Interview

« Lors de la Saint-Barthélemy, les bourreaux frappent aux portes et les victimes leur ouvrent »

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Le Massacre de la Saint-Barthélemy, tableau de François Dubois, circa fin du XVIe siècle – source : WikiCommons

Dans son livre Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy, l’historien Jérémie Foa raconte le massacre par le bas au travers des archives de la vie quotidienne.

Le massacre de la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572 à Paris et les semaines suivantes en province, commença par l’exécution d’une vingtaine de chefs protestants à la demande de la famille royale avant de se poursuivre par le massacre de milliers de leurs coreligionnaires par des miliciens catholiques.

Dans son passionnant Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy (La Découverte), l’historien Jérémie Foa, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille, raconte ces victimes et ces bourreaux longtemps restés dans l’ombre à partir notamment des archives, à première vue banales, des notaires.

Propos recueillis par Jean-Marie Pottier

RetroNews : Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter la Saint-Barthélemy au travers des itinéraires des victimes et des tueurs ?

Jérémie Foa : Le premier élément de réponse, c’est ma formation, à la fois historique et sociologique. J’avais écrit un premier livre, Le tombeau de la paix. Une histoire des édits de pacification, 1560-1572, sur la paix au temps des guerres de religion – non pas celle des grands traités théoriques mais la paix concrète, sur le terrain. J’ai toujours eu la volonté d’étudier les événements au ras du sol dans la lignée de l’histoire par le bas ou de la micro-histoire théorisées par le britannique Edward Palmer Thompson ou l’italien Carlo Ginzburg, qui envisagent l’étude des grands problèmes au travers du vécu des acteurs et de cas singuliers.

Le deuxième élément, c’est un vide historiographique tant la Saint-Barthélemy a été étudiée à des dizaines de milliers de reprises mais finalement presque toujours du côté du pouvoir, avec pour interrogation centrale « ce qu’il s’est passé » dans le cabinet du roi Charles IX au Louvre dans la nuit du 23 au 24 août 1572 : qui a donné l’ordre, Catherine de Médicis, les Guise ou lui ? Je me suis dit qu’il était possible d’inverser la focale, de se dire qu’on n’allait pas résoudre la question du donneur d’ordre au sommet mais qu’on pouvait essayer de voir comment cela s’était passé sur le terrain.

Vous mentionnez à plusieurs reprises les noms de Joseph Boniface de La Môle et Annibal de Coconas, deux gentilshommes qui ont inspiré des personnages de La Reine Margot. En quoi le roman d’Alexandre Dumas a-t-il imposé une vision du massacre ?

Ce très beau livre a figé les représentations et les imaginaires, d’abord au XIXe siècle puis au XXe, en s’intéressant presque exclusivement aux intrigues de cour des derniers Valois. Sa vision de la Saint-Barthélemy a été reprise par Patrice Chéreau dans son adaptation magnifique au cinéma, qui a marqué l’imaginaire de toute une génération, notamment la mienne : il ne s’intéresse que très peu à ce qui se passe dans Paris en dehors du Louvre, hormis des images, assez esthétiques, de tas de cadavres.

Quels sont les historiens qui ont fait évoluer cette représentation restrictive ?

Après les travaux pionniers de Janine Garrison, qui a beaucoup travaillé sur la Saint-Barthélemy dans les années 1970, les grands changements ont été, à mes yeux, l’œuvre de Denis Crouzet avec la parution en 1990 de sa thèse, Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion, puis de ses livres sur Michel de L’Hospital, le chancelier de Catherine de Médicis, et sur Catherine de Médicis elle-même. Il a montré que, loin d’être des tyrans sanguinaires ou les tenants d’un machiavélisme diabolique, ces derniers Valois, et notamment la reine-mère, étaient au contraire animés d’une volonté de paix.

Un peu plus tard, Olivier Christin a étudié dans un livre très important, La paix de religion, comment Catherine de Médicis et Michel de L’Hospital ont œuvré par des édits de pacification et l’instauration de la liberté de conscience et de culte à inventer ce qu’on peut appeler de manière un peu anachronique la tolérance, c’est-à-dire la coexistence entre catholiques et protestants. Loin de la matrone tyrannique et sanguinaire représentée chez Dumas, Catherine de Médicis a été très largement réhabilitée par ces travaux.

Comment, dans cette...

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