Écho de presse

Les aventures de James Bruce aux sources du Nil

le 19/02/2021 par Michèle Pedinielli
le 08/02/2021 par Michèle Pedinielli - modifié le 19/02/2021
Vue du Nil depuis Le Caire, circa 1830 - source : WikiCommons
Vue du Nil depuis Le Caire, circa 1830 - source : WikiCommons

« L'a-t-il vraiment découvert ? » Lorsqu'en 1790, l'explorateur et géographe écossais James Bruce publie le résultat de son fabuleux voyage en Abyssinie  et annonce qu'il a découvert les sources du Nil bleu, le monde scientifique est partagé. Est-ce seulement possible ?

James Bruce (1730-1794) est officiellement un géographe écossais. Il sera également diplomate, nommé consul d'Angleterre à Alger en 1763. Mais dans le fond, James Bruce est un aventurier, un explorateur avide de découvrir le monde.

Depuis la capitale de l'Algérie, où il apprend l'arabe, il commence par sillonner l'Afrique du nord, muni d'instruments de mesure et d'une camera obscura. De ses rencontres et de ses lectures se forme peu à peu un projet plus ambitieux : remonter jusqu'en Abyssinie pour découvrir les sources mythiques du Nil. Un voyage qu'il entame dans le courant de l’année 1768 et dont il rend compte en 1790 dans un livre intitulé Voyage à la recherche des sources du Nil, publié en cinq volumes.

« Après avoir résidé longtemps à Alger, où il était chargé des affaires d’Angleterre ; après avoir visité toutes les côtes & l’intérieur de la Barbarie, il s’embarqua pour la Grèce, se rendit en Égypte, remonta le Nil jusqu’aux cataractes de Nubie, revint s’embarquer sur la mer Rouge, qu'il parcourut jusqu’au détroit de Babel-Mandel, traversa l’Arabie, entra en Abyssinie, découvrit le premier les sources du Nil, & visita toute cette partie de l’Afrique.

Il est aisé d'imaginer combien, dans un si grand voyage, M. Bruce a eu occasion de voir des Nations différentes, dont une profonde connaissance dans les langues Orientales, l’a mis parfaitement en état de nous peindre les mœurs & l’origine.

Aussi cette partie, qui manquait à l’Histoire du Monde, rend son Livre infiniment précieux. »

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Que raconte James Bruce à propos du fleuve ? Remontant son cours, il atteint la première cataracte près de Syene (l'actuelle Assouan, en Égypte).

« Le lit que remplit le fleure en cet endroit n’a pas plus d’un demi-mile de large. Il forme plusieurs petits canaux que séparent de très gros blocs de granit, de 30 à 40 pieds de haut.

Les eaux contenues pendant un long espace entre les montagnes de rocher de la Nubie semblent essayer de se répandre avec violence. Leur choc contre les obstacles qu’elles rencontrent, la réunion bruyante de leurs courants opposés à l’issue des canaux, tout forme un bouillonnement, une confusion, un désordre qui porte dans l’âme plus de surprise que de terreur.

En poursuivant sa route et son projet, le voyageur s’engage dans le désert de la Thébaïde, qui n’offre d’abord, de tous côtés que des monceaux de sable et de gravier fin. »

Puis il continue vers l'Abyssinie et il atteint en février 1770 Gondar, sa capitale, où il séjourne plusieurs mois.

« Gondard [sic] est une ville ou plutôt un camp de l’Abyssinie à 400 lieus du Caire. C’est où réside l’empereur des Abyssins.

Bruce lui fut présenté ; ses connaissances en médecine le rendirent utile à cette cour, qui lui procura des secours pour son grand voyage. [...]

Lorsque James Bruce fut admis au nombre des officiers du roi, il eut la jouissance de différents villages dépendant du poste qu’il occupait. Parmi ces hameaux, il y en avait un appelé Geesh, où naissent les sources du Nil. »

Il s'agit de Gish Abay, que Bruce rejoint au mois d’octobre 1770. Là, son guide lui indique un rocher couvert d'arbrisseaux verdoyants. Au milieu de cette « éminence couverte de gazon », de l'eau sourd en deux endroits : les sources précieuses du Nil bleu. L'émotion du voyageur écossais est palpable.

« Certes il est plus aisé d'imaginer que de décrire ce que j'éprouvai alors.

Je restais debout en face de ces sources, où depuis trois mille ans le génie et le courage des hommes les plus célèbres avaient en vain tenté d'atteindre. Des rois ont voulu y parvenir à la tête de leurs armées. [...]

La gloire et la richesse ont été promises pendant une longue suite de siècles à l'homme qui aurait le bonheur d'arriver où les armées ne pouvaient pénétrer, mais pas un seul n'avait réussi. »

En redescendant le fleuve dans son voyage de retour, il constate que le Nil bleu et le Nil blanc (son plus long affluent, qui prend sa source dans l'actuel lac Victoria) se rejoignent au niveau de Khartoum. Il rentre en Angleterre en 1774 et s'attelle à la rédaction de son récit.

Lorsque Voyage à la recherche des sources du Nil paraît seize ans plus tard, une polémique éclate : a-t-il réellement remonté le fleuve jusqu'à sa source ? N'aurait-il pas plagié d'autres explorateurs ?

Le récit des aventures de Bruce joue en sa défaveur : l'homme apparaît parfois comme un fanfaron, un faiseur d'histoires. Et dans le Paris du Premier Empire, on se gausse.

« Quoi qu'il en soit, il quitte Gondar, il va près de cette ville chasser aux éléphants et il tue admirablement ces grosses bêtes ainsi que des buffles et des sangliers.

Il s'arrache enfin à l'amitié des princes des princesses et de tout le monde ; il traverse des déserts affreux au milieu des lions et des hyènes assez audacieuses pour mordre les jambes des passants.

Dans un bourg du Sennaar il est retenu par un scheek avare et perfide qui veut le voler puis le tuer. Il fait d'abord caracoler son cheval mais ce moyen ne produit pas assez d'effet ; il a recours à un prestige plus puissant : une éclipse de lune doit avoir lieu le vendredi ; nouveau Colomb, M. Bruce en menace et le peuple et le scheek, qui restent ébahis à la vue du phénomène.

Ceci est bien mais nous avons à Paris des hommes honnêtes et scrupuleux qui ne pardonneront pas à M Bruce d'avoir commis un plagiat d'éclipse, même pour sauver sa vie. »

On l'accuse également de n'avoir fait que plagier les récits de voyageurs l'ayant précédé.

« Dès que la fastueuse relation de ce seigneur écossais eut paru, les hommes instruits dans toutes les contrées de l'Europe élevèrent des doutes sur la véracité du voyageur ; un géographe français qui n’était jamais sorti de son cabinet, démontra que le voyageur s'était trompé en prenant un fleuve l'Abyssinie, l’Astapus des anciens, pour le vrai Nil ; les critiques anglais allèrent jusqu'à mettre en questions si M. Bruce avait réellement visité l'Abyssinie.

Le jugement le plus sensé fut celui d'un critique allemand qui, après avoir examiné le pour et le contre, s'exprima à peu près dans ces termes :

‘M. Bruce a certainement été à Gondar, et a vécu dans la société de quelques Abyssiniens, mais il a fait très peu d’observations neuves ; il a très souvent copié Ludolf, Lobo, Tellez, en donnant pour le fruit de ses recherches ce qu'il avait lu dans ces anciens auteurs’. »

Mais James Bruce a des défenseurs de longue date, et non des moindres. Dans le Paris révolutionnaire, le grand scientifique Buffon s'émerveille après sa rencontre avec lui :

« Un nouveau secours qui vient de m’arriver et que je m’empresse d’annoncer au public, c’est la communication aussi franche que généreuse des lumières et des observations d’un illustre voyageur, le chevalier James Bruce de Kinnaird qui, revenant de Nubie et du fond de l’Abyssinie, s’est arrêté chez moi plusieurs jours, et m’a fait part des connaissances qu’il a acquises dans ce voyage aussi pénible que périlleux.

J'ai été vraiment émerveillé en parcourant l’immense collection des dessins qu’il a faits et coloriés lui-même ; les animaux, les oiseaux, les poissons, les plantes, les édifices, les monuments, les habillements, les armes, etc. des différents peuples, tous les objets en un mot dignes de nos connaissances ont été décrit et parfaitement représentés ; rien ne paraît avoir échappé à sa curiosité, et ses talents ont tout saisi ; il nous reste à désirer de jouir pleinement de cet ouvrage précieux. »

Buffon utilisera les spécimens récoltés pendant le voyage pour son Histoire naturelle. James Bruce meurt en 1794, solitaire et – dépossédé de tous ses biens ; sa famille, le croyant mort pendant son voyage, s'était partagé sa fortune.

Sa contribution à la connaissance de cette partie du monde sera finalement reconnue et estimée à sa juste valeur à partir du XIXe siècle.

Pour en savoir plus :

James Bruce, L'Egypte et la mer rouge, voyage aux sources du Nil en Nubie et en Abyssinie, 1880 (réed.), à lire sur Gallica

Notre sélection de livres

Bibliothèque portative des voyages - Tome 1
James Bruce
Bibliothèque portative des voyages - Tome 2
James Bruce
Bibliothèque portative des voyages - Tome 3
James Bruce
L'Égypte et la mer Rouge : voyage aux sources du Nil, en Nubie et en Abyssinie
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