Écho de presse

Philippe Pinel, « bienfaiteur des aliénés » pendant la Révolution

le 29/03/2022 par Michèle Pedinielli
le 17/05/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 29/03/2022
« Le docteur Philippe Pinel faisant tomber les chaînes des aliénés », Tony Robert-Fleury, circa 1880 - source: RMN Grand Palais-Histoire par l'image
« Le docteur Philippe Pinel faisant tomber les chaînes des aliénés », Tony Robert-Fleury, circa 1880 - source: RMN Grand Palais-Histoire par l'image

A la fin du XVIIIe siècle Philippe Pinel, médecin à l'hôpital Bicêtre, révolutionne la façon d'envisager les personnes atteintes de maladies mentales. Il entreprend de les traiter non comme des « insensés », mais comme autant d’êtres humains souffrant d’authentiques pathologies.

En 1793, lorsque Philipe Pinel est nommé médecin à l’hospice de Bicêtre à Paris, c'est un homme qui approche la cinquantaine, un érudit d'une grande curiosité intellectuelle intéressé par des domaines aussi divers que les mathématiques, la zoologie (il obtient en même temps que Cuvier la chaire d'anatomie comparée au Jardin des plantes) et ce que l'on appelle alors « la manie », c'est-à-dire les maladies mentales.

Il semble cependant que toutes ces années d'étude ne l'ont pas préparé au spectacle des « aliénés » internés à Bicêtre.

« Ces derniers, qu’on avait, au Moyen Âge, considérés comme des possédés, étaient encore, au XVIIIe siècle, traités comme des coupables ; après leur avoir fait subir à l'Hôtel-Dieu une cure inefficace et surannée, on les amenait à Bicêtre ;

ici, qu'ils fussent ou non guérissables, agités ou abattus, on ne songeait qu’à débarrasser la société de leur inutile ou dangereuse présence ; retenus par des chaînes de fer, ils étaient enfermés dans des ‘loges’ de pierre étroites, humides, privées d’air, de lumière et de chaleur ; ils y croupissaient sur une paille malpropre, et Bicêtre, vrai pandémonium, retentissait du bruit de leurs chaînes et de leurs vociférations.

Parfois, aux jours de fête, leurs gardiens les montraient au public comme des bêtes curieuses. »

Philippe Pinel tente dès lors d’instaurer une forme de révolution du traitement des « insensés » au beau milieu de la Révolution en cours. En 1797, il répond ainsi à un article du Journal de Paris s’interrogeant sur ses méthodes jugées peu orthodoxes quoique selon lui, « dignes d’une nation éclairée ».

« Il est permis aux officiers de santé qui nient ou ignorent les faits observés en Angleterre, en France ou ailleurs, de regarder la manie comme une décomposition cérébrale, & partant incurable : c’est un des préjuges vulgaires que je cherche surtout à détruire, dans un ouvrage sur les insensés, dont la rédaction est un peu retardée par les soins que je dois aux malades de l’hospice de la Salpêtrière et par les travaux du cabinet qu’exigent mes leçons publiques à l’Ecole de Médecine.

Une lettre que j'ai consignée dans le Journal de Paris, année 1787, sur le régime moral propre à ramener les insensés, peut servir de réponse au reproche fait indirectement aux officiers de santé, de n’employer que des moyens physiques.

J’ai continué d’en faire l’application autant que les localités & les circonstances ont pu le permettre, & je publierai d’ailleurs, dans mon ouvrage les succès comme les non-succès de cette méthode. »

Il commence par visiter régulièrement l'hôpital. « Des visites fréquentes, écrit-il, m’aidèrent à me familiariser avec les écarts, les vociférations et les extravagances des maniaques les plus violents ». Ses observations l'amènent à prendre une décision qui s’avérera historique : libérer les aliénés de leurs entraves, les considérer avec compassion et entreprendre avec eux une véritable cure.

« Après cette enquête, menée avec cette bonne foi, cette sincérité, cette prudence admirables, il put conclure que ‘les aliénés, loin d’être des coupables qu’il fallait punir, étaient des malades dont l’état pénible méritait tous les égards dus à l’humanité souffrante, et dont on devait rechercher, par les moyens les plus simples, à rétablir la raison’.

La douceur devait se substituer à la violence. Dans les moments de crises, la chemise de force suffirait à rendre le fou inoffensif; la fureur tombée, il importait de laisser au malade la liberté de ses mouvements. »

Cette « réforme Pinel » de 1793, qui s’inscrit dans une conception de l’homme héritée des Lumières, est également basée sur l'expérience de première main d'un surveillant à l'hôpital : Jean-Baptiste Pussin. Ce colosse montre en effet une douceur et une compassion étonnantes envers les malades, avec lesquels il vit et travaille.

« Cet homme singulier, sans étude et sans lettres ; mais que la Nature a doué de qualités rares, qui semble avoir formé sa raison en vivant avec ceux qui ont perdu la leur, a acquis dans son état l'expérience la plus utile à ceux qu'il dirige, et dont le médecin même de l’hospice ne saurait se passer ; car le médecin, qui ne voit les insensés que momentanément ne peut guère suppléer par son savoir à l’observation du surveillant, qui les a toujours sous les yeux.

Un zèle que rien ne rebute, une attention assidue à observer les mœurs et les allures des insensés, ainsi que les phénomènes de leur maladie, une sagacité naturelle et une sorte d'instinct qui lui fait aimer ce genre d’observation, ont mis le citoyen Pussin en état d’établir parmi les fous un régime et une discipline admirables, et de pronostiquer d’une manière sûre leur guérison trois mois, six mois, un an d’avance, et lorsqu’ils semblent n’offrir que les apparences d’un état désespéré.

Il nous a communiqué un tableau des fous entrés à Bicêtre pendant l’espace de quatorze années, et des observations manuscrites qui feraient honneur a un médecin éclairé. Il résulte du tableau un fait consolant, c’est qu'un tiers des insensés, et même davantage, sont susceptibles de guérison. »

Pussin note minutieusement tout ce qu'il observe chez ses patients et le médecin Pinel apprend ainsi à intégrer ses remarques à ses propres études, alors même que les observations du surveillant vont à l'encontre des dogmes de l'époque.

« J’eus des entretiens réitérés avec l'homme qui connaissait le mieux l’état antérieur des fous et leurs idées délirantes : attention extrême pour ménager les prétentions de l’amour-propre ; questions variées et souvent répétées sur le même objet, lorsque les réponses étaient obscures ;

point d’opposition de ma part à ce qu’il avançait de douteux ou de peu probable, mais renvoi tacite à un examen ultérieur pour l’éclaircir ou le rectifier ; notes journalières tenues sur les faits observés, etc. »

Les chaînes ôtées, Philippe Pinel met en place divers remèdes basés sur le concept de « traitement moral », déclarant notamment qu’il ne faut pas troubler le cours de la maladie par une médication imprudente, mais se contenter de « modérer la violence » des symptômes. Ce protocole est en outre affiné par l'occupation manuelle et intellectuelle quotidiennes des malades.

Les cachots humides disparaissent également, jardins et promenoirs font leur apparition. Et l'on n'exhibe plus les aliénés comme des bêtes de foire. Pour éviter tout retour en arrière, Pinel fait inscrire les mots « Respect au malheur » sur le fronton de l’hospice.

Deux ans plus tard, il est nommé à la Salpêtrière, où plus de 600 femmes y sont alors enfermées. Fort de son expérience à Bicêtre, il applique les mêmes réformes et s'attache à y faire muter Jean-Baptiste Pussin. Il connaît des réussites analogues, faisant sortir de l’asile des patientes que l'on avait à tort considérées comme condamnées. Le Mercure de France note ainsi, au mois de mars 1808, qu’il en a « guéri radicalement 444 sur 814 ».

« M, Pinel a lu, le 9 février, à la chaire des sciences de l’Institut, un Mémoire qui a excité le plus vif intérêt. Il a rendu compte des traitements qu’il a fait subir aux aliénés depuis quatre ans moins trois mois, c’est-à-dire depuis le 17 germinal an X.

A cette époque l’hospice de la Salpêtrière, qui de tout temps avoit été regardé comme un dépôt de folles incurables, après des traitements infructueux tentés à l'Hôtel-Dieu, en contenait 517 : M. Pinel en a guéri radicalement 444 sur 814.

Il ne comprend point dans ce nombre les personnes qu'on peut regarder également comme guéries, mais qui sont infirmes ou faibles d’entendement dès l'âge le plus tendre, & qui ont été amenées, par le traitement, au point de pouvoir travailler sous la direction de quelqu'un qui les surveille.

Dans les cas de démence accidentelle ou non continue, l'habile professeur a obtenu 19 guérisons sur 36 malades. »

Philippe Pinel mourra en 1826. Son cercueil sera suivi par de très nombreux confrères, parmi lesquels Georges Cuvier et Jean-Etienne Esquirol (son successeur à la Salpêtrière) qui lui rendront hommage.

Jean-Baptiste Pussin lui, est mort en 1811 à l'âge de 65 ans, toujours employé à l'hospice de la Salpêtrière. Une plaque inaugurée en 1887 sur les murs de Bicêtre rappelle son apport essentiel à la psychiatrie moderne.

Révolutionnaires en leur temps et portées aux nues tout au long du XIXe siècle « positiviste », les thèses de Pinel seront toutefois battues en brèche à partir de la deuxième moitié du XXe, notamment par le philosophe et historien de la folie Michel Foucault.

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