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Agricol Perdiguier, infatigable chantre du savoir-faire ouvrier

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

Ouvrier menuisier, Agricol Perdiguier fut le réunificateur de la société des Compagnons du devoir. Prônant l’instruction des ouvriers, cet ami de Victor Hugo et George Sand a mené ses condisciples à se retrouver au sein d’une unique Société des Devoirs en 1866.

En 1839, Agricol Perdiguier, dit « Aveyronnais-la-Vertu », est compagnon menuisier du Devoir de liberté. Pour accéder à ce statut, il a effectué quinze ans plus tôt le traditionnel Tour de France des Compagnons, qui a duré 52 mois. Cet apprentissage et les années qui ont suivi en ont fait un homme curieux, ouvert et surtout préoccupé par la solidarité ouvrière.

En effet, les Compagnons sont historiquement divisés en trois mouvements : ceux du roi Salomon, ceux de Maître Jacques et enfin ceux du père Soubise, fondateurs légendaires. De fait, les rixes et querelles sont fréquentes entre les différents ouvriers, attisées par des chansons que se lancent les belligérants.

« Gavots abominables,
Mille fois détestables !

hurlaient les Dévorants.

Pas de charge en avant,
Repoussons tous ces brigands,
Ces gueux de Dévorants.

répliquaient les Gavots. »

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Pour Agricol Perdiguier, cet affrontement permanent n’a aucun sens et ne sert qu’un seul intérêt : celui de ceux qui emploient les compagnons.

« L’idée lumineuse vint un jour à Agricol Perdiguier, qu'il n'y avait aucune différence entre un Dévorant et un Gavot ; qu'ils étaient, l'un et l'autre, esclaves d'un même patron, nourris d'un même pain noir, égaux en souffrances comme en espérances, mais impuissants parce que divisés.

Et, ce jour-là, celui que Proudhon, si sobre l'éloges, devait appeler le “Saint-Vincent-de-Paul du Compagnonnage”, découvrit sa vocation. »

Il se met à écrire des chansons pour contrer les refrains haineux alors en vogue, prêchant la tolérance et la connaissance afin d’abattre les barrières entre les mouvements. Cela ne se fait pas sans mal, sa volonté de rapprochement lui valant la haine de certains arcboutés sur leurs traditions.

Lors de son éloge funèbre en 1875, M. Escolle, président des Devoirs, rappelle à quel point le combat fut long.

« Notre ami Perdiguier consacra sa vie et ses forces à la destruction de cet usage barbare ; il écrivit son livre du compagnonnage qui excita d’abord un orage terrible ; les trois camps ennemis le menacèrent à la fois.

Avec une persévérance et un courage dignes des plus grands éloges, sans craindre ces colères, il tint bon jusqu’au bout. Ce n’est qu’en 1866 qu'il arriva à son but, et qu’il établit la société de tous les devoirs réunis que nous représentons aujourd’hui sur sa tombe. »

Ces chansons sont un prélude à l’unification des différents courants du compagnonnage, sur un air de fraternité ouvrière. Devoir de Liberté : Chansons de compagnonnage et autres, paraît en 1834, puis en 1836 Compagnonnage : la rencontre de deux frères, scène récente adressée aux compagnons de la France, un recueil poétique et pédagogique.

Car outre l’unification des ouvriers, Perdiguier se bat aussi pour permettre aux prolétaires de s’émanciper à travers l’éducation. Il s’insurge que l’on dénie l’intelligence ouvrière collective. Lorsque Arago affirme que l’on ne savait pas faire de trait (sa spécialité) avant le les traités de géométrie parus au XVIIe siècle, il s’emporte.

« Quoi avant eux, la classe ouvrière était sans science ! Et les moyens précis de tailler la pierre ou le bois leur étaient inconnus ?

Mais les nombreuses cathédrales dont les voûtes, dont les coupoles, dont les charpentes, dont les chaires à prêcher, dont tous les détails, dont tout l'ensemble frappent d'étonnement tout homme au cœur élevé qui en approche, sont tout simplement le produit de la routine ! de la seule routine.

Eh messieurs les savants, que dites-vous là ? »

Chanson tirée du recueil « Écho du tour de France : chansons compagnoniques », 1848 - source : Gallica-BnF
Chanson tirée du recueil « Écho du tour de France : chansons compagnoniques », 1848 - source : Gallica-BnF

Cet homme brillant attire l’attention lorsqu’en 1839, il fait paraître Le Livre du Compagnonnage, qui contient des chansons, des réflexions sur l’architecture et le trait ainsi qu’une notice sur le compagnonnage.

De nombreux intellectuels s’intéressent à lui, parmi lesquels Victor Hugo, avec qui il entretient une correspondance. George Sand le prend pour modèle pour son personnage de Pierre Huguenin, dit l’Ami du Trait, dans son roman Le Compagnon du Tour de France, disant de lui :

« Peu sensible à la poésie des combats, doué d'un zèle apostolique, persévérant, actif, infatigable ; dominé et comme assailli, à toute heure, par le sentiment de la fraternité humaine, il essaya de faire comprendre à ses frères l'idéal éclos dans son cœur. »

Les lecteurs du Constitutionnel retrouve également un avatar de Perdiguier sous les traits d’Agricol Baudouin, l’un des protagonistes du Juif errant, le feuilleton quotidien signé Eugène Sue. Un hommage lui est explicitement rendu par une note de bas de page, le 20 février 1845.

« Disons-le à la louange des ouvriers, ces scènes cruelles deviennent d'autant plus rares qu'ils s'éclairent davantage et qu'ils ont plus conscience de leur dignité. II faut aussi attribuer ces tendances meilleures à la juste influence d'un excellent livre sur le compagnonnage, publié par M. Agricol Perdiguier, dit Avignonnais-la-Vertu, compagnon menuisier. […]

M. Agricol Perdiguier a eu à lutter longtemps, à lutter vaillamment pour ramener ses frères à des idées sages, et pacifiques. Disons enfin que M. Perdiguier a fondé, à l'aide de ses seules ressources, au faubourg Saint-Antoine, un modeste établissement de la plus grande utilité pour la classe ouvrière.

Il loge dans sa maison, modèle d'ordre et de probité, environ quarante ou cinquante compagnons menuisiers, auxquels il professe chaque soir, après le travail de la journée, un cours de géométrie et d'architecture linéaire, appliqué à la coupe du bois. […]

Nous sommes heureux de pouvoir rendre ici cet hommage public à un homme rempli de savoir, de droiture et du plus noble dévouement à la classe ouvrière. »

En 1848, il est élu représentant du peuple à l’Assemblée constituante. Il en profite pour demander une augmentation de salaires pour les ouvriers, à sa manière, c’est-à-dire avec méthode et précision, produisant un tableau statistique de chaque profession pour appuyer sa revendication.

« La Voix du Peuple nous apprend que M. Agricol Perdiguier, représentant du peuple, vient d’adresser à un grand nombre de personnes dévouées aux intérêts des classes ouvrières à Paris et dans les départements une circulaire, dont elle donne le texte et qui a pour objet d’ appeler de toutes parts des renseignements et des lumières, de nature à guider sûrement le représentant du peuple pour l’ouvrage auquel il travaille, dit-il, depuis un an, et qui a pour titre :

“Statistique du salaire des ouvriers et ouvrières.” »

Couverture de « L'arrivée du brave Toulousain et le devoir des braves compagnons de la petite Manicle », 1732 - source : Gallica-BnF
Couverture de « L'arrivée du brave Toulousain et le devoir des braves compagnons de la petite Manicle », 1732 - source : Gallica-BnF

Emprisonné pendant le Coup d’État de Napoléon III en 1851, il est exilé en Belgique jusqu’en 1855. Il continue à écrire (Mémoires d’un Compagnon est publié en deux parties en 1854 et 1855). De retour à Paris, il s’installe rue Saint-Antoine et monte une « école du trait » et une libraire à son domicile, où il héberge également des Compagnons peu fortunés.

Républicain convaincu, il ne comprend pas le mouvement de la Commune de Paris en 1871 et appelle les Compagnons à ne pas y participer.

Il meurt dans un grand dénuement à son domicile parisien en 1875, laissant comme héritage l’unification des Compagnons et la volonté de reconnaissance de la classe ouvrière.

« Messieurs les savants, honorez vos semblables, rendez justice à leurs efforts, nous nous joindrons à vous mais ne nous dénigrez pas, ne faites pas de nous d’absurdes machines ;

ne nous dépouillez pas de la pensée, ne nous contestez plus la légitime possession du capital scientifique qui est à nous, que nous nous transmettons de génération en génération, sans bruit, sans éclat, à l'insu des pouvoirs et de vous-mêmes, et cela depuis la naissance des métiers.

Laissez, ô vous qui êtes si riches, à chacun sa part de bien, et nous vous en saurons gré, vous pouvez le croire. »

Pour en savoir plus :

Jean Briguet, Un ouvrier à la Constituante de 1848 : Agricol Perdiguier, menuisier et représentant du peuple, in: Revue des révolutions contemporaines, 1950

Agricol Perdiguier, Mémoires d’un compagnon, La Découverte (réédition), 2002

Jacques-Noël Pérès, George Sand, entre socialisme évangélique et messianisme social, in: Autres Temps, 1999

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