Écho de presse

Quand les garçons de café réclamaient le droit à la moustache

le 25/10/2018 par Marina Bellot
le 10/11/2017 par Marina Bellot - modifié le 25/10/2018
James Baron Gugenheim en garçon de café - source : BnF-Gallica

En 1907, dans un climat de tension sociale, les limonadiers se mettent en grève. Leurs revendications : un jour de congé hebdomadaire et, surtout, le droit de porter la moustache.

Avril 1907. La moustache est sur toutes les lèvres. L'heure est à la contestation sociale et les garçons de café ne sont pas en reste : ils se sont mis en grève pour réclamer un jour de congé hebdomadaire et le droit de porter la moustache.

Le débat qui agite la profession fait la joie des journaux satiriques comme Le Journal amusant :

Ou Le Rire...

Mais le sujet inspire tout autant la presse classique. La question du droit à la moustache y fait l’objet d’innombrables articles, tous plus ironiques face à cette revendication jugée futile et allègrement tournée en dérision.

La Presse raille :

« Moustaches frisées, moustaches cirées, moustaches folles, épanouissez-vous et ornez de votre virile beauté, égayez de vos grâces les faces trop austères de ces messieurs. [...]

Le malheur, c'est que cette moustache, victime d'une trop longue servitude, ayant longtemps subi la honte du rasoir, aura perdu cette souplesse, qui fait, monsieur, le charme et l'élégance de votre moustache. Elle poussera courte et drue, avec la raideur du crin, et les railleurs féliciteront les garçons de café du sens pratique qui leur fait entretenir, si près de leur mâchoire, une excellente brosse à dents.

Qu'importe après tout ? L'essentiel n'est pas pour eux d'enjoliver leur visage mais de se soustraire à l'humiliation qui empoisonne leur existence, à l'interdiction monstrueuse — ce n'est pas trop dire ! — d'user d'un droit que la nature, aussi bien que la Déclaration de 89  donne à tout citoyen ; l'essentiel est de montrer enfin qu'ils sont des hommes, des hommes libres, qui n'ont plus de rois, qui n'ont point de maîtres et qui peuvent arborer à leur aise ce symbole de la toute-puissance masculine, la moustache. Oh ! la belle indépendance ! »  

Même ton mordant dans Le Mémorial de la Haute-Loire :

« Les femmes sont tout à fait décidées à mourir de faim avec leurs enfants plutôt que de voir tomber encore sous le rasoir les moustaches de leurs maris. Les garçons tiennent absolument à avoir du poil sous le nez : quelques-uns d’entre eux pourraient cependant se contenter de celui qu’ils ont dans la main. »

« Pour affirmer le droit d'avoir un petit balai sous les narines, risqueront-ils la détresse ? Quel besoin vraiment singulier », renchérit le chroniqueur du Journal avant de se lancer dans une interminable digression :

« Cet appendice pileux n'est pas si commode. Il complique la vie. Lorsque mange un homme à la moustache retombante, il la salit, mêlant aux poils la purée du potage, le jaune d'œuf et la sauce du gigot. Cela répugne au spectateur. En outre, le détenteur de cet ornement fabuse de la lèvre inférieure qui vient laper les graisses demeurées en étal sur la fourrure de la lèvre supérieure. Ce mouvement est animal.

Seul le convive à la moustache troussée ou coupée très court sur la bouche évite cette saloperie. »

Derrière ce que la presse semble reléguer au rang d'anecdote se cache pourtant un véritable enjeu de société. Car dans la France du début du siècle dernier, la moustache est alors un attribut de domination. Les soldats de l’armée napoléonienne ont mis la pilosité à la mode, faisant du militaire moustachu l'incarnation de la virilité. Napoléon III, d'ailleurs, portait lui aussi barbiche et moustache.

Pour les petites gens, en revanche, des domestiques aux gens de maison en passant par les cochers – et autres garçons de café, donc – toute pilosité faciale était interdite. Le visage glabre signait l’état de dominé.

Le conflit social s’achève le 4 mai 1907 : les garçons de café obtiennent finalement l’autorisation de porter la moustache.

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