Il s'agit de Gish Abay, que Bruce rejoint au mois d’octobre 1770. Là, son guide lui indique un rocher couvert d'arbrisseaux verdoyants. Au milieu de cette « éminence couverte de gazon », de l'eau sourd en deux endroits : les sources précieuses du Nil bleu. L'émotion du voyageur écossais est palpable.
« Certes il est plus aisé d'imaginer que de décrire ce que j'éprouvai alors.
Je restais debout en face de ces sources, où depuis trois mille ans le génie et le courage des hommes les plus célèbres avaient en vain tenté d'atteindre. Des rois ont voulu y parvenir à la tête de leurs armées. [...]
La gloire et la richesse ont été promises pendant une longue suite de siècles à l'homme qui aurait le bonheur d'arriver où les armées ne pouvaient pénétrer, mais pas un seul n'avait réussi. »
En redescendant le fleuve dans son voyage de retour, il constate que le Nil bleu et le Nil blanc (son plus long affluent, qui prend sa source dans l'actuel lac Victoria) se rejoignent au niveau de Khartoum. Il rentre en Angleterre en 1774 et s'attelle à la rédaction de son récit.
Lorsque Voyage à la recherche des sources du Nil paraît seize ans plus tard, une polémique éclate : a-t-il réellement remonté le fleuve jusqu'à sa source ? N'aurait-il pas plagié d'autres explorateurs ?
Le récit des aventures de Bruce joue en sa défaveur : l'homme apparaît parfois comme un fanfaron, un faiseur d'histoires. Et dans le Paris du Premier Empire, on se gausse.
« Quoi qu'il en soit, il quitte Gondar, il va près de cette ville chasser aux éléphants et il tue admirablement ces grosses bêtes ainsi que des buffles et des sangliers.
Il s'arrache enfin à l'amitié des princes des princesses et de tout le monde ; il traverse des déserts affreux au milieu des lions et des hyènes assez audacieuses pour mordre les jambes des passants.
Dans un bourg du Sennaar il est retenu par un scheek avare et perfide qui veut le voler puis le tuer. Il fait d'abord caracoler son cheval mais ce moyen ne produit pas assez d'effet ; il a recours à un prestige plus puissant : une éclipse de lune doit avoir lieu le vendredi ; nouveau Colomb, M. Bruce en menace et le peuple et le scheek, qui restent ébahis à la vue du phénomène.
Ceci est bien mais nous avons à Paris des hommes honnêtes et scrupuleux qui ne pardonneront pas à M Bruce d'avoir commis un plagiat d'éclipse, même pour sauver sa vie. »