Écho de presse

Charles Goodyear, inventeur malheureux du caoutchouc industriel

le 17/08/2019 par Michèle Pedinielli
le 28/03/2019 par Michèle Pedinielli - modifié le 17/08/2019
Portrait du chimiste et inventeur américain Charles Goodyear, circa 1850 - source : WikiCommons
Portrait du chimiste et inventeur américain Charles Goodyear, circa 1850 - source : WikiCommons

Après des années de recherches sur les propriétés du caoutchouc, le chimiste Goodyear découvre par hasard le moyen de stabiliser ce matériau. Une industrie géante va se développer – dont il ne tirera jamais le moindre profit.

Lorsqu’en 1747, le naturaliste français Charles-Marie de la Condamine rapporte du Pérou un échantillon d’hévéa, il a noté qu’après transformation, les Indiens Maïpas en font des bottes « qui ne prennent point l’eau ». En Europe, cette découverte va vite être utilisée pour concevoir des gommes capables d’effacer l’encre, tandis que son pouvoir imperméabilisant sera développé afin de notamment protéger les chaussures.

En 1823, le chimiste britannique Charles Macintosh dissout le caoutchouc dans du solvant, fabriquant ainsi – et c’est fort pratique en Angleterre – les premiers vêtements étanches.

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Mais on ne sait toujours pas stabiliser ce produit qui, lorsqu’il chauffe, fond et dégouline tandis que refroidi, devient dur comme de la pierre, perdant par là même ses propriétés d’élasticité.

Le chimiste américain Charles Goodyear s’y attelle à compter de 1834. Non sans mal.

« Convaincu des obstacles que rencontrera toujours l'application industrielle dans l’inconvénient qu’a la gomme élastique de perdre son élasticité au froid et devenir adhésive par la chaleur, Goodyear voulut modifier les propriétés de cette substance en y incorporant d’autres matières.

La possibilité d’un résultat aussi important le préoccupa une partie de sa vie, et il passa plusieurs années à faire des expériences ruineuses qui le réduisirent, lui et sa famille, à un état voisin de la misère.

Le mauvais état de ses affaires le conduisit en prison. Sous les verrous, il poursuivit avec une courageuse obstination son projet de perfectionner le caoutchouc, et fit appel à la générosité de quelques industriels qui le traitèrent de fou. »

Pendant des années, le chimiste sans le sou expérimente seul dans sa cuisine : « il cuisait le caoutchouc dans le fourneau de sa cuisine, il le faisait bouillir dans ses casseroles, il le soumettait à la vapeur d'une bouilloire à faire le thé, il le rôtissait comme du pain grillé. »

L’odeur est telle qu’on raconte que ses voisins demandent son départ. En 1837, il rachète les droits d’un procédé nouveau : l’ajout de soufre dans le caoutchouc, qui le rend un peu plus homogène. Il continue ses recherches.

En 1839 il décide de faire une démonstration devant les notables de sa ville ; l’expérience tourne court et Goodyear, excédé, jette la gomme par terre. Celle-ci atterrit sur le poêle brûlant et – surprise – ne fond pas. Au contraire, elle vient de se transformer en une matière élastique recouverte d’une croute brune étanche. Goodyear vient de découvrir par hasard la vulcanisation.

En 1842, il s’aperçoit qu’en ajoutant de la vapeur d’eau sous pression, le matériau est moins grossier et d’autant plus stable. Les applications industrielles sont potentiellement immenses.

« C’est à dater de la découverte de ce procédé, si connu sous le nom de vulcanisation, que l’industrie du caoutchouc prit chaque jour une extension plus grande.

Aujourd’hui, on emploie cette substance à la fabrication des objets les plus divers : chaussures, conduits, cornets acoustiques, ressorts, tampons, joints, instruments de chirurgie et de chimie, tissus élastiques, corsets, vernis pour les cuivres, glu marine pour le calfatage des navires, etc.

On estime à environ un million de kilos la quantité de caoutchouc que consomme annuellement l’industrie française et qu’elle tire, pour plus de moitié, du Brésil et de la Bolivie. »

La même année, il ouvre une fabrique de fil en caoutchouc qui rencontre immédiatement le succès. Mais Charles Goodyear n’a pas le sens des affaires : vite, il vend ses parts de l’usine et retourne à ses recherches.

Cependant, il n’a pas breveté son invention. Et lorsqu’il se décide en janvier 1844, c’est trop tard : il s’est fait devancer de huit semaines par un Anglais, Thomas Hancock, qui analysant son expérience, a pu la reproduire et a déposé le brevet de la vulcanisation au mois de novembre 1843.

À partir de ce moment, l’industrie du caoutchouc va se développer de façon exponentielle – mais sans Goodyear.

Circonspect devant l’application à grande échelle de sa propre invention, il décide de se lancer dans une série de procès ruineux, tout en continuant à développer des applications de sa découverte (canots de sauvetage, ressorts, roues, vêtements, instruments de musique, billets de banque). Là encore, il signe des accords totalement défavorables, qui permettent aux entreprises d’utiliser son nom dans leurs publicités sans verser de contrepartie.

« Au mois d'avril 1854, la société J.-B Mirabel-Chambeau et Cie a acquis le droit de donner à la compagnie le nom de l'inventeur et la propriété des brevets de 1844, 1852, et de tous autres qui seraient ultérieurement pris pour la fabrication du CAOUTCHOUC BALEINE et autres applications à choisir sur une vingtaine mises à sa disposition. »

Charles Goodyear est sans ressources. À ce point qu’il est même arrêté lors d’un voyage de promotion à Paris car il est incapable de payer sa note d’hôtel. Il meurt en 1859 sans avoir pu tirer un sou de ses inventions.

Mais si l'humanité tout entière devait bénéficier de sa trouvaille, si d'autres devaient gagner des millions en fabriquant du caoutchouc, Goodyear, qui avait poussé le prosélytisme jusqu'à s'habiller, se chausser et se couvrir la tête de caoutchouc, Goodyear mourut pauvre et laissa derrière soi une famille endettée.

En 1898 Franck Seiberling, inventeur ruiné lui aussi, s’associe à son frère pour monter une entreprise de fabrication de pneus. Lorsqu’il doit baptiser sa marque, qui deviendra célèbre, c’est le nom de Goodyear qu’il choisit, rendant un dernier hommage au malheureux chimiste.

Pour en savoir plus :

Jean-Claude Maillard, « "Cahuchu" (le bois qui pleure) la "success-story" d'Hevea brasiliensis », in: Cahiers d’outre-mer, 1992

Fernand Maurette, « Le caoutchouc », in: Annales de géographie, 1924

B.K. Pierce, Trials of an inventor: life and discoveries of Charles Goodyear, 1866, Carlton & Porter

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Léon Audebert de la Morinerie
Mémoire sur l'emploi raisonné du caoutchouc volcanisé
Edmond Andrieu
Les Caoutchoucs artificiels
Ventou-Duclaux