Long Format

Robert Owen, l'industriel père du socialisme britannique

le par - modifié le 14/10/2022
le par - modifié le 14/10/2022

En 1800, l'homme d'affaires gallois Robert Owen fonde à New-Lanark, en Ecosse, une cité ouvrière modèle. Celui qu’on a appelé le « père du socialisme britannique » s’efforce d’améliorer les conditions de vie de ses ouvriers.

Né en 1771, dans un milieu modeste, Robert Owen commence son apprentissage dans le milieu du textile à l’âge de 10 ans. Son ascension sociale fulgurante le mène à s’associer à des fabricants de tissus puis à superviser des manufactures avant de devenir gérant d’une filature de Manchester à 19 ans, en 1790.

Pendant toutes ces années, il se forge la conviction que ce sont les « circonstances », c’est-à-dire l’environnement, qui forgent le destin des hommes. Par ailleurs, il constate que l’éducation est un gage d’amélioration et que chacun est capable d’apprendre et d’évoluer.

À Manchester, il interdit d’abord tout châtiment corporel et renvoi abusif, tout en sanctionnant financièrement l’alcoolisme et l’absentéisme.

« Robert Owen s'était imprégné plus ou moins consciemment des idées de certains philosophes du dix-huitième siècle.

Avec Rousseau, il croyait que l'homme est né bon et que la société l'a corrompu ; que le mal est dans les institutions et non dans les hommes. Avec Helvétius, il considérait que tous les hommes avaient le même degré de réceptivité.

Donc l'homme est le produit de son milieu. Il n'a ni liberté ni responsabilité. Donc il faut prévenir le mal et non le réprimer. »

L'été culturel et apprenant à la BnF

Tout l’été, la BnF vous propose une programmation spécifique pour remettre les arts et la culture au coeur des journées des petits comme des plus grands.
Chaque semaine, la BnF vous invite à découvrir les richesses de ses collections au travers d'une thématique.

EN SAVOIR PLUS

En 1798, il rencontre David Dale, l’un des patrons les plus importants du textile écossais. Celui-ci est propriétaire de la filature New Lanark en Écosse, déjà réputée pour son administration progressiste.

Owen épouse Anne-Caroline Dale l’année suivante ; et lorsque son beau-père vend New Lanark en 1800, il trouve des partenaires pour racheter la filature. New Lanark devient alors le laboratoire efficace de ses théories progressistes.

« Le tems [sic] moyen du travail est de dix heures et demie par jour au lieu de seize, comme on le pratique dans beaucoup d’autres ateliers.

On enseigne aux enfants, qui ne sont point admis aux travaux avant l’âge de dix ans, la lecture, l’écriture et le calcul, sans aucune dépense pour leurs parents.

On leur enseigne en même tems la musique vocale et instrumentale, la danse, l'exercice militaire ; les filles apprennent a tricoter et à coudre ; et des dispositions sont faites pour instruire les garçons dans la culture des jardins et l’agriculture. Quatre églises, consacrées à des cultes différents, reçoivent, le dimanche, toute celle population. »

En 1817, il lance le mort d’ordre : « 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de sommeil ». Il a réduit la journée de travail à dix heures et demie (moins une heure et demie pour les repas).

En 1821, on étudie en France ses principes. La Gazette se fait l’écho de la mise en pratique des théories d’Owen dans le cadre d’un long article consacré aux nouvelles industries.

« Mais ce qu’il y a d'admirable, c'est le régime intérieur des ateliers, ce sont les soins que M. Owen ne cesse de prendre pour former des habitudes morales et des sentiments d’union sociale parmi les classes ouvrières de New-Lanark ; c’est, en un mot, l’éducation de tout un village que dirige seul l’homme respectable qui l’a créé. »

Esquisse de New Harmony, projet de cité modèle envisagé par Robert Owen dans les années 1830 - source : Domaine Public
Esquisse de New Harmony, projet de cité ouvrière modèle envisagé par Robert Owen dans les années 1830 - source : Domaine Public

Owen a pensé New-Lanark dans sa globalité pour améliorer les conditions de vie des ouvriers. Il y installe un économat où les produits sont meilleurs et moins chers qu’ailleurs, il installe un médecin attaché à l’usine et instaure des campagnes de vaccination. Il crée une caisse d’assurance maladie avec un pourcentage du salaire des ouvriers.

Par ailleurs, il se bat au quotidien contre ce qu’il considère comme les « vices » de l’alcoolisme et de l’adultère, préférant des sanctions financières lourdes au renvoi ou au châtiment corporel, comme il est d’usage à l’époque.

Les enfants sont l’autre préoccupation d‘Owen. Dans son usine, pas de travail avant dix ans (contre six ou sept pour la moyenne nationale) et obligation d’aller à l’école. Il propose d’ailleurs en 1815 un projet de loi dans l’idée interdire le travail avant l’âge de dix ans, instaurer la journée de dix heures pour eux et les soumettre à l’instruction obligatoire.

À New-Lanark, il n’y a pas d’instruction religieuse. Les parents sont libres d’éduquer leurs enfants selon d’autres préceptes, notamment la liberté et la laïcité. En France, les plus conservateurs, notamment le quotidien légitimiste Le Drapeau blanc, s’en émeuvent.

« On n’y parle pas de religion, mais on s’y occupe du chant, de la musique, de la danse et de la gymnastique, qui sont, comme tout le monde en convient, d’excellens [sic] moyens de perfectionnement moral.

Les enfants des deux sexes sautent et dansent ensemble ; pour être plus à l’aise, ils ont les jambes et les pieds nus ; quelques petits garçons n’ont même qu'une cotte ou jaquette, sans culottes, avec un simple tablier qui descend un peu au-dessous du genou. »

L’amélioration de la qualité de vie des ouvriers ne nuit pas à la production, bien au contraire. Le Constitutionnel relève dans sa revue de presse internationale que si les filatures du Royaume-Uni se portent bien en général, celle de Robert Owen fait partie des plus impressionnantes :

« À New-Lanark, M. Owen produit chaque jour, avec 2 500 ouvriers, une quantité de fils  de coton qui feraient le tour de la terre fois et demie. »

L’expérience écossaise dure jusqu’en 1823, date à laquelle il se brouille avec ses associés pour des raisons politiques – et avec sa femme, pour des motifs religieux.

Owen s’embarque alors pour les États-Unis avec ses fils et fonde la communauté de New Harmony dans l’Indiana rural, un village coopératif dans lequel sont poussés un peu plus loin ses projets sociaux. Il échoue au bout de quelques années et revient en Angleterre en 1928 pour découvrir des partisans parmi industriels et économistes.

Il fonde un journal, le New Moral World, et après une dernière faillite dans un projet trop ambitieux dans le Hampshire, se consacre à son autobiographie et à promouvoir ses idées à travers l’Europe. Il meurt en 1858.

Marginalisé en Angleterre à cause de son échec final dans le Hampshire, Robert Owen est considéré par Karl Marx comme un pionnier du « socialisme scientifique ».

Cinquante ans après sa mort, le jeune journal L’Humanité déplore d’ailleurs que trop peu de socialistes français connaissent Robert Owen. Le journal rappelle que les principes de New-Lanark substituent  : « l'ordre, la propreté, l'aisance, l'instruction et la dignité, à la saleté, aux privations, à l'ignorance et à l'abjection et cela, sans coercition, ni amendes, ni punitions, ni réprimandes d'aucune sorte. »

Robert Owen est aujourd’hui souvent cité lorsqu'on revient sur les premiers « socialistes utopiques » du XIXe siècle, aux côtés de noms tels que Saint-Simon ou Charles Fourier.

Pour en savoir plus :

Édouard Dolléans, Robert Owen, 1774-1858, 1907

Ophélie Siméon, Entre utopie et père du socialisme : réceptions de Robert Owen en Grande-Bretagne, 2014, via erudit.org

David Crook, trad. Nicole Tartera & Jean-Noël Luc, L’Éducation collective des jeunes enfants en Grande-Bretagne : une perspective historique, 1999

Notre sélection de livres

Dialogue entre la France, le monde et Robert Owen
Robert Owen
Mémoire adressé aux souverains alliés
Robert Owen
Le livre du nouveau monde moral
Robert Owen
Robert Owen : un socialiste pratique
Auguste Fabre