire d’espionnage dont il a été accusé à tort. Ses écrits paraissent aujourd’hui en Œuvres complètes aux éditions des Belles Lettres, en parallèle de l’exposition « Alfred Dreyfus, Vérité et justice » présentée au Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Rencontre avec l’historien Philippe Oriol, co-éditeur de l’ouvrage avec Vincent Duclert et également commissaire de l’exposition et directeur de la Maison Zola – Musée Dreyfus de Médan.

Affaire DreyfusAlfred Dreyfus
Philippe Oriol

Avec

Philippe Oriol

Philippe Oriol est historien, professeur à l’Université Paris III-Sorbonne. Il est l'un des spécialistes les plus réputés de l’Affaire Dreyfus, et l’auteur de l’ouvrage de référence sur le sujet, L’histoire de l’Affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, paru en 2014. 

Alice Tillier-Chevallier

Propos recueillis par

Alice Tillier-Chevallier

Alice Tillier-Chevallier est journaliste indépendante. Spécialisée en histoire, patrimoine et éducation, elle collabore notamment à Archéologia et à la revue Le Français dans le monde.

Publié le

8 juillet 2025

et modifié le 8 juillet 2025

Image de couverture

F. Hamel Stereoskopie Altona-Hamburg 1898 Dreyfuss auf der Teufelsinsel, Bildseite.tif

Jusqu’à sa mort, en 1936, Alfred Dreyfus n’a eu de cesse d’écrire, de réécrire, d’éditer ses carnets, ses notes, ses pensées ou encore ses lettres consacrées à l’affaire d’espionnage dont il a été accusé à tort. Ses écrits paraissent aujourd’hui en Œuvres complètes aux éditions des Belles Lettres, en parallèle de l’exposition « Alfred Dreyfus, Vérité et justice » présentée au Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Rencontre avec l’historien Philippe Oriol, co-éditeur de l’ouvrage avec Vincent Duclert et également commissaire de l’exposition et directeur de la Maison Zola – Musée Dreyfus de Médan.

RetroNews

Cette édition comprend à la fois des textes qui avaient déjà été publiés – certains dès l’époque de « l’Affaire » comme Lettres d’un innocent, paru en 1898, d’autres par vos soins bien plus récemment, – et un certain nombre d’inédits. Pourquoi avoir tenu à les rassembler dans un seul et même ouvrage ?

Philippe Oriol

Ce projet est une volonté de remettre Dreyfus à sa place, de le réintégrer dans une histoire dont il a été le plus souvent exclu. Le titre de l’ouvrage de Marcel Thomas, paru en 1962, L’Affaire sans Dreyfus, est symptomatique d’une tendance plus générale : quand on évoque l’affaire Dreyfus, le principal protagoniste est relégué à l’arrière-plan, il fait en quelque sorte partie du décor. Dans les portraits qui sont dressés de lui, y compris au cinéma, il apparaît comme un pauvre homme, insignifiant, à la limité de l’idiotie, d’une indécision maladive, antipathique… Cette image correspond à celle que Léon Blum a voulu donner de lui dans les années 1930, écrivant qu’il aurait sans doute été antidreyfusard s’il n’avait été Dreyfus, mais aussi à celle qui se dégage des écrits d’Hannah Arendt ou de Charles Péguy. 

Qu’est-ce qui a motivé le titre d’« Œuvres complètes », généralement utilisé pour de grands écrivains passé à la postérité ?

Il y a là bien sûr de notre part, en intitulant les écrits d’un lieutenant-colonel « Œuvres complètes » l’idée de faire un pied-de-nez à tous ceux qui n’ont eu de cesse de mépriser « le juif Dreyfus »… Mais au-delà de son caractère un peu provoquant, ce titre exprime aussi la volonté de réhabilitation qui sous-tend l’ouvrage. Nous avons voulu faire de ce livre un « monument » – ce dont témoigne d’ailleurs sa matérialité même, ce grand format relié en papier bible qui pèse un certain poids. 

C’est là en quelque sorte le substitut de la panthéonisation qui n’a pas eu lieu : celle-ci avait été proposée en 2006 par Vincent Duclert qui venait de publier sa biographie ; mais elle avait été refusée au motif que Dreyfus était non pas un héros, mais une victime. 

La publication des Carnets de Dreyfus en 1998, puis celle de la grande biographie de Vincent Duclert en 2006, avaient constitué une première étape. Il y a eu ensuite l’ouverture du musée Dreyfus au sein de la maison de Zola à Médan en 2021. Il y a aujourd’hui à la fois cet ouvrage et l’exposition au Musée d’art et d’histoire du judaïsme qui est consacrée à l’Affaire à travers l’homme, et où Alfred Dreyfus prend le visiteur par la main pour lui raconter son histoire. 

Surtout, ce livre matérialise un Dreyfus la plume à la main ; un Dreyfus dont l’écriture fut la sauvegarde et la résistance.

Ces Œuvres complètes comptent plus de 1 000 pages… On peut dire qu’il a été un « écrivain » prolifique !

S’il n’était pas écrivain au sens propre du terme, Dreyfus savait en effet manier les mots. Il écrit partout, il écrit tout le temps, il reprend ses textes – il a pu produire 30 ou 40 versions d’un même écrit – ce qui le rapproche malgré tout de la figure de l’écrivain retravaillant ses manuscrits… Sur l’Île du Diable, il noircit des milliers de feuillets, disserte sur l’œuvre d’Émile Zola – sans savoir qu’il jouera un rôle crucial quatre ans après avec son « J’accuse ! » –, ou encore sur la pensée de Montesquieu ; il dessine aussi beaucoup, de manière presque obsessionnelle. La première chose qu’il fait en arrivant, c’est de coucher par écrit son emploi du temps – cette volonté d’instaurer une routine est très XIXe siècle, mais elle relève aussi d’une mécanique de la résistance. 

Les lettres qu’il envoie à son épouse pendant toute son incarcération sont une forme de journal intime, relativement répétitif du fait de la monotonie évidente de son quotidien et de la censure qui l’empêche de faire la moindre allusion à l’Affaire. Les antidreyfusards verront, à tort, dans ces répétitions le signe de messages codés ! En réalité, Dreyfus écrit pour se concentrer et pour témoigner.

Et il continuera bien au-delà de son incarcération. Il produit notamment des notes sur l’actualité, annote aussi des coupures de presse, qu’il conserve. Il est probable que Dreyfus a écrit jusqu’à sa mort en 1935, mais les derniers documents de sa main que nous ayons remontent à 1931. 

Quelle personnalité se dessine à travers l’ensemble de ces écrits ?

On perçoit à quel point Alfred Dreyfus reste toujours est en-deçà de ses émotions, très pudique, tout en retenue. On le sent contraindre sa plume, chercher le mot juste. Il emploie peu d’adjectifs, évoque peu ses sentiments – si ce n’est pour dire, dans ses lettres, qu’il souffre. En bon polytechnicien et scientifique qu’il était, il n’a qu’un seul credo : la raison. 

Ses textes montrent par ailleurs toute sa persévérance dans son combat, alors même qu’on a souvent dit qu’il s’était mal défendu, voire pas défendu. Certes, il n’a jamais cherché les effets de manches… Mais il n’a cessé de chercher à se défendre et au-delà de son cas personnel, a voulu faire de cette affaire une leçon pour l’Histoire : il s’est battu pour les droits de l’homme et la justice, ne cessant de se mobiliser contre les dangers qui menaçaient la jeune démocratie française. 

En témoignent notamment les 60 pages de notes qu’il avait prises au jour le jour avant le procès de 1894, mais aussi pendant et juste après, et que j’ai découvertes par hasard aux Archives nationales. Ces notes visent ni plus ni moins à fournir la matière à son avocat.  Sa défense, c’est bien lui qui la mène, dès le départ. Cette détermination est annoncée dès décembre 1894. Il a alors renoncé à mettre fin à ses jours, comme il l’écrit à son frère Mathieu :

« Mon nom était sali et avili à tout jamais, on aurait fait le silence autour de ma tombe. C’est ce que je ne veux pas. Je veux lutter pour mon honneur, pour l’honneur de notre famille jusqu’à la dernière goutte de sang. 

Il faut donc que je vive, quitte à endurer tous les supplices. […]

La volonté fait tout ; j’espère aussi grâce à elle pouvoir affronter toutes les tortures qui m’attendent encore. »

Et il va vouer sa vie entière à ce combat…

Dreyfus ne lâche jamais ! Sa persévérance est notamment visible dans ses efforts pour faire réviser le procès. En 1899, il a été grâcié, mais non innocenté, et il ne peut en rester là. Or depuis la loi de 1895, seule la découverte d’un fait nouveau permet la réouverture du dossier. Dreyfus va mener l’enquête, ce qui conduira in fine à l’annulation du jugement du Conseil de guerre de Rennes de 1899 par la Cour de cassation et sa réhabilitation. 

Une fois réhabilité, il lutte encore pour récupérer cinq années d’ancienneté qui ne lui ont pas été comptées – sa réintégration prenant effet au jour de la réhabilitation et non en 1894. Ce n’est qu’une erreur de calcul mais qui ne sera pas corrigée, malgré les efforts déployés par Dreyfus lui-même, mais aussi par Alexandrine Zola – l’épouse de l’écrivain – qui remue ciel et terre. Voyant ses espoirs de brillante carrière militaire anéantis, Dreyfus préfère demander sa retraite anticipée.

Si le combat juridique de Dreyfus est terminé en 1906, il se poursuit par un autre combat : celui contre la presse nationaliste…

Alors même que l’innocence de Dreyfus a été établie par la justice, la presse nationaliste, L’Action française en tête – mais pas uniquement, j’ai dénombré une quarantaine de journaux –, continuent à l’appeler « le traître ». C’est toute une campagne contre le dreyfusisme qui commence dès le lendemain de la réhabilitation, qui s’enflamme quand le colonel Picquart, qui avait pris la défense de Dreyfus et avait pour cela été emprisonné et chassé de l’armée, devient ministre de la guerre dans le gouvernement Clemenceau ; elle est particulièrement forte au moment du transfert des cendres d’Émile Zola au Panthéon en juin 1908 – au cours duquel Dreyfus est visé par un attentat. 

À partir de 1908, L’Action française publie chaque jour en Une un « calendrier de l’affaire Dreyfus » et des « Échos » qui étrillent et Dreyfus, et les juges de la cour de Cassation. 

Des affiches, des brochures sont diffusées à des centaines de milliers d’exemplaires, la France en est littéralement inondée. Face aux attaques, Alfred Dreyfus répond par de longues lettres – de parfois 15 pages – que L’Action française refuse de publier, avant d’y être contrainte par la justice à l’issue du procès de 1912 : Dreyfus a fini par attaquer le quotidien pour refus d’insertion. Du 27 janvier au 11 février 1912, le journal publie alors quotidiennement des lettres de rectification de Dreyfus – non sans les assortir de commentaires qui aggravent les injures…

Dreyfus gardera-t-il une rancœur vis-à-vis de l’armée et de la France ?

Dreyfus est un patriote et un Républicain fervent, et il le demeure en dépit de l’Affaire, qui n’entame en rien ses valeurs. Quand la guerre éclate en 1914, celui qui a été désigné comme un « traître à la patrie » n’hésite pas à s’engager. L’armée reste pour lui l’ « arche sainte », même s’il peut s’interroger sur le bien-fondé de certaines procédures et notamment celle des conseils de guerre (qui ne seront supprimés qu’en 1981). 

S’il y a eu déception, c’est à l’encontre des chefs plus que de l’institution – par exemple, le général Boisdeffre, chef d’État-major dont il était persuadé avoir le soutien. Il sera déçu aussi par Clemenceau, qui, après avoir tant écrit en faveur de Dreyfus dans L’Aurore, devient le « premier flic de France » réprimant les grèves.

Concernant l’Affaire elle-même, sa position évolue aussi au fil des ans, comme le montre la réécriture de certains textes. En 1931, alors qu’il reprend ses Souvenirs, écrits en 1907, on voit qu’il supprime les passages qui évoquaient, avec beaucoup de tristesse, l’éclatement du camp dreyfusard en 1901. Sans doute parce qu’à ce moment-là, ces épisodes ne parlent plus à personne. Mais aussi dans une volonté, à la fin de sa vie, de passer l’éponge. 

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Affaire DreyfusAlfred Dreyfus
Alice Tillier-Chevallier

Ecrit par

Alice Tillier-Chevallier

Alice Tillier-Chevallier est journaliste indépendante. Spécialisée en histoire, patrimoine et éducation, elle collabore notamment à Archéologia et à la revue Le Français dans le monde.

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