Écho de presse

La terrible vie de Joseph Merrick, « l'homme-éléphant »

le 11/08/2022 par Pierre Ancery
le 28/08/2020 par Pierre Ancery - modifié le 11/08/2022
Affiche pour un spectacle de Barnum and Bailey ; 1901 - source Gallica BnF
Merrick est connu grâce au film que lui consacra David Lynch en 1980. En raison de sa difformité extrême, ce Britannique fut exhibé – de son plein gré – à Londres et en Europe, où le public se pressait pour le voir. 
Aujourd'hui, on le connaît surtout grâce au film de David Lynch Elephant Man, sorti en 1980. Mais Joseph Merrick, surnommé de son temps « l'homme-éléphant » en raison de sa difformité extrême, a bel et bien existé. Ce Britannique né en 1862 était atteint du syndrome de Protée, une maladie génétique affectant la croissance des tissus et provoquant des déformations.

Joseph Merrick perdit sa mère à 11 ans et fut expulsé du domicile de son père. En 1884, il se produit comme phénomène de cirque, à Londres. Ce genre d'exhibition est à l'époque très prisé du public. C'est là qu'un médecin, le Dr Frederick Treves, le découvre et le prend en charge. Mais lorsqu'en 1885 en Grande-Bretagne, les exhibitions de phénomènes humains – on dit alors « prodiges » – sont interdites afin de protéger les « bonnes mœurs », Merrick, sous la coupe d'un impresario autrichien, va se produire sur le continent.

 

Lors de son passage en France, la presse va le voir et se met à parler de lui. Le 29 septembre, Le Petit Troyen raconte la légende qui aurait valu son surnom :

 

« L’homme-éléphant, tel est le phénomène, horrible à voir, que la presse était invitée à visiter hier. C’est un cas de tératologie, intéressant pour les médecins, mais auquel la réclame a voulu ajouter du merveilleux. La biographie du malheureux Merrick (c’est le nom du phénomène) prétend que la mère du monstre a été épouvantée et renversée, pendant sa grossesse, par un éléphant échappé à son cornac ! De là, le Barnum conclut que l’éléphantiasis, l’épaississement du derme et les difformités de la tête dont est affligé l’infortuné Merrick, sont le résultat de l’épouvante maternel. »

À chaque fois, la presse insiste sur le dégoût du public. Mais ne fait guère preuve de compassion envers le malheureux, à l'image du XIXe siècle qui écrit :

« Un barnum a présenté, hier, à la presse, un homme-éléphant nommé Merrick. C'est un être hideux affecté d'éléphantiasis et dont la peau est très épaisse et rugueuse comme celle d'un éléphant. Horrible à voir d'ailleurs, presque aussi écœurant que son confrère, l'homme à la tête de veau. »

Gil Blas quant à lui y voit un phénomène typiquement anglais :

« On exhibe en ce moment à Paris un homme éléphant. Nous ne ferons pas à nos lecteurs l'injure de leur dire où l'on voit cette monstruosité. Cette horreur, parait-il, aurait eu un certain succès en Angleterre ; cela ne nous étonne nullement, car en fait de mauvais goût il y a longtemps que les Anglais sont passés maîtres. Mais en plein cœur de la civilisation, on devrait bien interdire ces spectacles répugnants, et comme il faut que chacun vive, l’État devrait créer un hospice pour y entretenir les disgraciés de la nature et ne pas les forcer, pour manger, à exhiber leurs infirmités. »

Tout comme L’Écho de Paris :

« Nous sommes appelés à voir des choses bien répugnantes, mais nous devons avouer que nous n'avons jamais rencontré une exhibition aussi dégoûtante que celle de l'Homme éléphant. Nous ne ferons pas à nos lecteurs l'injure de leur dire où l'on peut visiter cette horreur. — Que cette monstruosité ait eu du succès en Angleterre, nous n'en doutons pas, les Anglais sont assez réputés comme gens de mauvais goût ; mais à Paris, dans la capitale de la civilisation on devrait remiser ces horreurs et empêcher de si horribles exhibitions ; le bon goût y gagnerait. »

De retour à Londres, il provoque un attroupement en gare de Liverpool Street. Le Dr Treves le prend à nouveau en charge et, grâce à une levée de fonds parue dans le Times, Merrick peut vivre ses derniers jours comme résident permanent à l'hôpital de Londres. Il meurt à 27 ans, le 11 avril 1890, probablement mort d'étouffement après que sa lourde tête s'était renversée vers l'arrière, comprimant ainsi la trachée.

Outre le film de David Lynch, les exhibitions de phénomènes humains furent mises en scène à plusieurs reprises par le cinéma. Le film Freaks de Tod Browning, en 1932, suscita presque autant de dégoût que les barnums dont il voulait dénoncer la cruauté (voir notre article).