Écho de presse

1938 : L’exil forcé de Sigmund Freud, victime du national-socialisme

le 20/03/2020 par Arnaud Pagès
le 25/10/2018 par Arnaud Pagès - modifié le 20/03/2020
Photo de Sigmund Freud, père de la psychanalyse, 1926 - source : Domaine Public
Photo de Sigmund Freud, père de la psychanalyse, 1926 - source : Domaine Public

Au soir de sa vie, Sigmund Freud, mondialement connu pour avoir inventé et théorisé la psychanalyse, est contraint de fuir son pays, l’Autriche, sous la pression du parti nazi.

Dans les colonnes du journal de gauche Marianne, en juin 1939, une inquiétude quasi-prophétique perce sous la plume de la rédactrice Marie Bonaparte au sujet de son ami et père de la psychanalyse, « le vieux maître » Sigmund Freud, exilé depuis un an de sa ville d’origine, Vienne, tandis qu’elle revient sur sa vie et ses origines juives d’Europe de l’est.

« Mais voilà que le vieux maître a dû s'expatrier.

Autrefois, paraît-il, ses ancêtres, juifs de Rhénanie, fuyant au XIVe ou au XVe siècle l'une de ces persécutions que nos temps, si fiers de leur civilisation, ne devraient plus connaître, s'étaient réfugiés en Lithuanie. Puis de là, descendus en Galicie, ils gagnaient Freiberg en Moravie, où naquit Sigmund Freud, enfin, Vienne, où celui-ci passa quarante-sept ans de sa vie.

Or, le chemin de l'Occident vient de se rouvrir à lui : après avoir traversé Paris, Sigmund Freud et les siens ont été accueillis par la libérale Angleterre. Que le grand penseur, le frère de “race” des Spinoza et des Einstein, y trouve la paix nécessaire à l'accomplissement des travaux que son esprit toujours jeune peut encore méditer ! »

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Installé à Vienne depuis son enfance, Sigmund Freud est, au début de l’année 1938, de plus en plus inquiet de la politique antisémite et « pangermaniste » menée par Adolf Hitler. Déjà en mai 1933, ses ouvrages ont été brulés lors des célèbres autodafés littéraires organisés à Berlin par le Troisième Reich. Son ascendance juive, en outre, n'est un secret pour personne.

Lorsque le 12 mars 1938, les troupes de la Wehrmacht franchissent la frontière austro-allemande et avancent à marche rapide vers la capitale autrichienne, la Société psychanalytique de Vienne recommande à chaque analyste juif de quitter sans plus tarder le pays. Freud songe alors à partir pour éviter les persécutions.

Le 22 mars, sa fille Anna est arrêtée et questionnée longuement par la Gestapo. Il faut l'intervention ferme de l'ambassadeur américain William C. Bullit, ainsi qu'une importante caution – versée par la même Marie Bonaparte – pour qu'elle soit libérée. Lui-même est convoqué peu après par les autorités. Ses livres sont confisqués et sa maison d’édition est immédiatement placée sous séquestre.

Grâce à des relations, Freud obtient rapidement un visa et embarque à la hâte dans le premier Orient-Express à destination de la France, accompagné de son épouse, de sa fille Anna et de leur domestique.

Freud compte se réfugier chez son fils, établi en tant qu’architecte à Londres, au Royaume-Uni. Sur le chemin de l'exil, il passe plusieurs jours à Paris, ville qu'il connaît bien pour y avoir, dans sa jeunesse, travaillé avec le professeur Charcot.

La presse française salue timidement son arrivée dans la capitale. Le journal socialiste Le Populaire, dans son édition du 6 juin 1938, rend compte des malheurs du vieil homme de 83 ans :

« Le docteur Sigmund Freud est de passage à Paris. Il est arrivé hier matin à la gare de l'Est et va séjourner deux jours parmi nous, avant de gagner Londres, où son fils est architecte.

Freud a 83 ans. Il habitait Vienne depuis 70 ans. L'illustre vieillard n'aspirait plus qu'à finir ses jours au milieu de ses concitoyens qui vénéraient sa gloire mondiale, parmi ses livres et ses collections.

Hitler est venu. »

Arrivé en Angleterre, Freud y est reçut avec tous les honneurs. Il s'installe avec sa famille dans une maison bourgeoise située au 20 Maresfield Gardens et est nommé membre de la Société royale de médecine. Mais, fatigué et affaibli par un cancer contre lequel il lutte depuis des années, sa santé ne tarde pas à décliner.

Deux mois plus tard dans la revue de presse du Populaire, le rédacteur revient sur les conditions extraordinaires de l’exil solitaire de Freud, qui, comme de nombreux autres grands penseurs d’Europe centrale, a été obligé de fuir la barbarie nationale-socialiste sans que les observateurs en soient autrement bouleversés :

« “Personne n'a protesté. Qui donc y avait-il à la gare de l'Est, pour accueillir Sigmund Freud, lorsqu'il fit halte à Paris ? Où étaient les foules qui acclament si généreusement, quand ils descendent du train, les champions de boxe et les stars d'Hollywood ?

La presse n'avait soufflé mot. Seuls, quelques amis attendaient le glorieux vieillard. Une image, que j'ai là, le montre un peu voûté, pâle, les yeux étonnamment vifs et noirs.” […]

Et plus encore peut-être que toutes les violences matérielles, celles qu'on exerce contre la pensée libre et la science sont faites pour indigner et révolter.

On aura oublié les camps de concentration, les tortures, les fusillades, qu'on se souviendra encore des persécutions devant lesquelles ont dû s'exiler les Ferrero, les Einstein, les Freud. »

Il mourra le 23 septembre 1939 à 3 heures du matin, trois mois après l’article de son amie française, emporté par la dose massive de morphine injectée par son médecin personnel afin d'atténuer les souffrances causées par sa maladie.

La maison dans laquelle il a vécu ses derniers jours à Londres a depuis été transformé en musée. Elle témoigne encore aujourd'hui de son exil, comme celui de milliers d’autres.

Pour en savoir plus :

Peter Gay, Freud et la guerre, in: L’Homme et la société, 1988

Lya Tourn, Freud exilé, in: Topique, La pensée en exil, 2002