Écho de presse

Les bains-douches, petite révolution sanitaire de la Belle Époque

le 16/08/2021 par Marina Bellot
le 04/01/2019 par Marina Bellot - modifié le 16/08/2021
Affiche promotionnelle pour les Bains parisiens, situés au 160 rue Oberkampf ; « Vapeur, douches, hydrothérapie », 1889 - source : Gallica-BnF
Affiche promotionnelle pour les Bains parisiens, situés au 160 rue Oberkampf ; « Vapeur, douches, hydrothérapie », 1889 - source : Gallica-BnF

À la fin du XIXe siècle, dans une société où la tuberculose et l'alcoolisme sont endémiques, l'apparition des bains-douches publics est saluée comme un progrès social et sanitaire majeur.

En 1897, un médecin hygiéniste dresse, dans La Petite Gironde, un constat qui sonne aujourd’hui comme une évidence mais qui était loin de l’être à l’époque : une bonne hygiène corporelle est essentielle à la santé. Ainsi, explique-t-il :

« Nous vivons, surtout à la ville, dans une atmosphère où flottent toutes sortes de poussières, minérales ou organiques. Or, la peau n’est jamais absolument sèche ; un nombre immense de petites glandes y déversent constamment une matière grasse et un liquide, la sueur ; les poussières se fixent aisément sur la peau ainsi humectée.

Ajoutez à cela les débris de notre épiderme qui se renouvelle sans cesse, et vous comprendrez qu'en peu de temps il se forme sur la peau un enduit très adhérent qu'un simple lavage à l'eau froide est souvent impuissant à détacher. [...]

En résumé, on peut dire que tout le monde doit regarder la propreté corporelle comme essentielle à la santé, mais que l'application de ce principe n’est vraiment difficile que dans la classe ouvrière. »

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Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les Français ne sont pas égaux devant la santé, loin s'en faut. La classe ouvrière, en pleine expansion, vit pour la grande majorité dans des logements insalubres. De ces « taudis » qui se multiplient en France, Le Corbusier écrira :

« Insuffisance de surface habitable par personne ; médiocrité des ouvertures sur le dehors ; absence de soleil ; vétusté et présence permanente de germes morbides ; absence ou insuffisance des installations sanitaires ; promiscuité. »

Pour pallier le manque d'hygiène, les bains-douches voient le jour sous la forme d'un service public géré par les municipalités françaises. Destinés aux personnes qui ne sont pas équipées de l'eau courante, ils apparaissent comme une petite révolution : ils permettent de contribuer à la « salubrité publique » tout en garantissant une (relative) égalité devant l’hygiène et le sport (des piscines leur sont souvent associés).

Les premiers bains-douches populaires ouvrent ainsi à Bordeaux en 1900. Charles Cazalet, élu au conseil municipal bordelais et promoteur de la première heure des bains-douches, défend ainsi dans le journal Le Matin une « grande idée » :

« Qu'y a-t-il donc derrière tout cela ? Ce qu'il y a, il y a une grande idée, celle de donner à tous de la propreté physique et, par suite, de la propreté morale, dont on a tant besoin.

Croyez-moi, tous les mondes en feront leur profit aussi bien celui des ouvriers, celui des employés que celui de la bourgeoisie, car on ne se figure pas qu'il y a tout à faire dans cet ordre d'idées.

Consultez, par exemple, les statistiques sur la propreté corporelle des personnes quelconques, hommes, femmes, enfants, quel que soit leur rang social, frappées dans la rue et qu'on est obligé de déshabiller, et vous serez stupéfaits d'apprendre que presque toutes ont le corps sale, et toutes les pieds sales. »

L’hygiène est alors vue comme le remède aux « fléaux sociaux » tel que l'alcoolisme, et la garantie d'une jeunesse saine et robuste, comme l'illustre cet article du Petit Jounal paru en 1913 :

« L'homme qui use de l'eau avec joie n'est pas tenté d'abuser de l'alcool. Ici encore, nous sommes en présence de l'évidence même. Raisonnablement, on ne saurait imaginer un ivrogne sortant du bain-douche ou y allant.

Les organisateurs de bains-douches ont reconnu que c'est à l'enfant qu'il faut surtout donner d'habitude de l'ablution vive et totale. En grandissant et en vieillissant, il y trouvera délassement et réconfort.

À Bordeaux, où les premiers bains-douches scolaires ont été installés (dix centimes : savon et coiffe compris), les enfants qui s'y rendent, une fois par mois, étaient quinze mille en 1899 ; ils sont aujourd'hui près de trente mille.

Un inspecteur d'Académie déclarait : “Le bain-douche vaut une classe.” Les écoliers, et les écolières se remettent au travail le corps dispos, l'esprit allègre, les idées rafraîchies. »

C'est dans les années 1920 que les bains-douches se généralisent en France, notamment dans les établissements scolaires, comme s'en réjouit Le Siècle en 1926 :

« Les bains-douçhes fonctionnent dans la plupart des lycées et collèges. [...]

Au ministère de l'Instruction Publique on m'a confirmé : Seuls quelques lycées de lointaines provinces – et notamment des lycées de jeunes filles – seules quelques écoles normales sont encore dépourvus de bains-douches. Mais ce sont là, heureusement de rares exceptions.

Nous le croyons volontiers, souhaitant d'être cru à notre tour, par ces étrangers qui pensent à tort que nous sommes le peuple le plus sale de la terre. »

On peut quelque part attribuer aux bains-douches un statut de précurseur aux « grands ensembles » qui seront, dès les années 1930, destinés à loger les populations ouvrières, leur garantissant, grâce à des installations collectives, des conditions minimales de confort et de salubrité. Ainsi en 1936, le mensuel communiste Regards donne ainsi l'exemple d'Ivry :

« En dix ans, la municipalité a réalisé un travail géant : travaux de voirie considérables, ouverture d'une maison du peuple sur l'emplacement d'un ancien presbytère, construction de bains-douches, création d'un jardin d'enfants, constructions et aménagements de locaux scolaires, consultations de nourrissons, dispensaire, patronages municipaux, colonies de vacances, stades, club de la jeunesse, œuvre du sou du soldat. »

La fréquentation des bains-douches décroîtra à compter des années 1960 puis plus largement dans les années 70, au cours desquelles les salles de bain individuelles se démocratiseront.

À Paris, ils ont été rendus gratuits par la mairie en 2000 et sont encore utilisés par une population vivant dans des conditions de pauvreté extrême.

Pour en savoir plus :

Sophie Fesdjian et Claire Lévy-Vroelant, Un service public original entre histoire et devenir : les bains-douches en France et en Europe de l’ouest, 2017

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Les Bains-Douches à bon marché
Charles Cazalet